L’Emir Abdelkader, Larbi Ben M’hidi, qui a peur de l’Histoire ?

L’élection présidentielle a été une course de mensonges pour décrédibiliser les adversaires et surtout manipuler le peuple pour l’attirer dans le piège d’une votation dont le résultat était comme d’habitude connu par avance. A côté du mensonge «institutionnalisé», on peut ajouter la peur de l’Histoire qui met sous le boisseau des vérités qui dérangent. Pourtant, dire la vérité, ce n’est pas honteux, ça fait plutôt grandir celui qui la défend. La peur de l’Histoire véhiculée par certains a titillé mon esprit quand j’ai lu dans des journaux algériens la stupide déclaration de Yacef Saâdi sur Larbi Ben M’hidi. Phrase d’une grossière énormité : «Larbi Ben M’hidi n’a jamais tiré une seule balle pendant la guerre de libération.»
Comme ce monsieur n’était pas pendant la guerre un frère siamois pour connaître les faits et gestes de ce grand dirigeant, sa déclaration n’a même pas la valeur d’un pipi de chat. En revanche, sa phrase le trahit, car elle révèle deux choses :
1- Dénigrer un dirigeant de la trempe de Ben M’hidi ressemble à une tentative désespérée de sortir de l’oubli et redorer à peu de frais son propre statut de militant que sa participation à la bataille d’Alger n’arrive plus à le maintenir sur un piédestal.
2- Sa médiocre culture politique adossée à une vision infantile de l’Histoire lui fait considérer que l’héroïsme découle du nombre de balles tirées pendant une guerre. Si c’était le cas, ça reviendrait à effacer des livres d’histoire les plus grands acteurs politiques qui ont ébranlé le monde. Je pense entre autres à Hô Chi Minh qui a dirigé la révolution vietnamienne en laissant le soin au général Giap de tenir le fusil.
En vérité la phrase de Yacef Saâdi nous renseigne sur l’idéologie qui a labouré et qui laboure encore le champ politique du pays. Souvenons-nous du fameux article du congrès de la Soummam relatif à la primauté du politique sur le militaire. La remise en cause de cet article a entraîné des conséquences dont on paie encore aujourd’hui la note. Monsieur Yacef Saâdi devrait savoir que dans le monde entier, on ne demande pas à un dirigeant politique d’être un cow-boy. Bien au contraire, on le protège et des centaines d’hommes sont prêts à mourir pour lui, car sa pensée politique et sa vision stratégique de la guerre sont des biens précieux que l’on ne trouve pas dans le coin d’une rue. Faire l’éloge du courage en le reposant sur le nombre de balles tirées par un militant, c’est faire preuve d’ignorance quant à l’importance des hommes stratèges et des facteurs historiques dans le combat politique. Ce monsieur fait partie de cette catégorie de gens qui ont une conception «virile» (rejla) de l’action politique. Ces gens ne savent pas que c’est le politique qui détermine la nature et le degré de violence, les forces sociales qui l’exécutent, les lieux et le temps de son déclenchement. Ils ignorent évidemment que les grandes conquêtes sociales et politiques sont le fruit d’une pensée politique qui appréhende l’intelligence de l’Histoire en intégrant la violence parmi les facteurs de ladite conquête ou victoire. Triturer les facteurs politiques, masquer les vérités historiques sert en général les desseins de ceux qui veulent se donner une couverture de légitimité. Les idéologues du dimanche (ou du vendredi) ressassent les mêmes balivernes pour évacuer les faits et théories qui saisissent les mouvements de l’Histoire et la nature des régimes en place. Cette peur de la vérité historique les entraîne à élaborer un récit historique parsemé uniquement de faits glorieux et de héros qui leur sied. Ainsi, la défaite devient chez ces manipulateurs un gros mot qui n’a pas sa place dans un livre d’histoire. De grands peuples après avoir construit de brillantes civilisations ont connu et subi défaites et tragédies. Pourquoi n’avons-nous pas le droit de parler par exemple de la défaite de l’Emir Abdelkader. Mais où est le mal ? D’autant que l’Emir a fait preuve d’un grand talent de stratège militaire en infligeant des coups sévères à une armée mieux équipée et plus nombreuse que la sienne. D’autant que cet émir, grand homme politique, a montré son humanisme dans le traitement des prisonniers contrairement aux soudards d’en face. Où est le mal en effet quand la France elle-même, quelques années auparavant, a vu le plus grand de ses hommes, Napoléon, s’exiler pour aller rejoindre l’île de Sainte-Hélène où il resta jusqu’à sa mort prisonnier de ses plus implacables ennemis, les Anglais. La reddition de Napoléon a-t-elle diminué son prestige et effacé ses victoires qui ont façonné la carte de toute l’Europe ? Non, bien sûr. Pourquoi aurions-nous honte d’un émir qui voyant le pays submergé par la plus grande armée de l’époque, une armée qui ne lésinait sur aucun procédé barbare pour soumettre un peuple, pourquoi donc refuser à l’émir le droit d’une sage décision pour éviter aux survivants le sort de ceux qui ont été décimés par les enfumages, l’empoisonnement des puits, la faim et les maladies. La lecture de l’Histoire façon «rejla» est une médiocre plaisanterie. Ses auteurs oublient que le pays a été colonisé parce que les Turcs ont plié bagage devant les Français, mais surtout parce que la France était la première puissance de l’époque, époque du capitalisme qui va conquérir le monde entier. Pourquoi avoir honte quand, en dépit de ce déséquilibre des forces, le colonisateur n’a eu la «paix» qu’en 1871 après avoir enfin maté la rébellion de Mokrani qui se retrouva en Nouvelle-Calédonie à des milliers de kilomètres de sa Kabylie natale. Cette peur de l’Histoire, nous la traînons comme un boulet. On l’impose au pays par une lecture biaisée de son passé qui la handicape dans sa marche en avant. On voit ses néfastes conséquences dans l’existence de la censure de livres et de films qui ne chantent pas les «vérités» de l’Histoire idéologisée. Ce sont ces plaies du mensonge et de la peur de l’Histoire qui ont ouvert des boulevards à des apprentis sorciers pour vendre la camelote de leur charlatanisme. Une fois la boîte de Pandore ouverte, les donneurs de leçons de religion se sont mis à répandre ici et là leurs «bonnes paroles». Ailleurs, le tribalisme aidant, on se regarde en chiens de faïence (c’est un euphémisme), par exemple à Ghardaïa. A qui la faute ? Une misérable vision des choses colportée par certains dont leur monde ne dépasse pas la frontière de leur houma. Il est temps de démasquer ces idéologues pour qu’ils laissent les citoyens «lever les yeux, tourner le dos aux terres arides et rejoindre les jardins de l’Eden où l’on sent bon les parfums du printemps».
Il est en effet temps que ces «visionnaires» sachent que le vaste monde, beau et complexe, est régi par la lucidité, enfant naturel des tumultes de l’Histoire et de l’intelligence des hommes.
Ali Akika, cinéaste.
P. S. :
Un autre monument de notre pays que le monde nous envie, Saint Augustin, est lui aussi victime de tentatives de l’effacer des livres de notre histoire.
 

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