Michel Chossudovsky à Algeriepatriotique : «Les éléments de déstabilisation en Algérie sont déjà là»

Algeriepatriotique : Vous avez établi «26 vérités» que le président américain Barack Obama veut cacher au monde sur le groupe terroriste Daech, selon vous. Pouvez-vous nous en citer quelques-unes ?

Algeriepatriotique : Vous avez établi «26 vérités» que le président américain Barack Obama veut cacher au monde sur le groupe terroriste Daech, selon vous. Pouvez-vous nous en citer quelques-unes ?
Michel Chossudovsky :
Avant de répondre de manière précise à cette question, il est nécessaire de faire un historique. Les Etats-Unis ont appuyé le réseau Al-Qaïda depuis le début de la guerre soviéto-afghane. On parle, ici, du début des années 1980. Nous savons fort bien que des camps d’entraînement de la CIA ont été mis en place, notamment au Pakistan. En fin de compte, cette structure d’appui aux groupes terroristes date de longtemps. La CIA dira que ce n’est pas vrai puisqu’Al-Qaïda s’est retournée contre nous, mais en réalité, c’est un instrument qui a été utilisé depuis le début et dans de nombreux pays. Si on regarde de plus près, on constate que la formation qui a été réalisée dans les camps d’entraînement et les écoles dites coraniques en Afghanistan se basait sur des manuels djihadistes publiés aux Etats-Unis. Donc, il s’agissait d’une opération d’envergure au niveau des services de renseignement, qui visait à engendrer des militants dits islamiques. Cela est important, parce que ce n’est pas le produit de la société musulmane. C’est le produit des services de renseignement. Prenons si vous voulez des exemples. Eh bien, l’exemple le plus flagrant, en ce moment bien sûr, c’est le groupe Etat Islamique qui est impliqué dans une opération en Irak et, depuis 2011, dans l’insurrection en Syrie.
Le groupe terroriste Daech est protégé et non combattu par ceux qui l’ont créé, à savoir les services de renseignement américains, britanniques et israéliens pour une mission bien précise, estiment de nombreux analystes. Quelle est cette mission ?
Il est très bien établi que l’EI – qui d’ailleurs existe depuis quelques années, on a seulement changé le nom – est une création des services de renseignement occidentaux. Il y avait également un réseau en Irak. Nous savons que ce groupe djihadiste fut soutenu depuis le début de l’insurrection, en mars 2011. Les Etats-Unis ont utilisé leurs alliés pour atteindre cet objectif. D’une part, l’Otan et le haut commandement turc ont mené une campagne de recrutement de djihadistes, de l’autre, nous avons le rôle joué par les alliés des Etats-Unis dans le golfe Persique, à savoir l’Arabie Saoudite et le Qatar, impliqués dans la formation dans les camps d’entraînement. Nous avons, ici, le recrutement de mercenaires qui sont à la solde militaire occidentale. En Syrie, l’objectif était de créer une déstabilisation du gouvernement séculaire de Bachar Al-Assad, de détruire l’infrastructure et tuer les civils, et de mener, éventuellement, une transition qui n’a pas eu lieu. Ce qui est très important là-dedans, c’est de comprendre que ce groupe, à la solde de l’alliance militaire occidentale et d’Israël depuis 2011, est considéré, depuis peu, comme un ennemi du monde occidental. C’est le monde à l’envers.
Vous dites que les Américains ont appuyé le réseau terroriste depuis l’administration Reagan. Peut-on savoir comment Washington est-il passé, carrément, du soutien au terrorisme à la création de groupes terroristes à l’image d’Al-Qaïda ?
