S’abreuver avec un livre ou pérorer avec un politique

Par Abdelhamid Abdedaïm – C'est peut-être un cas particulier que ce «bouquiniste» de Sidi Bel-Abbès, mais qui ne serait pas sensible au sort de ce citoyen qui use de l'informel dans un créneau de plus en plus délaissé – et même abandonné – au point où les librairies sont en voie de disparition ? Et, là, nous n'évoquons que les locaux ; quant à l'aura du libraire apprécié sous l'angle poétique, il serait malvenu d'y référer. Il faut reconnaître que le pays consacre un budget colossal au secteur de l'éducation. Mais nous avons le sentiment que la lecture, fondement de la richesse du langage et du vocabulaire, est délaissée. Ce n'est pas les quelques heures qui lui sont consacrées dans les programmes scolaires qui suffiraient à assurer une assise culturelle à nos enfants. C'est par la lecture en dehors du cycle scolaire que toutes les nations développées s'attellent à élargir et à enrichir l'horizon culturel des jeunes, en plus de l'ambiance familiale qui les y incite. Aussi, l'exemple qui nous vient de Sidi Bel-Abbès a attiré toute notre attention par la symbolique qu'il représente. Nous l'évoquons, ci-après, crûment et sans détour.
On ne peut y croire. C'est certainement une coïncidence. La proximité de la wilaya ne peut être la raison de l'acharnement des hommes de la sécurité publique à faire évacuer le sympathique «Simo» qui fait partie du décor de la cité depuis une quinzaine d'années. Cet article est inspiré par ses malheurs qui ne sont autres que la misère culturelle dans laquelle nous nous complaisons tous, comme si ce pays était exsangue de ses richesses culturelles passées et présentes
On n’en est plus à une aberration près ou à une première incohérence de ce genre pour s'étonner de l'indifférence qu'on réserve à la culture. Pour inaugurer des centres culturels flambant neufs, on s'agglutine tous pour parader autour des autorités qui ne s'inquiètent pas outre mesure de la manière de gérer ces temples qui sont censés être affectés à une culture hautement valorisante. Regardez de près leur bilan d'activité ainsi que leurs programmes et vous constaterez qu'en dehors de quelques festivités folkloriques entachées de valeurs populistes des plus abjectes, il n'y a rien qui puisse valoriser un engouement et une ouverture vers un univers culturel sain où la beauté et la grâce nous incitent à rêver.
Comment s'étonner qu'on s'en prenne à ce «bouquiniste» en s’empêchant de s'attaquer à tout l'informel qui envahit les routes et les boulevards dans toutes les villes du pays ? C'est la marque d'un système qui gère le présent comme il gère les houles d'un océan capricieux. On est plus à l'écoute des «Chenaoua» (supporters ultras, ndlr) du MCA ou des supporteurs de l'USMBA (le club de football de Sidi Bel-Abbès, ndlr), que du devenir culturel de nos enfants, alors que le niveau de notre enseignement inquiète toutes les chaumières du pays. Ceux d’en haut ont les moyens d'y parer, mais ceux d'en bas, même avec la massification de l'école, ne récolteront qu'un ersatz de savoir au rabais.
Ignorons les vendeurs à la sauvette et les marchands de tabac et autres, et attaquons-nous au plus facile, le «seul bouquiniste» qui détonne dans une ambiance où l'ignorance fait école dans l'enrichissement inexpliqué et sans contrepartie aucune. Vous comprenez qu'un républicain ne peut justifier un mal par un autre. Mais reconnaissez que le choix du sanctionné pose un problème de conscience ! A qui accorder la priorité, au point où on en est avec l'informel ? Ce n'est pas le «bouquiniste» qui est la priorité ; ce sont ceux qui régentent les stationnements automobiles, avec gilets et autres bâtons mis en évidence ; ce sont ceux qui envahissent les trottoirs et même les chaussées avec des planches et des caisses pour préserver leur devanture, sans compter les gargotes de fortune qui fi de toutes les règles d'hygiène dont les autorités ont la charge. L'informel s'est installé avec son lot d'emplois marginaux qui font concurrence à la main-d'œuvre des secteurs agricoles et industriels. Il appartient au politique de valoriser l'emploi et d’exiger une meilleure productivité de la main-d'œuvre et du capital. Cela passe évidemment par la volonté politique d'éradiquer l'informel, «d'en haut et d'en bas», et d'élever le niveau culturel de la nation par la vulgarisation du livre qui ne préoccupe plus personne si l'on se réfère au nombre de librairies qui ferment. De grâce, laissez- nous notre bouquiniste en attendant que l'administration consacre à ce métier toute l'attention que les grandes capitales du monde accordent à cette activité ô combien symbolique du foisonnement culturel d'un pays ! «Paroles et écritures», seule bibliothèque gérée bénévolement par une équipe de femmes dévouées et qui forcent le respect, vit des moments difficiles, car n'arrivant pas à équilibrer le bilan eu égard à l'absence de donateurs qui préfèrent l'aura d'une mosquée ou des œuvres religieuses que le sponsor de l'émancipation de nos enfants par la pratique continue d'une lecture enrichissante. Si l'on en croit les échos qui nous sont parvenus, jusqu'à ce jour, cette bibliothèque n'a pu enregistrer que trois postulants depuis la rentrée scolaire, c'est dire le manque d'intérêt que l'éducation nationale accorde à la lecture qu'elle devrait susciter en plus du programme scolaire.
«Le jour où les hommes cesseront d’avoir peur, alors ils recommenceront à écrire des chefs-d’œuvre» (Faulkner)
A. A.

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