La liberté d’expression en Algérie : entre mythe et réalité

Par Abdelkader Benbrik – La liberté d’expression en Algérie est-elle un mythe ou une réalité ? La liberté d’expression va avec la liberté de la presse. Comment ménager cette liberté et employer les mots qui ne dérangent pas, pour pouvoir faire circuler le message et informer le lecteur ? Les anciens journalistes qui se sont rodés dans les rouages des journaux gouvernementaux, avant le pluralisme de la presse, qui étaient des autocenseurs, eux seulement peuvent apprécier le changement et donner un taux d’avancement, de stagnation ou de dégradation ! La liberté de la presse en Algérie diffère de celle des autres pays du Maghreb par exemple où une simple caricature sur la maladie du roi entraîne la foudre du Makhzen sur l’auteur, le patron, et c’est tout le journal qui est suspendu ! Si l’Algérie a enregistré un taux d’avancement positif dans le champ de la liberté d’expression depuis 1988, grâce au prix versé par le sacrifice de plus d’une centaine de journalistes tombés assassinés, il n’en demeure pas moins qu’il y a toujours un «parcours du combattant» et des contraintes pour arriver aux sources d’information qui souvent optent pour le black-out. Par ailleurs, il n’existe en Algérie ni de décret ni loi de censure et c’est un bon signe, pourvu que ça dure. Seulement, une coutume adoptée par certains politiques depuis l’indépendance qui continuent à s’opposer à la presse par le silence, se cachant derrière une soi-disant «autorisation». Ce qui démontre une fuite des responsabilités, sinon de l’incompétence et le manque de courage devant la presse. Nous avons d’ailleurs constaté que certains walis ont poursuivi des journalistes en justice pour une simple publication. Le wali qui est le représentant du gouvernement, s’il jugeait que le travail d’un journaliste est diffamatoire, il devrait d’abord informer la tutelle par un dossier bien argumenté et c’est la tutelle qui décide de la procédure à suivre, dans le cas où elle refuse d’user du droit de réponse. Certains walis sont vraiment des walous, parachutés par accident !
La presse et les responsables
La presse, dit-on, n’est guère prisée par beaucoup de responsables politiques, mais elle fait rire et pleurer bon nombre d’officiels algériens : ils sont trop bien placés pour ne pas reconnaître, par exemple sous la caricature forcée, ou entre les lignes d’un article, une vérité… Certainement, la presse algérienne mettra au moins du temps pour décoller de ses propres ailes, si tout va bien dans un pays comme l’Algérie, immensité du territoire, pauvreté des infrastructures, délabrement des équipements, manque d’experts, cohésion nationale encore embryonnaire dans un pays où prime encore l’appartenance à la tribu et la région. Bien que depuis que la psychologie de groupes existe, l’on sait que celui qui détient l’information, en même temps qu’il cristallise les rêves d’un groupe, d’une société, en devient le moteur dans ce qu’elle peut avoir comme mission d’organiser, de structurer et surtout de réguler la vie d’un groupe ou d’une société bien en panne ! Malheureusement, la presse algérienne constate autant de faiblesses congénitales que viennent aggraver ces maladies endémiques depuis l’indépendance et surtout depuis l’ouverture du pluralisme de la presse. Cet outil d’information n’a fait qu’enregistrer la gangrène qui a atteint les membres influents de la société : la négligence et la corruption. Un seul but : survivre pour les plus pauvres, et s’enrichir pour plus riches. Alors, certains truands trafiquent, se débrouillent, combinent, achètent ou se font acheter. Pas une transaction possible sans «magouille». Une demande de crédit, une démarche quelconque empruntant les circuits «normaux» s’évanouissent dans les tiroirs comme l’oued dans le désert. Ce n’est plus un fléau, c’est un système économique de remplacement dans tout ça, la presse doit s’impliquer avec son unique arme qui est la liberté d’expression, combattre le mal avec la plume et faire face aussi à toute l’armada bien organisée ! Dont le crime organisé par «la mafia» et les ennemis de la plume qui sont d’ailleurs nombreux dans nos jours. La protection des sources d’information n’est pas assurée, certaines procédures musclées sont constatées à l’encontre des journalistes par certains membres de l’autorité, parfois locale, lors des événements. L’absence d’un club de la presse qui doit réunir les gens de l’information est renforcer leur structure est criante. Ce sont des contraintes pour le développement de la presse algérienne et qui défavorisent surtout la liberté d’expression. Que faire d’autre, quand le sens de l’Etat fait aussi défaut ? Comment existera la presse décemment, quand les journalistes du bas et du haut de l’échelle rencontrent quotidiennement des obstacles pour arriver à la source de l’information et déploient sans cesse des efforts considérables tous les jours, cent fois plus qu’un député ou un sénateur ! Leur unique but est d’assainir la société, défendre leurs compatriotes et plaider les causes justes. Pour cela, les journalistes revendiquent le libre accès à toutes les sources d’information