Ils ont créé ces réseaux, c’est certain. Ces réseaux ont une certaine autonomie face aux architectes des services de renseignement, ceci pour créer une certaine légitimité et pour ne pas donner l’impression que ce sont des agents. Alors que les dirigeants de ces réseaux terroristes sont conscients des liens qu’ils ont avec le pouvoir de l’alliance militaire occidentale et des réseaux des services de renseignement, les moudjahidine qui sont impliqués dans les combats ne sont nullement au courant. Il faut que l’illusion du califat soit maintenue et que les gens y croient. Ce soutien vient par le financement d’une part et par l’apport d’agents des forces spéciales qui intègrent les formations terroristes, de l’autre ; ajoutons à cela les flux d’armement. Vous soulevez une question fondamentale : d’un côté, on a présenté ces formations terroristes comme des libérateurs, impliqués dans des actions révolutionnaires comme en Afghanistan. D’ailleurs, nous retrouvons ce même discours en Bosnie-Herzégovine, au Kosovo et même en Libye. On soutient des groupes terroristes et on leur donne un visage politique qui est celui de la libération. D’un autre côté, on les utilise aussi pour justifier des campagnes militaires qui visent à combattre le terrorisme. Il y a peut-être une confusion au niveau des concepts, mais le public, tellement mal informé à ce sujet, ne comprend pas qu’à une certaine époque, les Etats-Unis ont soutenu les djihadistes en les présentant comme des libérateurs, comme ce fut le cas de la Libye, pour ensuite les montrer comme les ennemis de la civilisation. Et vous avez cette même logique en ce qui concerne la Syrie. Et les mensonges médiatiques vont encore plus loin : on sait fort bien que depuis le début de la guerre en Syrie en 2011, les groupes djihadistes étaient financés et soutenus par l’Occident, d’ailleurs, nous avons les preuves et la presse israélienne le confirme. Même Netanyahu admet que les forces de l’armée israélienne ont soutenu les terroristes en Syrie. Donc, nous avons des terroristes soutenus depuis le début du conflit et qui ont été présentés comme des libérateurs, plus précisément le groupe d’Al-Nosra qui travaille de pair avec l’EI. L’opinion publique a été informée que ces groupes étaient des révolutionnaires alors que tous les groupes de l’opposition étaient en exil. Bien sûr, tout ceci était très incohérent. De 2011 à 2014, les Etats-Unis et leurs alliés ont soutenu l’EI et, du jour au lendemain, ils rentrent avec des véhicules Toyota en Irak et on les présente comme des envahisseurs ; on justifie l’intervention militaire occidentale, à savoir le bombardement, comme étant une opération contre des terroristes, alors qu’en réalité, ces bombardements visent les infrastructures, les raffineries de pétrole, la base industrielle et bien sûr les civils. En ce moment, les Etats-Unis sont en train de protéger les formations de l’Etat Islamique en Irak. Et notez bien cela, il était très facile de les éliminer dans le désert syro-arabe, lorsqu’ils ont traversé la frontière, en territoire ouvert. Une opération aérienne très facile à mener. Mais ils les ont protégés en veillant à ce qu’ils puissent opérer en tant qu’entité terroriste en Irak.
Comment expliquez-vous le soutien, voire l’implication de l’Arabie Saoudite, du Qatar et de la Turquie dans l’émergence de cette nébuleuse sanguinaire qu’est le groupe Daech ?
Cette relation remonte aussi à la guerre soviéto-afghane. Les services de renseignement notamment du Pakistan, mais aussi ceux de l’Arabie Saoudite, ont joué un rôle dans le recrutement. N’oublions pas qu’Oussama Ben Laden a été recruté par la CIA. Oussama Ben Laden fait partie d’une famille d’Arabie Saoudite connue dans le domaine des finances et très amie avec la famille Bush. Les services de renseignement saoudiens ont travaillé de pair avec leurs collègues des Etats-Unis. En fait, les services de renseignement, qu’ils soient au Pakistan ou en Arabie Saoudite, sont quasiment des filiales de la CIA. Les Etats-Unis ont toujours demandé à leurs alliés de faire ce genre de travail. La CIA est toujours en retrait, mais il y a des réunions de coordination qui se tiennent et on sait maintenant que les djihadistes sont recrutés dans le golfe Persique. Ils sont formés dans des camps d’entraînement au Qatar et en Arabie Saoudite et financés par ces deux pays également. Cela entre dans le cadre de rapports bilatéraux avec les Etats-Unis. On sait, également, qu’en Arabie Saoudite, des prisonniers ont été libérés et envoyés comme mercenaires en Syrie.
Quelles visées ont-ils ?
Je sais que cette question est souvent soulevée : le Qatar et l’Arabie Saoudite ont-ils des visées hégémoniques. D’abord, le Qatar, ce n’est pas un pays. C’est un territoire contrôlé par l’Occident. L’Arabie Saoudite est certainement un pays avec une histoire, mais je ne pense pas qu’elle a des visées hégémoniques. L’Arabie Saoudite est un allié et également un instrument du pouvoir occidental, notamment des Etats-Unis et de la Grande-Bretagne et je crois que c’est dans cette perspective qu’il faut la voir. La Turquie est un membre de l’Otan. D’ailleurs, elle a une participation importante, en termes de force militaire. Au début de la guerre en Syrie, selon des sources israéliennes, le haut commandement turc avait collaboré directement avec l’Otan dans le recrutement des terroristes, et nous savons maintenant qu’elle est en train d’héberger les terroristes sur ses frontières avec la Syrie. Nous savons que cette frontière joue un rôle très important dans l’insurrection en Syrie. La Turquie joue un rôle dans le cheminement des armes et du financement vers les terroristes et facilite également leur entrée en Syrie. Et cela est confirmé. Il faut aussi comprendre que la Turquie a des visées hégémoniques dans la région à savoir annexer une partie de la Syrie. Il y a une alliance très étroite entre Washington et Ankara, également, il y a une alliance militaire et au niveau des services de renseignement entre la Turquie et Israël, laquelle alliance remonte aux années 90. Un autre élément de poids, c’est qu’Israël aide les terroristes dans le Golan. Ils ont un hôpital au service des djihadistes blessés en provenance de la Syrie. Il faut comprendre que l’alliance militaire occidentale inclut des partenaires, notamment l’Arabie Saoudite, les Emirats et Israël ainsi que la Turquie dont le rôle est important dans cette alliance.
