Interview – Mme Faraoun : «Je suis la ministre de tout le secteur et non pas d’Algérie Télécom»

Algeriepatriotique : Mme la Ministre, après bientôt six mois à la tête du MPTIC, quel constat faites-vous du secteur ?

Algeriepatriotique : Mme la Ministre, après bientôt six mois à la tête du MPTIC, quel constat faites-vous du secteur ?
Mme Imane-Houda Faraoun :
C’est une question que l’on me pose très souvent et ce n’est pas en quelques mots que je vais pouvoir y répondre. Dans ce secteur, il y a deux volets, aussi sensibles l’un que l’autre : la poste et les télécoms. Pour le premier volet, le secteur postal, le constat que je fais est celui de tout le monde, je crois. Il y a beaucoup de choses à déplorer, beaucoup de retard à rattraper et beaucoup de problèmes, il faut le reconnaître. Mais avec de la persévérance, de l’organisation et de l’intelligence, tout peut être réglé. Seulement, il nous faudra du temps. Ce n’est pas un secteur dans lequel nous pouvons faire des miracles, mais je pense que le jour où nous arriverons à le moderniser en y introduisant les TIC, nous pourrons, plus au moins, améliorer la situation. Le second volet, ce sont les TIC. Je constate malheureusement l’état d’esprit qui règne et qui veut que les TIC se résument à Internet et au téléphone, et surtout au câble auquel le citoyen est branché et à travers lequel il peut parler et surfer sur le web. C’est l’idée que se font les Algériens des TIC. Le plus triste, c’est que la majorité des cadres du secteur se font la même idée. Personne ne parle d’industrie lourde, de software, etc. Nous n’arrivons pas à dissocier le ministère du secteur des opérateurs du secteur. Je crois qu’au sein du département ministériel, comme au gouvernement d’ailleurs, le premier souci est celui du bien-être du citoyen. Je souhaiterais que chaque Algérien puisse avoir accès à Internet à moindre prix et avec tous les services qui l’accompagnent. Qu’importe que ce soit Mobilis, Ooredoo, Algérie Télécom, Djezzy, un opérateur privé ou public qui les fournissent. Nous sommes là pour mettre les mécanismes qu’il faut pour que tout le monde soit connecté. Cela est dû probablement à l’héritage des PTT. Nous voyons toujours la téléphonie fixe et Internet comme identifiants d’Algérie Télécom. Algérie Télécom, malgré tout ce que nous pouvons lui reprocher, est quand même un opérateur qui a réalisé beaucoup de choses, en particulier l’infrastructure des autoroutes de transport de l’information qui est gigantesque. Malheureusement, les défaillances du réseau d’accès occultent quelque peu cela. C’est un problème de tous les jours. Il y a tout un travail à faire, mais qu’une administration ne peut accomplir. Algérie Télécom, aujourd’hui, a gardé les réflexes d’une administration. C’est un établissement public économique, mais qui se comporte comme un établissement public administratif. Il faut ajouter, également, la négligence du volet industriel. Avec la nouvelle loi sur les investissements, il y a eu, quand même, beaucoup d’ouverture, mais il reste énormément d’efforts à faire, notamment dans la promotion du produit national à travers les opérateurs d’Internet. Quand le virtuel fera appel au hardware, nous mettrons en place un écosystème dans lequel les compétences se développeront, le marché du travail également, et nous verrons l’avènement alors d’un nouveau marché.
Quelles sont les leçons à tirer du dernier incident sur le câble sous-marin reliant Annaba à Marseille dont la rupture a failli isoler l’Algérie du reste du monde ?
Encore heureux que nous ayons deux câbles ! Il fut un temps où nous n’en avions qu’un seul et ça aurait été le black-out total. Il y a deux leçons à tirer. La première, c’est de multiplier les accès. Et – laissez-moi vous dire – le hasard fait parfois bien les choses. Nous avons reçu la lettre de crédit pour entamer concrètement les travaux du câble Orval, le dimanche qui a suivi la panne survenue jeudi, sachant que cela fait déjà quelques mois qu’on y travaille. Quelque part, je me réjouis de cette coïncidence. Si cela avait été avant ou après, cela n’aurait pas donné toute sa dimension à cet investissement important de l’Etat dont l’objectif est de mettre en place un câble deux en un : Alger-Valence et Oran-Valence. Ceci résoudra une partie du problème pendant un temps, parce qu’avec le développement des technologies et le besoin insatiable du consommateur pour le contenu, il faudra tout le temps augmenter les capacités. Ce qui me ramène à la seconde leçon : le contenu doit être hébergé en Algérie. Héberger le contenu, cela ne veut pas dire changer le nom d’un domaine, par exemple «.org» par «.dz». Les monopoles mondiaux tels que Google, YouTube, les réseaux sociaux connus, nous ne pouvons pas les concurrencer – d’ailleurs, la question ne se pose même pas –, mais nous pouvons héberger du contenu en Algérie. Au lieu de télécharger ma vidéo YouTube à partir de la France ou de l’Allemagne, je la télécharge à partir d’Alger, d’Oran, etc. Pour cela, il faut de l’investissement. Seulement, nous ne pouvons pas charger Algérie Télécom de le faire, car elle a d’autres chantiers ouverts. Il va falloir trouver d’autres moyens.
