L’âne, l’ingénieur et la mamma, ou le gouvernement Benkzouar

Même si cette appellation du nouveau gouvernement Benkirane comporte, certes, une pincée de raillerie, elle résulte aussi, franchement, du grand mépris que je porte aux deux hommes concernés ; il n’en demeure pas moins qu’elle reflète bel et bien une réalité politique, parce qu’en fait la nouvelle version gouvernementale comporte désormais deux têtes prétendument pensantes, opposées à tous égards. Si le premier gouvernement ressemblait plus ou moins à une sorte de mariage morganatique, la nouvelle formation est carrément contre-nature, une sorte de mariage gay. Il est évident que si M. Benkirane est le chef de gouvernement en titre, M. Mezouar n’en est pas moins son alter ego, même si le premier ne veut pas le reconnaître franchement et que le second fait semblant de jouer le jeu d’une collaboration sincère et altruiste, motivée par des considérations patriotiques.
M. Benkirane, déjà largement fragilisé auparavant avec la présence de l’équipe istiqlalienne, s’est fourvoyé cette fois-ci dans une position plus étriquée. Il ne pourra prétendre avoir les coudées franches, malgré son optimisme de façade manifesté devant un quarteron de journalistes, avec quelqu’un dont la formation avait voté contre la déclaration de politique générale du premier gouvernement, et pour lequel, au plan personnel, il n’avait pas assez de mots durs pour le dépeindre sous les pires aspects, allant jusqu’à dire de lui qu’il ne pouvait prétendre à la confiance des Marocains. M. Mezouar, l’ennemi de la veille, prodigieusement mû en allié du moment pourrait-il, de son côté, avoir la mémoire aussi courte pour oublier aussi vite ce portrait peu reluisant dont l’avait gratifié un chef de gouvernement qui ne lui a concédé, au détriment de sa propre formation, ses exigences que parce qu’il était aux abois, préférant baisser culotte et perdre la face que d’aller aux élections anticipées. En sauvant la mise à M. Benkirane, il aura, néanmoins, gagné à double titre ; il aura démontré que celui-ci n’est finalement, malgré la grande gueule, qu’une peau de baudruche ; il aura, aussi, du moins auprès de certains, redoré son blason dans le dossier des primes illégales qu’il s’était concédées avec la complicité du trésorier général Bensouda, même si le cours judiciaire n’a pas encore été clôturé, et qu’il n’est pas à l’abri d’une surprise. De toute évidence, cette conversion subite et saugrenue des positions des deux hommes, fondamentalement contradictoires idéologiquement et intimement inamicales, voire même haineuses, il y a moins de quatre mois encore, ne peut traduire un souci de pragmatisme politique, même si, comme disait Napoléon III : «On ne dit jamais, jamais en politique.» Car avec un virage à 180 degrés, de part et d’autre, en un laps de temps aussi court, une telle thèse semble peu soutenable, et ne peut que conforter l’idée d’un marché de dupes où chacun a cherché à chevaucher l’autre, se prenant pour un ingénieur – politique – et prenant l’autre pour un âne, avec, pour tous les deux, les yeux rivés sur les législatives à l’horizon de 2017. Une situation qui me rappelle l’anecdote suivante : un berger, assis sur un monticule, suivait les agissements de deux agents qui s’activaient plus bas aux moyens d’appareils de visualisation et de mesure. Intrigué par leur manège, il va s’enquérir de leur activité. Il apprend qu’ils procédaient à des relevés topographiques pour élaborer le tracé d’une future route. Il exprime une moue dédaigneuse. On en lui demande la raison, il répond : «Nous, pour cela, nous lâchons dans la nature un âne, il emprunte naturellement l’itinéraire le plus pratique et, ainsi, nous sommes édifiés.» Un topographe lui dit : «Et si vous n’avez pas d’âne ?» Le berger répond : «Dans ce cas, nous faisons appel à…l’ingénieur.» Le topographe ne se doutait sûrement pas que son propos pourrait un jour se réaliser, à une époque où grâce au génie de M. Hamid Chabat, les ânes aussi se politisent, investissent les rues de la capitale et participent aux manifestations – réclamant probablement, en leur for intérieur, une augmentation de dotation de foin. Avec cette double crainte de voir les ingénieurs déserter le champ politique pour le laisser aux équidés, et que le monde rural perde sa meilleure bête de somme. Avec, par contre, cette assurance qu’il n’y aura pas de risque de voir ces équidés commettre des malversations dans la gestion des finances publiques, traîner, ainsi, derrière eux des casseroles, mais uniquement leur queue, ni de les entendre se proclamer, en plus, des hommes – pardon – des ânes d’État. Au fait, les adversaires de M. Hamid Chabat, toutes couleurs confondues – comme s’est plu à le préciser, ostentatoirement, en bon français M. Benkirane dans une interview en arabe mi-dialectal, mi-classique – ont eu tort de le railler pour cette histoire d’ânes contestataires. Homme averti du champ politique marocain et de ses hommes, il savait le peu de considération que M. Benkirane témoignait aux Marocains, d’abord à cette frange qui avait voté pour lui, et ensuite à nous tous lorsqu’il nous apprend que si sa maman était instruite, elle ferait un meilleur chef de gouvernement que lui, garanti 100/100, et que c’est elle qui l’inspirait et l’orientait. Si ce n’est pas prendre les Marocains pour des ânes, c’est quoi, alors ? Pour être franc, ce qui m’a intrigué le plus dans ce show de M. Benkirane, c’est la salve d’applaudissements de la part des PJDistes heureux d’entendre leur grand bêtisier en plein délire. Dès lors, puisque plus rien n’étonne plus dans le comportement de notre chef de l’exécutif, il est à se demander si sa «mamma» n’a pas eu, aussi, son mot à dire dans la formation de ce gouvernement Benkzouar ? A moins qu’il voulait ingénument nous signifier qu’il était « le fils de sa maman et un mardhi al walidine». Dont acte.
Mohamed Mellouki
 

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