Exclusif – Yves Bonnet à Algeriepatriotique : «La DGSE et le DRS n’ont pas de bonnes relations» (II)

Yves Bonnet DST France DGSE DRS
Yves Bonnet ancien patron de la DST. D. R.

Algeriepatriotique: Quel accueil présagez-vous à votre livre par une opinion publique française acquise à la thèse – répandue par certains médias français et les partisans du «qui tue qui» – de l’assassinat des moines «par l’armée algérienne» ?

Yves Bonnet : Mon livre n’est pas là pour convaincre l’opinion française. Je pense que celui-ci a une autre préoccupation : celle d’être un document de référence qui ne puisse pas être contesté et, à mon avis, ça devient extrêmement difficile de le contester. Je veux simplement contribuer, dans le possible de mes moyens et capacités, à ce que la vérité soit, une fois pour toutes, établie ; c’est une chose très importante. Je voudrais aussi, à cette occasion, rappeler ce pour quoi les moines sont venus en Algérie : y rester quitte à y mourir. C’étaient des hommes d’Eglise, que l’on soit croyant ou non, on ne peut pas ne pas respecter leur démarche. C’est une belle démarche, celle d’un témoignage religieux dans un dialogue entre deux religions, mais aussi entre deux pays.

Ce que j’aime dans les paroles de Mgr Teissier, c’est qu’il ne parle pas seulement en homme d’Eglise, qui a le souci de faire discuter et dialoguer musulmans et chrétiens, mais parle aussi en tant qu’homme qui souhaite voir s’harmoniser et s’améliorer le dialogue entre la France et l’Algérie. Il n’est pas seulement un homme d’Eglise mais il est aussi un citoyen ; un citoyen franco-algérien. Une chose m’a paru importante, si bien que je l’ai intégrée dans le dernier chapitre que j’ai intitulé «Islam en mémoire de Tibhirine». J’en ai discuté avec un des frères de Christian De Chergé (l’un des sept moines assassinés) qui voulait établir un dialogue religieux et spirituel entre l’islam et le christianisme. Ce dialogue est incontournable. On ne peut ne pas discuter entre musulmans et chrétiens. Si nous voulons vraiment conduire ce dialogue dans les meilleures conditions, il faut le spiritualiser.

Je suis profondément laïque, mais, là, je crois que la laïcité n’est pas suffisante. Il faut aller plus loin. C’est-à-dire qu’il est nécessaire que les gens en charge de la foi musulmane comme de la foi chrétienne recherchent ce dialogue et spiritualisent cette relation. Nous allons organiser une rencontre en octobre prochain, à Rouen, sous les auspices de l’archevêque de cette ville, entre catholiques et musulmans. Ces derniers, que j’ai contactés, sont très désireux de ce dialogue. Ce livre a cette fonction d’essayer de rappeler aux uns et aux autres la nécessité de la spiritualisation de ce dialogue. Je rejoins Mgr Teissier lorsqu’il dit que ce qui est lamentable dans cette polémique, c’est que la démarche des moines a été totalement oubliée. Je dirais même qu’elle a été déformée et salie par ces polémiques qui sont indécentes. Ces gens qui font cela sont vraiment odieux et ils sont nombreux.

Vous avez dirigé la DST et vous saviez – vous le confirmez dans votre livre – que les élections de 1991 n’étaient «ni propres ni honnêtes». Pourtant, François Mitterrand a considéré l’arrêt du processus électoral en janvier 1992 comme une «atteinte à la démocratie». Etait-il mal informé ou tenait-il à ce que le pouvoir en Algérie tombe entre les mains des islamistes ?

Je ne pense pas, quand même, que François Mitterrand voulait que les islamistes prennent le pouvoir en Algérie. En vérité, la relation de Mitterrand avec l’Algérie est une relation complexe et difficile. Je pense que Mitterrand a toujours été mal à l’aise s’agissant de l’Algérie. Honnêtement, lorsque j’étais en charge de la DST et que j’ai voulu nouer – ce que j’ai fait, d’ailleurs – des relations avec les services algériens, l’ancienne SM (la Direction centrale de la sécurité militaire, ndlr), je n’en avais parlé à personne. Comme je vous l’ai dit tout à l’heure, on passait notre temps à désobéir, mais je considérais que je ne sortais pas du cadre de mon métier.