Où en est l’enquête ?
Tant que nous n’avons pas le résultat officiel de l’enquête, je ne peux rien vous dire. Ce ne sont pas les services du ministère qui mènent les investigations.
La réactivation d’un avis d’appel d’offres par le ministère des TIC pour l’acquisition d’un nouveau câble sous-marin (câble Orval) a soulevé une polémique. Une décision qui vient contredire les recommandations du Premier ministre de créer une concurrence saine dans ce secteur. Ne faut-il pas laisser les opérateurs publics NTIC et privés se charger de ces questions et apporter leur savoir-faire dans ce domaine ?
En fait, il n’y a pas de contradiction. Il faut juste placer les choses dans leur chronologie. L’autorisation de programme du projet Orval a été faite il y a déjà des années. Il y a eu plusieurs étapes pour le dégagement du budget, ce qui nous a pris plusieurs mois. Il est vrai qu’il y a des difficultés, notamment les procédures des appels à concurrence qui sont souvent infructueuses, sans oublier les multinationales de réalisation qu’il faut intéresser. Parfois, les opérateurs étrangers sont réticents, parce qu’ils doivent passer par des contrats sur les points de présence, des contrats sur l’augmentation de capacités dans le futur et des contrats de maintenance. L’autre souci, c’est que nous ne formons pas beaucoup dans ce domaine en Algérie, c’est donc difficile de trouver des personnes qui maîtrisent ce genre de travail. Et, en parallèle, Algérie Télécom joue au pompier sur d’autres fronts et ne se consacre pas suffisamment à la formation de ses cadres. Je ne suis pas en train de justifier, et j’aurais souhaité qu’entre l’appel d’offres et le lancement du projet, la durée ne dépasse pas deux mois, mais il faut savoir admettre la réalité du terrain. Quand je suis arrivée à la tête du secteur, j’ai trouvé le projet en court depuis des années et ai décidé de mettre les bouchées doubles pour le concrétiser. C’est un investissement de l’Etat qui vise à garantir l’accès à Internet, et il vient s’inscrire dans le cadre du programme du Président de la République. Maintenant, vous dites de laisser faire le privé dans la fourniture de l’accès internet. L’un ne contredit pas l’autre. Seulement, aujourd’hui, le positionnement de l’investissement du privé n’est pas bien réglementé. Il y a une loi prévue dans ce sens. Effectivement, mais la réglementation est un tout ; il y a la loi, les décrets d’exécution, les décisions de l’ARPT ainsi que d’autres dispositions. Il y a tout un système réglementaire qui fait que l’investissement privé n’est pas viable aujourd’hui. Exclusion faite des opérateurs de la téléphonie mobile. Aujourd’hui, les conditions ne s’y prêtent pas. Comment allez-vous demander à un investisseur privé de mettre des milliards en euros, dans une infrastructure à l’international ou même au niveau national, s’il n’a pas la garantie que son investissement sera rentable et que son commerce sera fructueux ? Est-ce qu’on est censé attendre que toutes les conditions favorables soient réunies pour faire appel au privé pour les connexions internationales ? Pourquoi attendre ? Nous avons de l’argent, aussi bien que l’engagement de l’Etat pour multiplier les accès à l’international, de ce fait, nous avons entrepris de réaliser le câble. Demain, si les conditions s’y prêtent, nous ferons appel au privé. D’ailleurs, comme je vous l’ai déjà dit, le seul souci du gouvernement est que le citoyen puisse avoir accès au Net. Il ne faut pas oublier aussi que nous sommes dans un contexte très délicat sur le plan économique. Pour pouvoir diversifier les ressources et se débarrasser de la dépendance aux hydrocarbures et développer les autres secteurs par l’apport des TIC, il faut que nous ayons de la valeur ajoutée dans les TIC. Pour le moment, nous en sommes très loin. Comment pourrions-nous innover si nous n’avons pas l’investissement privé ? Et comment pourrions-nous avoir l’investissement privé si nous n’avons pas de garantie ? Ce n’est pas pour dire qu’il y ait une volonté de le brider. C’est tout simplement parce que le secteur s’est développé à deux vitesses. Tout ce qui est réglementation, positionnement de l’investissement privé sur le plan économique, compréhension de l’utilité des TIC dans l’économie nationale s’est fait à une