Situation socioéconomique de l’Algérie et impact de l’abrogation de l’article 87 bis du code du travail

«Le monde ne sera pas détruit par ceux qui font du mal, mais par ceux qui regardent et refusent d'agir». Albert Einstein

«Le monde ne sera pas détruit par ceux qui font du mal, mais par ceux qui regardent et refusent d'agir». Albert Einstein
Je rappelle qu’il existe un principe de méthodologie tant pour les rapports officiels que toute thèse d’un étudiant. J’invite les membres du gouvernement et leurs conseillers à toujours prendre la même source et raisonner toujours à prix constants, faute de quoi les données n’ont aucune signification opérationnelle, induisant en erreur l’opinion publique. Chaque organisme a des bases de sondage, donc, éviter d’additionner ou de comparer les données d’un ministère à l’autre, ou avec les données soit de la Banque mondiale ou du FMI. C’est dans ce cadre que je m’en tiendrai aux données officielles de l’organe national de la statistique qui reflète, en principe, celles du gouvernement dans son récent rapport des comptes nationaux 2000/2013 pour analyser les impacts de l’abrogation de l’article 87 bis du Code du travail avec ses effets cumulatifs du fait du risque d’un nivellement par le bas
1- Selon les données officielles de l’ONS, la population active fin 2013, au sens du BIT, est de 11,716 millions pour une population d’environ 38,5 millions. Au sein de la structure de l’emploi, le BTPH représente 16,5%, l’industrie 12,6%, l’agriculture 9,5% et le commerce services (micro-unités) 61,4% avec une dominance du secteur privé (58,9%) de l’emploi total. Le nombre de salariés est évalué à 7 393 000 dont 3 508 000 non permanents. Le salariat est la forme dominante et touche 65,3% des personnes en activité, minimisant certainement le poids de la sphère informelle qui représente 50% de la superficie économique. La masse salariale, avec la dominance de la fonction publique comme nous le démontrerons par la suite, a évolué, en raisonnant à prix constants entre 2000/2013. Si l’on prend un taux de change unique 79 dinars un dollar pour toute la période 2000/2013, nous aurons : 11,55 milliards de dollars en 2000, 17,72 milliards de dollars en 2005 (avant le lancement du programme de la relance économique), 30,64 en 2009, 36,79 en 2010, 50,00 en 2011, 55,94 et 57,14 milliards de dollars fin 2013 (source ONS). En 2000, le produit intérieur brut (PIB) selon l’ONS a été de 46,81 milliards de dollars en 2005 de 87,72, en 2009 de 111,02, en 2010 de 131,70, en 2011 de 170,39, en 2012 de 170,39 et en 2013 de 177,78 milliards de dollars. Ce qui donne un ratio masse salariale sur le PIB qui a évolué ainsi : 24,61% en 2000, 20,20% en 2005, 27,60% en 2009, 28,08% en 2010, 32,55% en 2011, 32,90% en 2012 et 32,17% en 2013, et avec l’abrogation de l’article 87 bis, il risque d’aller vers 40% du PIB. Ce taux ne serait pas inquiétant si la tertiairisation de l’économie avec une très faible productivité, et l’administration n’était pas dominante (emplois rente) et si existait une très forte productivité du travail, ce qui n’est pas le cas pour l’Algérie.
 2- Aussi, l’abrogation de l’article 87-bis de la loi n°90-11 du 21 avril 1990, relative aux relations de travail, aura une lourde répercussion sur le Trésor public. Le gouvernement avait déjà évalué l’impact en 2006 à 500 milliards de dinars pour la fonction publique et 44 milliards de dinars pour les entreprises publiques, soit au cours de l'époque 7 à 8 milliards de dollars annuellement. Entre-temps, en 2012, certaines catégories ont eu des augmentations de salaire, ce qui a permis de relever le plafond de ceux qui percevaient moins de 20 000 dinars par mois. Mais également entre-temps, nous avons eu une augmentation des fonctionnaires qui dépassent 2,1 millions en 2014, ajoutés aux emplois temporaires (entre 800 000 et 900 000 selon certaines sources), donnant trois millions de fonctionnaires permanents et non permanents ainsi que l’embauche au niveau du secteur économique, notamment le BTPH dont la majorité perçoit moins de 20 000 dinars. Par ailleurs, l’abrogation de cet article nivelle par le bas les salaires. Ainsi, une femme de ménage qui percevra 20 000 dinars se rapprochera du technicien qui perçoit 25 000 dinars, ou d’un jeune docteur d’Etat rentrant à l’université qui commence sa carrière à 45 000 dinars. Il faut donc s’attendre à moyen terme à des revendications salariales pour accroître l’écart nécessaire pour ne pas réduire la productivité du travail, et cela concerne tant la fonction publique que tout le secteur économique. Ainsi, l’impact du fait des ondes de choc avec des effets cumulatifs qui forcément s'en suivront, et ce que l’on oublie, le montant annuel pendant toute la durée de l'activité pourrait aller vers 9/11 milliards de dollars de traitements additionnel annuel vers 2016/2020, au moment où le risque est une chute des recettes de Sonatrach . Plus de 50% des PMI-PME dont le BTPH qui constituent 95% du tissu productif ne pourront pas supporter cette augmentation des salaires, la masse salariale dépassant souvent 50% de la valeur ajoutée ; elles incluront dans le prix de la marchandise ou des logements ces augmentations (inflation), ou licencieront ou demanderont au gouvernement des dégrèvements fiscaux ou des taux d’intérêt bonifiés, supportés par le Trésor public. Déjà avec un déficit budgétaire de 4 100 milliards de dinars prévu par la loi de finances 2015, cela réduira d'autant le fonds de régulation des recettes. Faute de quoi ils alimenteront la sphère informelle qui représente déjà 50% de la superficie économique.