Lorsque je suis arrivé à la DST, cette dernière entretenait des relations étroites et imprégnées d’une très grande confiance avec les services tunisiens qui n’étaient pas les meilleurs du monde, d’ailleurs, surtout qu’à sa tête, il y avait un responsable qui s’appelait Ben Ali. C’était pareil avec les services marocains. Par contre, la DST n’avait aucune relation avec l’Algérie et lorsque j’ai demandé à mes collaborateurs pourquoi, ils m’ont dit : «Voyons, vous n’y pensez tout de même pas !» J’ai demandé pourquoi. On m’a répondu : «Parce qu’il y a eu la guerre [d’Algérie] !» J’ai répondu : «Mais la guerre est finie depuis vingt ans ! Cela va durer combien de temps encore ?» J’ai discuté avec les Algériens. Nous leur avons fait un appel du pied et ils ont eu une réponse prompte. Lakehal Ayat et Smaïn Lamari ont répondu à notre appel sans hésiter. Nous nous sommes rencontrés et nous avons eu tout de suite le fit comme on dit au Bridge (le fait pour les jeux de deux partenaires de s’accorder l’un à l’autre, ndlr). La rencontre s’est parfaitement bien passée.

Je n’en avais pas parlé à Mitterrand. Ce dernier est le ministre de l’Intérieur et de la Justice qui a fait guillotiner un certain nombre de militants du FLN qui avaient été incarcérés au début de la révolution et furent considérés comme des criminels de droit commun. Par ailleurs, Mitterrand est l’auteur de la formule «l’Algérie c’est la France». Tout le monde à l’air d’oublier cela et cela fait quand même beaucoup. Il aurait pu se démarquer de ses prédécesseurs, mais il se sentait mal à l’aise. La politique de Mitterrand vis-à-vis de l’Algérie était une politique de prudence ; pas d’éclat, pas de vague. Lorsqu’il y a eu l’affaire de l’arrêt du processus électoral, une certaine fraction de la gauche – la droite étant traditionnellement anti-algérienne – s’est alors déchaînée dans la lignée de Libération et autres journaux d’ultragauche.

Le seul parti qui a eu une attitude claire sur l’Algérie c’est le parti communiste. Et c’est quelqu’un qui n’est pas communiste qui vous le dit. Evidemment, il y a toutes les bonnes âmes qui se sont, aussitôt, réveillées. Tous ces gens qui prétendent donner des leçons de démocratie au monde entier et qui n’étaient que trop heureux de montrer au monde entier que l’Algérie était un pays militaro-fasciste. Par conséquent, on a très facilement montré du doigt les gens qui avaient «fomenté coup d’Etat». L’ennui, c’est qu’ils étaient mal renseignés. Les seuls, à l’époque, qui étaient en mesure de bien renseigner le président de la République, c’étaient les gens de la DST, parce que la DST avait de bonnes relations avec les services de renseignement algériens. Mais, à l’époque – je ne me souviens plus qui était à la tête de la DST –, je pense que cette dernière n’était pas en mesure de faire remonter les informations crédibles et exactes au Président.

Par contre, il y avait la DGSE. En principe, dans ce genre d’affaires, c’est elle qui donne son avis et renseigne le gouvernement. Et puis, il y avait le Quai d’Orsay. Or, il faut savoir qu’au Quai d’Orsay, il y avait un lobby anti-algérien et Mitterrand était probablement soumis ou influencé par ce lobby. Quant à la DGSE, elle a toujours eu de mauvaises relations avec les services algériens pour une bonne raison : elle venait [en Algérie] faire de l’espionnage. Quand vous avez un service de renseignement extérieur dont la mission est l’espionnage, vous ne pouvez pas lui demander d’être en bonne relation avec ceux qu’il espionne.

Vous revenez dans votre livre sur l’épisode Sant’Egidio qui a parrainé des «négociations entre gens qui n’ont en commun que la haine du pouvoir des généraux». Quels étaient les véritables enjeux de la «plateforme de Sant’Egidio» signée en 1995, c’est-à-dire au summum de la barbarie terroriste en Algérie ?