vitesse très réduite, probablement grâce à la manne pétrolière qui a fait que nous omettions la réflexion sur le sujet. D’un autre côté, nous sommes allés à une tout autre vitesse en travaillant sur les réseaux d’accès. Chaque jour, il fallait recevoir les doléances de ceux qui voulaient être raccordés, les doléances des entreprises qui veulent avoir du haut débit, la pression pour l’investissement dans le réseau international, et ce, sans faire de schéma global ni de planification bien maturée, parce qu’il fallait faire face à d’autres problèmes. Nous sommes allés vite, mais peut-être trop. A mon avis, aujourd’hui, il faut se rendre à l’évidence qu’il est temps d’y réfléchir et de s’y mettre sérieusement.
La loi 2000-03 et la déclaration de la politique sectorielle avaient donné un grand espoir quant au développement du secteur. Elle a donné une vision à plus ou moins long terme et instauré un climat de confiance ayant permis divers investissements dans le secteur. Mais, quinze ans plus tard, le pays semble faire du surplace. Pourquoi ?
Avant de répondre à cette question, je dois vous dire que, parfois, le fait de chercher qui a fait quoi et pourquoi ne paie pas. Ce qui est important, c’est d’être positif et de se dire qu’aujourd’hui, nous avons localisé le problème, donc, allons le résoudre. Pour répondre au pourquoi, il va falloir prendre projet par projet, problème par problème et Dieu seul sait qu’il y en a beaucoup. Les causes des blocages sont diverses. Il faut reconnaître qu’à travers Algérie Télécom, il y a eu un investissement gigantesque de l’Etat pour le développement du réseau internet, transport et accès. Cela pour dire que l’engagement de l’Etat pour les TIC n’a jamais failli. Par contre, sur le terrain, cela ne s’est pas traduit par des résultats concrets, probablement à cause de deux erreurs. Nous avons déployé le réseau sans planification ; c’est comme construire sans plan architectural. Au niveau des communes et des wilayas, il aurait fallu coordonner et prendre en compte les nouvelles villes, les nouvelles cités, et mettre en place une cellule de veille locale qui tracerait un schéma évolutif au fur et à mesure de l’avènement des nouvelles technologies. Cela n’a pas été fait, non pas parce qu’Algérie Télécom n’a pas voulu le faire, mais parce qu’il y a un manque de ressources humaines qualifiées. Algérie Télécom, c’est à peu près 22 000 à 23 000 travailleurs qui sont pour la plupart des techniciens et des ingénieurs. Les concepteurs sont rares et ceux qui existent sont dépassés. Il aurait fallu piloter autrement. C’est une erreur, oui, il faut le reconnaître. Mais il ne faut pas s’arrêter là. Aujourd’hui, Algérie Télécom déploie son réseau de manière plus intelligente, mais ça risque de prendre du temps pour l’achever. Par ailleurs, en dehors de l’investissement public dans le domaine des télécommunications, tout ce qui a été prévu par la loi n’a pas été mis en œuvre de la façon souhaitée. Peut-être parce que nous avons mis beaucoup d’espoir sur l’opérateur public. De plus, au moment où nous avons compris qu’il fallait faire autrement, il y a eu l’avènement de la 3G mobile et le succès qu’elle a eu par l’effet de la concurrence. Ainsi, aujourd’hui, nous prenons conscience sur le positionnement du privé dans le schéma national pour le développement des télécoms pour des raisons sociales, culturelles et de libertés individuelles. Nous souhaitons que demain l’industrie, l’agriculture, l’éducation, etc., soient précédées d’un petit «e», qu’on puisse tout faire par le numérique, ceci, sans parler du marché financier et des transactions en ligne qui vont résoudre beaucoup de problèmes. Avec le e-commerce, nous pourrons probablement arriver à bout du marché parallèle, résoudre des problèmes écologiques, etc. Il faut parfois rêver, mais rêver dans le bon sens, celui de réaliser nos objectifs. Tout cela nous fait réfléchir à la nécessité du privé, pas uniquement parce que le privé apportera de l’argent, mais parce qu’il apportera aussi de la matière grise, de l’innovation et de la concurrence. Cela va créer une dynamique. Nous l’avons vu, en Algérie, dans d’autres secteurs et à d’autres époques. Je pense qu’il est temps de se mettre au travail puisque la volonté y est, plutôt que de ressasser le passé.