et le droit d’enquêter librement sur les faits qui conditionnent la vie publique. Le secret des affaires publiques ou privées ne peut en ce cas être opposé au journaliste par exception et en vertu de motifs clairement exprimés. Le journaliste ne peut être contraint à accomplir un acte professionnel ou exprimer une opinion qui serait contraire à sa conviction ou à sa conscience. L’indépendance d’un journal pèse-t-elle sur la libre expression ? Que pèse la liberté d’expression devant le «serrage du robinet» ? Les investigations propres à la presse, bien ficelées avec toutes les preuves, ne seront plus crédibles dès l’apparition de l’article au moment où un simple démenti expédié le jour même ridiculisera le journaliste, si ce n’est une transformation en diffamation. Alors, qui donnera raison au journaliste et plaidera en sa faveur, devant la présence d’une «force obscure» puissante qui veut occulter la vérité ? Les critères des sciences sociales ne sont d’aucune utilité pour tenter une approche sérieuse de nos médias de masse, surtout la presse écrite. Les thèses des «sciences» de l’information et de la communication ne sont pas valables. Ce qui est possible, par contre, c’est élaborer une théorie de la pratique quotidienne pour tenter une synthèse. Dans le monde entier, il suffit de faire une analyse du système (ou du journal), de ses structures, pour savoir si un journal est «indépendant» ou non, dans les limites des contraintes qui lui sont imposées à la fois par les pouvoirs en place, l’Etat, les sources de l’information, l’opinion publique, la publicité, et bien sûr le propriétaire du journal. C’est ici que réside la lutte quotidienne du journaliste dit «indépendant» qui croit être armé de la liberté d’expression. Bien qu’il vive aussi le signe nouveau d’une démocratie qui sort peu à peu des limbes. Son unique souci c’est de défendre la société, défendre ses compatriotes, en général, défendre l’Algérie, sa partie, et surtout se mettre dans la tête que le journal d’information n’est pas un parti politique, ni du pouvoir ni de l’opposition. Sa neutralité pèse beaucoup sur son intégrité. Sa seule mission est d’informer et défendre les principes de la nation, de la République, analyser et préparer les synthèses politico sociales et culturelles. La presse algérienne prend des risques, mais parie raisonnablement sur l’avenir. En espérant toutefois qu’elle parviendra un jour à rétablir le message de l’information et le respecter aussi et, en même temps, secouer ses vieux démons en toute liberté d’expression ! Le journalisme à l’algérienne touche à tout et surtout aux trois clefs de voûte du pays : la politique, la culture et l’économie. Est-ce que sur le plan matériel, le journaliste algérien est moins fragile ? Est-ce à dire qu’avant le pluralisme des médias, la presse dite du «parti unique» était plus présentable sur le plan moral ? La réponse est, hélas !, non. Si des journalistes étaient muets, un certain nombre infestait les wilayas pour se faire octroyer des avantages. Certains députés et walis de cette époque en savent quelque chose. Les devoirs essentiels du journaliste dans la recherche, la rédaction et le commentaire des événements sont : respecter la vérité, quelles qu’en puissent être les conséquences pour lui-même, et ce, en raison du droit que le public à connaître la vérité ; défendre la liberté de l’information, du commentaire et de la critique ; publier seulement les informations dont l’origine est connue ou dans le cas contraire les accompagner des réserves nécessaires ; ne pas supprimer les informations essentielles et ne pas altérer les textes et les documents ; et garder le secret professionnel et ne pas divulguer la source des informations obtenues conditionnellement. Un journaliste doit toujours refuser toute pression et n’accepter de directive rédactionnelle que des responsables du journal. Le journaliste n’accepte en matière d’honneur professionnel que la juridiction de ses pairs, à l’exclusion de toute ingérence gouvernementale ou autre. D’ailleurs, nous ne sommes pas isolés du monde, la liberté d’expression en France, qui se dit pays des droits de l’Homme, souffre plus que notre «autocensure» avec l’abus des éditeurs des journaux qui ne cherchent que la publicité au lieu d’informer – des «khobzistes» quoi ! – et le silence des politiques et des exécutifs. Un recul flagrant de la liberté d’expression est constaté au pays des mirages. En matière de liberté d’expression, la France est classée cette année à la 43e position, bien loin du Danemark, de la Suisse, de la Belgique, de la Suède, des Etats-Unis, du Costa-Rica, du Ghana et du Mali, entre autres. La France demeure un mauvais élève en matière de liberté de la presse. La raison d’Etat et le secret défense sont les obstacles les plus répandus que rencontre le journaliste français. Alors que chez nous, l’atteinte à l’intégrité et la diffamation, réunies dans la conjoncture sécuritaire, barrent souvent la route au journaliste, sans oublier les caviardages des directeurs de la publication, malgré eux, alors, que tout individu a droit à la liberté d’opinion et d’expression, ce qui implique le droit