Je ne cherche pas le pire ni la malveillance. Je suis vraiment convaincu qu’il y avait dans la démarche des animateurs de Sant’Egidio, au moins chez certains d’entre eux, probablement la volonté de rapprocher et de se rendre utile. Il y a aussi ce petit côté donneur de leçons qu’ont les Occidentaux. Il y a également ce désir et l’opportunité offerte à un certain nombre de gens de se manifester. Ah, j’ai oublié de dire aussi qu’il y a un parti politique qui, à mon avis, à joué un grand rôle dans tout cela. Ce parti, c’est le FFS. Dans FFS, il y a le «S» et à partir du moment où vous voulez être bien vu, il faut mettre le mot «socialiste». C’est le sésame : je suis socialiste, donc je suis quelqu’un de bien. Pour les socialistes français, si tu es socialiste, tu es bien, donc. Je sais que les Algériens sont socialistes, mais ils sont socialistes et populaires. Ce mot «populaire» efface le reste.

Le FFS a passé son temps à cartonner sur l’Algérie. Si Mitterrand et une fraction du parti socialiste ont été malveillants vis-à-vis de l’Algérie, je pense que l’Algérie doit dire merci à M. Aït Ahmed ; cela est clair et il faut que les Algériens le sachent. Tous les aigris se sont retrouvés à Sant’Egidio. En réalité, tous ceux qui, à tort ou à raison, estimaient être privés du pouvoir. Privés d’un pouvoir qu’ils avaient confisqué ou qu’ils voulaient confisquer. Le FFS, le FLN, le FIS, le PT et d’autres, se sentaient frustrés d’avoir perdu le pouvoir ou de ne pas l’avoir obtenu. C’était le grand rassemblement des aigris. Ils avaient en face d’eux des gens que j’aimais bien et qui sont devenus des amis proches. Un groupe de technocrates qui n’avait rien de dogmatique. Il y avait Ali Haroun, Leïla Aslaoui et d’autres personnes que je considère comme de vrais patriotes algériens.

Que pensez-vous du procès intenté par une ONG en Suisse au général en retraite Khaled Nezzar ?

Cela aussi, c’est odieux. Ces gens n’ont rien compris. Ils ne connaissent rien à l’Algérie, car si elle avait sombré dans le chaos aujourd’hui, tout le monde s’en mordrait les doigts, les Français en premier. Ce procès est un peu emblématique, révélateur plutôt de cette oreille complaisante qu’un certain nombre d’Européens offrent ou tendent à des gens qui viennent cracher sur leur propre pays. Malheureusement, il faut dire que dans toutes ces affaires, judiciaires ou médiatiques, il y a certains Algériens qui ont joué une mauvaise partition, en tirant systématiquement à boulets rouges sur leur pays, sous prétexte de satisfaire leur rancune, leur aigreur et leur déception. Là, ils tirent en dessous de la ligne de flottaison et ça, ce n’est pas bien.

Ce procès est injuste et indigne, parce qu’à mon avis, la décision prise à cette époque mérite la considération, le respect et la reconnaissance des concitoyens. Je ne comprends pas ce que les Suisses viennent faire là-dedans. C’est comme le juge Trévidic, mais là, c’est encore plus grave parce qu’il ne s’agit pas de morts, mais de gens en vie. De plus, derrière cette affaire, il y a toute l’armée algérienne qui est mise en cause. Entre nous, l’armée algérienne n’est pas l’armée d’Argentine ; l’armée algérienne n’a pas embarqué des gens dans des hélicoptères pour les larguer au-dessus de la mer…

Des attentats kamikazes ont eu lieu en Arabie Saoudite récemment. Les monarchies du Golfe, génitrices du terrorisme islamiste, sont-elles en train d’en subir les conséquences ?

Le terrorisme est un fabuleux boomerang. Les Américains se sont essayés à la discipline, en créant Al-Qaïda et en stipendiant Oussama Ben Laden et quelques autres. Les Saoudiens, avec les Qataris en tête, ont participé à la déstabilisation de certains pays, en particulier les pays areligieux, et, maintenant, le boomerang leur revient à la figure.

Interview réalisée par M. Aït Amara et Mohamed El-Ghazi

Lire la 1e partie de l’interview

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