Vous avez lancé l’idée d’une nouvelle loi qui remplacerait la loi 2000-03. Pouvez-vous nous en parler ?
Cette nouvelle loi, ou, si vous voulez, une mise à jour de la loi, consiste à apporter les modifications qu’il faut. Il y a deux types de modifications que je souhaiterais amener. Il est vrai que depuis 15 ans, nous avons acquis une grande expérience. Beaucoup de pays ont procédé à des mises à jour de leur réglementation. Pour ce qui concerne le volet télécoms, il faut intervenir notamment sur le régime d’exploitation, le positionnement des technologies et sur la séparation entre les services internet et les services de la voix. Les compréhensions ont changé parce que la technologie a changé aussi. Je vous donne un exemple : aujourd’hui, vous envoyez un email, un document scanné, vous utilisez un fax, la voix sur le réseau fixe ou la voix sur IP… Ce sont des choses complémentaires, mais qui ne sont pas clairement exprimées et détaillées dans la loi. Il faut ainsi qu’il y ait des modifications. Vous avez raison de dire qu’il y a des points positifs dans la loi qui n’ont pas été mis en œuvre. Il va falloir les expliciter un peu mieux, pour ne pas être reconduits par des décisions et des textes d’application qui peuvent être arbitraires. Cela donnera un peu plus de force à la question du renforcement de la concurrence. D’un autre côté, je dirais que nous parlons trop de télécoms et nous oublions la poste. C’est le parent pauvre du secteur. Et pourtant, ce secteur a son importance. Je souhaiterais, donc, instaurer certaines dispositions, notamment par rapport à la possibilité de créer la banque postale qui, je pense, résoudra définitivement les problèmes de ressources d’Algérie Poste.
Des opérateurs privés dénoncent la situation de monopole qui empêche le développement des TIC en Algérie et accusent l’ARPT de ne pas faire appliquer la loi et la réglementation déclarées dans la politique sectorielle relative aux TIC. Que va changer la nouvelle loi que vous proposez par rapport à cet état de fait ?
La loi est claire. L’ARPT est une autorité indépendante qui doit réguler le marché. Il y a peut-être une petite confusion par rapport à la politique sectorielle. Que doit développer l’Algérie en priorité ? Le téléphone, les services, Internet, le volet sécurité des données ? Cela se décide en haut lieu. Le gouvernement prend en compte la demande de la société, l’expression des besoins et des propositions des secteurs public et privé, et aussi les besoins de l’Etat pour mettre en place une politique du secteur. Cela n’est pas du ressort de l’Autorité de régulation. Ce qui s’est passé durant les années précédentes, c’est que l’interprétation des textes de loi et leur traduction en matière de réglementation du marché étaient sous forme de définition de la politique du secteur. En fait, c’est une autorité qui est supposée réguler le marché, mais qui avait plutôt le rôle de décider que telle activité devait se développer et telle autre non. Cela ne fait pas partie de ses missions. Ce n’est pas un reproche que je fais à l’ARPT, mais plutôt le constat de l’absence d’une politique claire qui a fait qu’il n’existait pas de directive. Le régulateur intervient quand il y a un litige, mais il ne doit pas définir le devenir du marché. En l’absence d’une vision claire et organisée et peut-être aussi du fait d’une situation de monopole – un terme qui peut paraître péjoratif, comme il peut être positif, parce que l’Etat a beaucoup investi dans Algérie Télécom suite à une demande sociale pour Internet –, l’opérateur se retrouvait seul à définir la politique du secteur. Je pense, que tout le monde (et même l’ARPT) prend conscience de cela et, par conséquent, aujourd’hui, nous allons vers un nouveau procédé, celui de la concertation afin de prendre en compte les pourquoi des doléances.
Vous avez appelé, donc, les responsables de l’ARPT à faire davantage d’efforts. L’autorité de régulation remplit-elle convenablement la mission qui lui est échue ?