Vous avez parlé de la mondialisation de la guerre faite d’un cheminement de conquêtes, de déstabilisations, de coups d’Etat dans différentes régions du monde, et ce, en utilisant des entités terroristes qui sont l’instrument du pouvoir américain. Quel avenir les Etats-Unis réservent-ils pour le monde arabe dans le nouvel ordre mondial ?
Un mot en ce qui concerne la mondialisation de la guerre. Effectivement, il y a un projet de mener une guerre au niveau mondial. Toutes les guerres qui sont menées au Moyen-Orient, en Afrique subsaharienne, en Asie centrale, toutes les insurrections qui ont surgi, que ce soit Boko Haram au Nigeria, les Shebab en Somalie, les soulèvements en Libye et en Syrie, tout cela fait partie d’un projet de la mondialisation de la guerre. Ce sont des guerres non conventionnelles, néanmoins, l’objectif est de déstabiliser les pays. En ce qui concerne le monde arabe, le projet finalement est, certainement, d’installer des gouvernements qui sont des gouvernements fantoches, des instruments du pouvoir occidental et ceci a lieu dans de nombreux pays. L’autre élément de poids, c’est que la tendance actuelle aussi bien dans le Maghreb qu’en Afrique de l’Ouest et centrale, c’est d’écarter la France en tant qu’entité influente. Ces pays sont d’anciennes colonies de la France qui ont toujours des liens très étroits avec cette dernière. Mais si on suit un peu la logique de ces interventions, notamment en Libye, c’est d’établir une porte d’entrée vers les pays qui ont des liens avec la France et ceci ne se réalise pas sans qu’il y est, en même temps, l’installation de régimes politiques en France qui sont nettement pro-Etats-Unis ; c’est le cas de Sarkozy et celui de François Hollande. Je sais qu’un président français accepte que les pays qui anciennement faisaient partie de la zone d’influence française soient transférés vers les Etats-Unis, comme le Mali ou la Côte d’Ivoire, c’est une chose qui requiert une certaine complicité des dirigeants français, Charles de Gaulle, lui, ne l’aurait jamais accepté. Voilà la tendance, et au Maghreb, on le voit très bien. La Tunisie, l’Algérie et le Maroc sont de plus en plus sous influence des Etats-Unis. On a bien vu en Algérie le scandale concernant la construction d’une base américaine. Il y a d’autres phénomènes qui doivent être mentionnés. Le Rwanda, par exemple, n’était pas une colonie française. Au lendemain de l’indépendance, il a intégré la francophonie et avait des liens très étroits avec la France et du jour au lendemain, le Rwanda devient un pays anglophone. C’est le pouvoir américain qui prévaut sur celui de la France. Beaucoup d’exemples de la sorte montrent que la France est écartée et cela remonte à la guerre d’Indochine. Et ce qui se passe dans le continent africain, aussi bien au Maghreb qu’en Afrique subsaharienne, c’est le développement du pouvoir américain sou le commandement de l’Africom.
Le philosophe russe Alexandre Douguine a estimé, dans un entretien accordé à notre journal, que l’Algérie serait la prochaine cible dans ce projet de déstabilisation du monde arabe. Peut-on connaître votre avis là-dessus ?
Je ne veux pas faire de prévisions basées sur des informations très controversées en ce moment. Je crois que les éléments de déstabilisation en Algérie sont déjà là. J’ai mentionné l’exemple des bases militaires, mais je ne pense pas qu’il faille à ce point commencer à faire des prédictions. Mais si vous voulez, du point géopolitique, oui, parce que les Etats-Unis considèrent l’Afrique du Nord, de l’Egypte au Maroc, comme faisant partie d’une entité géopolitique sur laquelle ils veulent établir leur pouvoir. Ils l’ont en Egypte, en Libye et d’une certaine façon en Tunisie. C’est certain ! Si on regarde la tendance vers la militarisation et la déstabilisation, c’est certainement le cas. Je devrais mentionner l’autre élément de poids : l’application dans tous ces pays de la politique du Fonds monétaire international qui a contribué à la déstabilisation préalable des économies nationales. D’une certaine façon, la déstabilisation sur le plan géopolitique, qui est mise en œuvre par des opérations à caractère terroriste, a lieu sur un fond de déstabilisation économique qui est le résultat des ajustements structurels menés depuis les années 80. Je connais très bien le cas du Maroc, dont toute la structure économique a été déstabilisée dans les débuts des années 90 avec les mesures d’austérité et la déréglementation du commerce. Voilà, donc, le préalable à la déstabilisation sur le plan géopolitique.
Entretien réalisé par Mohamed El-Ghazi
 

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