 3- Pour atténuer l’impact négatif sur le Trésor public, il faudra donc forcément relever le niveau de production et de productivité renvoyant à une nouvelle politique socioéconomique axée sur la production et l’exportation hors hydrocarbures. Le programme 2004/2013 a été consacré aux infrastructures qui ne sont qu’un moyen expliquant malgré une dépense colossale un taux de croissance relativement faible de 3% durant cette période, alors qu’il faut 8/9% de taux de croissance pendant au moins 5/7 ans pour éviter des remous sociaux et améliorer le pouvoir d’achat des Algériens. Or, la productivité globale est une des plus faibles au niveau du Bassin méditerranéen (l'Algérie dépensant deux fois plus pour avoir deux fois moins d’impacts au niveau de la région MENA), la cause essentielle étant la bureaucratie, le système financier et socio-éducatif non adapté, la solution étant d'encourager l'entreprise publique, privée locale ou internationale à valeur ajoutée et son fondement le savoir. Certes, dans le pouvoir d’achat, il faut inclure les transferts sociaux et les subventions (25 milliards de dollars en 2013 pour acheter la paix sociale et cela n’est pas tenable dans le temps). Or, dans un pays normal, l’on ne distribue que ce que l’on a préalablement produit. Certes, le projet de budget 2015 prévoit un taux d’inflation à hauteur de 3%, mais ce taux est compressé artificiellement par les subventions sans lesquelles il approcherait les 10%. Aussi, un débat national sur les subventions généralisées, non ciblées, devient urgent. Il y a lieu de prévoir leur budgétisation par le Parlement avec une affectation précise et datée par une chambre de compensation aux secteurs inducteurs et les catégories les plus vulnérables afin d’éviter le gaspillage et les fuites hors des frontières. Aussi, attention à la dérive inflationniste.
4- L’objectif est de tenir compte des nouvelles réalités mondiales, notamment des profonds bouleversements géostratégiques qui s’annoncent dans la région. Tiendra-t-elle ses engagements notamment des accords que l’Algérie a signés en toute souveraineté. Ainsi, le tarif douanier sera de zéro en 2020 ( report de trois années prévu en 2017) et l’Algérie aura-t-elle des entreprises compétitives en termes de coût et qualité s’insérant dans la nouvelle division internationale du travail, les accords prévus avec l’OMC représentant 85% de la population mondiale, et plus de 95% des échanges mondiaux depuis l’accession de la Russie, étant encore plus contraignants ? Car il existe une très profonde injustice sociale, une concentration excessive du revenu national au profit d’une minorité rentière (non de ceux qui produisent des richesses), qui ne paye pas ses impôts. A ce titre, il faut revoir impérativement le système fiscal actuel, le niveau de l’impôt direct dans une société mesurant le degré d’adhésion de la population. Le système d’impôt est au cœur même de l’équité. Mais l’impôt peut tuer l’impôt, car il modifie l’allocation des ressources réalisée, notamment l’offre de capital et de travail ainsi que la demande de biens et services. Un système fiscal efficace doit trouver le moyen de prélever des recettes en perturbant le moins possible les mécanismes qui conduisent à l’optimum économique et s’articuler autour des prélèvements faiblement progressifs sur des assiettes larges, ce qui n’altérerait pas nécessairement leurs caractères redistributifs.
En résumé, il faut à tout prix éviter une vision populiste de court terme. Après 50 années d’intendance, Sonatrach est assimilable une banque primaire, ayant permis d’engranger plus de 700 milliards de dollars en devises entre 2000/2013 et l’importation en devises de plus de 500 milliards de dollars. Le pouvoir d’achat et les emplois créés sont corrélés à la rente à plus de 70%, ce que l’on appelle le syndrome hollandais : environ 97/98% d’exportation d’hydrocarbures (2/3% hors hydrocarbures étant constitué de déchets d’hydrocarbures et de métaux ferreux et non ferreux) et 70% des besoins des ménages et des entreprises publiques et privées dont le taux d’intégration ne dépasse pas 15% .La réalité est amère d’autant plus que je suis persuadé que l’Algérie a des potentialités et peut surmonter la situation actuelle, si l’on veut éviter d’éponger tant le fonds de régulation des recettes que les réserves de change à l’horizon 2020. Il s’agira durant cette période difficile où s’imposeront des ajustements économiques et sociaux douloureux, mais profitables à terme au pays, de concilier l’efficacité économique avec une très profonde justice sociale renvoyant à la moralité de ceux qui dirigent la Cité et donc d’une profonde démocratisation des décisions politiques et économiques, et ce, grâce à un dialogue permanent, fondement de l’Etat de droit et d’une nouvelle gouvernance.
Dr Abderrahmane Mebtoul, professeur des universités, expert international
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