Elle remplit sa mission. C’est nécessaire et important. Elle déborde sur ses missions, par moment. En faisant un état des lieux, on se rend compte que ce n’est pas forcément un abus de pouvoir de la part de l’ARPT. C’est dû essentiellement à une absence de dialogue. Cela paraît simple alors que les conséquences semblent désastreuses parfois.
Pourquoi ce manque de dialogue et de concertation ?
Ce n’est pas par droit de réserve, mais je ne vais pas vous répondre pour deux raisons. La première est que je n’étais pas là à ce moment-là. La seconde est que je suis convaincue que si nous nous attardons sur les pourquoi et les comment, nous n’irons pas loin. Nous ne sommes pas dans un tribunal. Nous sommes ici pour parler d’une situation et je puis vous assurer qu’il y a une bonne volonté des deux côtés. Certes, le manque de dialogue a fait que l’on ne se comprenne pas. Nous fixons des règles, croyant bien faire. Il ne faut pas non plus trop charger l’ARPT, car dans certains cas, il est nécessaire d’intervenir, et cela avec Algérie Télécom même. Aujourd’hui, j’ai constaté qu’il y a de la bonne volonté de la part des opérateurs, des investisseurs privés et de l’ARPT. J’espère pouvoir jouer un rôle de catalyseur dans le cadre du dialogue et de la concertation.
Comment allez-vous assurer une coordination entre le ministère et l’ARPT sachant que les décisions de cette dernière sont en porte-à-faux avec les orientations de l’Etat ?
Je puis vous assurer que je n’ai aucun problème de communication avec l’ARPT. Nous arrivons à discuter de tout, tranquillement.
C’était du temps de Mme Derdouri…
Je ne pense pas que ce soit une question de personne, mais plutôt de conjoncture. Peut-être une question de maturation également. Parfois, nous sommes convaincus de ce que nous faisons. Ce que je vous dis aujourd’hui, je le dis en toute conviction. Mais Dieu seul sait que dans cinq ou six ans peut-être, on me donnera tort et on dira de moi que j’ai mal géré. C’est avec le temps qu’on peut s’en rendre compte. Vous serez d’accord avec moi quand je dis que nous sommes bons lorsque nous reconnaissons nos erreurs et les rectifions. Je vous parle de mon vécu d’aujourd’hui, l’Autorité de régulation est prête à discuter de ses décisions et les ISP, les opérateurs de téléphonie privés et publics sont prêts à faire la même chose.
Vous avez décidé d’ouvrir votre département aux opérateurs autres qu’Algérie Télécom en vous rendant aux sièges de deux d’entre eux. Allez-vous vous limiter à ces deux opérateurs sachant que ce ne sont pas les seuls à activer dans le domaine des TIC en Algérie ?
Je souhaiterais rendre visite à tous les acteurs des TIC et des télécoms, privés et publics. Cependant, il faut reconnaître que ces deux opérateurs de téléphonie mobile emploient une main-d’œuvre importante et fournissent un service de téléphonie aux citoyens algériens. C’était tout à fait normal que j’aille leur rendre visite afin de m’enquérir sur le terrain de ce qu’ils font, de leurs taux d’investissements par commune et wilaya. C’est aussi pour leur passer le message que je suis la ministre de tout le secteur et non pas la ministre d’Algérie Télécom. Je représente aussi le propriétaire d’Algérie Télécom (l’Etat, ndlr). Il faut le reconnaître et savoir faire les deux. Mon intérêt se situe dans le développement de l’économie de mon pays, du confort de mes concitoyens, mais également dans le développement des entreprises nationales. La priorité des priorités est de garantir l’accès aux services d’un certain niveau, que nous espérons excellent, pour le citoyen et tous les moyens sont bons pour y arriver et quitte à faire des mécontents, qu’ils soient d’un côté ou d’un autre. Par ailleurs, il faut se rappeler que je ne suis pas là depuis très longtemps. Je fais deux choses à la fois : gérer et découvrir les gens qui activent dans le secteur. Cela peut prendre du temps. Il ne faut pas voir dans mes visites à Mobilis, Ooredoo et Djezzy le fait qu’ils constituent à eux seuls les télécoms. Pas du tout.