de ne pas être inquiété pour ses opinions et celui de traiter les nouvelles selon leurs conjonctures. En France, la liberté d’expression était un droit compris dans la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen de 1789, néanmoins, un décret de Napoléon rétablit officiellement la censure en 1810, tandis que les ultra-royalistes feront passer des lois régissant la liberté de la presse, sous la restauration (1815-1830). La censure perdura tout au long du XIXe siècle, jusqu’aux lois sur la liberté de la presse en 1880-1881, sous la troisième République. Elle sera rétablie pendant la Première Guerre mondiale, menant, entre autres, à la rédaction d’un journal satirique «Le canard enchaîné» en 1915, qui utilise le ton satirique pour échapper aux censeurs. La loi de 1955 sous l’Etat d’urgence votée pendant la guerre d’Algérie est encore en vigueur, qui permet aujourd’hui la censure en autorisant le ministère de l’Intérieur et les préfets à prendre toute mesure pour assurer le contrôle de la presse, la radio et la télévision. La France demeure le pays qui a battu tous les records dans la censure multiple, allant de la presse écrite à la radio et télévision jusqu’aux éditions des livres et la peinture. Mais cette censure visait uniquement ce qui est une vérité sur les aspects de la France colonialiste et sur «Israël». Les livres censurés et interdits se comptaient par dizaines : «Les protocoles des sages de Sion» censuré en 1990 ; «La question» d’Henri Aleg censuré en 1958 ; «Hitler SS» de Jean-Marie Gourio et Phillipe villemim ; «Les damnés de la terre» de Frantz Fanon censuré en 1961 ; «Main basse sur le Cameroun, autopsie d’une décolonisation» de Mongo Beti censuré ; «Les camps de concentration allemands 1941/1945, mythes propagés, réalités occultées» brochure de Vincent Reynouard censuré ; «Le massacre d’Ouradour, un demi-siècle de mise en scène» censuré ; «Le licite et l’illicite en islam» de Cheikh El Qaradaoui, censuré ; «L’holocauste au scanner» censuré ; toutes les œuvres du Cheikh Ahmed Didat, une vingtaine, interdites en France ; «Kol El-Ârab», revue hebdomadaire éditée à paris, suspendue depuis des années ; «Destour», revue arabe financée par des Jordaniens, éditée à paris, suspendue depuis des années ; «Al Ârab» journal en langue arabe, interdit en France ; «Le Canard Enchaîné» a vu des numéros retirés de la diffusion ; la chaîne de télévision Al Manar, Liban, retirée du satellite Hotbird. Cela n’est qu’un exemple de la longue liste de la censure à répétition en France, pays des droits de l’Homme et de «Reporters sans frontières» ; une simple analyse nous décrit la nature exacte de ceux qui commanditent la censure en France. Nous avons pris le volet français comme exemple, car la censure sévit dans ce pays qui a décrété la loi de 1901, qui peut interdire de publier un simple droit de réponse. Donc, en Algérie, la question de la liberté de la presse demeure certainement fragile, mais la censure n’est régie par aucun décret ni loi, par rapport aux autres pays du Maghreb, même le code de l’information n’a plus cours, ce qui diffère aussi des Français. Reste à convaincre l’armada des responsables administratifs et politiques algériens de ne pas entraver la mission de l’information en employant l’abus de pouvoir ou d’autorité et de permettre au journaliste de s’informer pour informer. Le 3 mai est une journée commémorative et non festive. La Journée mondiale de la liberté d’expression est une journée commémorative et de solidarité avec toutes les voix oppressées arbitrairement dans le monde. L’Unesco soutient la liberté d’expression et la liberté de la presse en tant que droits fondamentaux de l’être humain. Les actions les plus célèbres dans ce domaine ont été la proclamation en 1993, par l’assemblée générale des Nations unies, d’une journée mondiale pour la liberté de la presse, célébrée le 3 mai de chaque année. Aussi, il a été créé un comité de la presse dont les membres sont des professionnels des médias du monde entier, suivi de la création en 1997 du prix mondial Unesco/ Guillermo Cano sur la liberté de la presse. Mais il a été constaté que la presse arabe est délaissée. C’est pourquoi les journalistes arabes avaient formulé le désir de créer un prix mondial de la presse arabe. La réponse tarde toujours à venir. Ce sont toujours les ministres arabes de l’Information qui décident. Pour certains d’entre eux, toutes ces chaînes de télévision, appelées par le citoyen arabe «des cabarets satellitaires», qui infestent nos foyers sans aucun respect des mœurs ni de décence, jouissent de la liberté d’expression ! Comme la caricature de la Hollande. Mais la chaîne arabe El-Manar qui émet du Liban a été tout simplement rayée du satellite Hotbird. Le deux poids, deux mesures se distingue clairement, bafouant tous les principes de l’ONU et de l’Unicef. Notre longue expérience nous a fait découvrir beaucoup de choses et beaucoup d’entraves qui ne s’inscrivaient nullement dans le jargon de la liberté d’expression ou de la presse. Si vous aimez la liberté, payez-en le prix.
A. B.
Journaliste, correspondant de guerre
 

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