Il y a des questions urgentes qui ne nécessitent pas de nouvelles lois pour être réglées. Par exemple, la décision 18 prise par l’ARPT et qui modifie la définition du chiffre d’affaires de l’opérateur, transgressant la loi, chose qui a considérablement affaibli les petits opérateurs (ISP). Il y a, également, le décret 09-410 portant sur les équipements sensibles qui définit tout équipement informatique sensible. Ne pensez-vous pas que ce décret et cette décision ralentissent tout ce qui est développement et intégration dans le domaine des TIC ?
Bien sûr. Des textes réglementaires conjugués à une certaine inertie de l’administration. Pour ce qui est des équipements sensibles, un travail est en cours pour la modification du décret. Ce travail a commencé pendant l’été. Il y a une astuce simple à utiliser quand il s’agit de délais administratifs. C’est de partir sur un accord tacite s’il n’y a pas de rejet après un certain délai. C’est-à-dire que si au bout de quarante jours, par exemple, je n’ai pas de réponse, cela veut dire oui. Pour ce qui est de la décision 18, j’en ai parlé avec le conseil de l’ARPT, lors de ma dernière visite et ses membres m’ont présenté un argumentaire. J’en ai parlé avec des ISP, ils en ont présenté un autre. Je préfère réserver mon opinion et je préconise une rencontre que j’appellerai tripartite entre les opérateurs, l’ARPT et le ministère. Non pas pour arbitrer, mais juste pour dialoguer. Ce qu’il faut savoir, c’est que nous voulons tous la même chose. Seulement, il faudrait se mettre d’accord sur les mécanismes. Aujourd’hui, il est question de travailler pour améliorer le climat des affaires dans le cadre des directives du Premier ministre. Les télécoms, en général, sont un domaine où les affaires sont importantes, surtout pour note pays. Les TIC pourront être le moteur des autres secteurs.
Jusqu’à quand l’ARPT continuera-t-elle d’être un facteur de blocage pour le développement des TIC dans le pays ?
Je reste profondément convaincue que l’ARPT doit rester indépendante, et ce, pour une raison toute simple : quand l’ARPT remplira le rôle qui est le sien, elle sera là pour gérer la concurrence commerciale. Lorsque nous irons vers l’environnement souhaité, il y aura des dizaines, voire des centaines d’opérateurs de tous types, et il faudrait à ce moment-là, réguler. Et le régulateur ne doit pas appartenir à une partie ou à une autre. De ce fait, cela ne peut être qu’une autorité indépendante, à la demande des opérateurs eux-mêmes. Par contre, il faut remettre les choses à leur place et les missions à leurs détenteurs ; l’ARPT est le régulateur du marché commercial et pas d’autre chose.
Que prévoyez-vous pour redonner confiance aux investisseurs et encourager davantage l’investissement national ?
Pour commencer, régler leurs problèmes dus, pour certains, à des décisions qu’ils contestent. La contestation ne peut être prise en charge que par le dialogue, lequel mènera à des solutions. Je souhaiterais que les gens en sortent convaincus. Qu’ils obtiennent ce qu’ils voulaient, en partie ou en totalité ou pas du tout. L’essentiel est que tout le monde soit satisfait et convaincu. Par ailleurs, j’aimerais que les investisseurs participent à l’élaboration de la vision du secteur. Par exemple : que devons-nous demander aux autres secteurs ? Quel genre de dispositif faudrait-il mettre en place ? Je veux bien leur formuler des propositions, mais en contrepartie, je veux pouvoir m’appuyer sur leur expérience de terrain. Ils sont sur le terrain, donc, ils connaissent mieux les problèmes. Je pense que nous avons tous les mêmes objectifs, et du moment que nous respectons tous la loi, nous arriverons à de bons résultats. C’est d’ailleurs la démarche adoptée par Monsieur le Premier ministre lorsqu’il écoute l’avis des experts à travers le FCE ou toute autre entité représentant le secteur privé.
Nos voisins ont investi significativement et commencent à compter les dividendes en pourcentage de PIB. Quelle est la part de l’investissement des TIC en Algérie et quelle stratégie allez-vous adopter pour accroître la participation des TIC dans le PIB national ? (On ne parle pas du budget alloué dans le cadre de la loi de finances, mais de l’investissement).
Il y a une diversité de sources de financement de l’investissement dans les TIC. Nous avons financé à partir du budget de l’Etat, de budgets exceptionnels et d’Algérie Télécom. A partir aussi du service universel qui est financé par le biais des redevances des opérateurs. Il y a même des opérations hors budget. Faire l’assainissement de tout cela prendra un temps fou, beaucoup d’énergie et il faudrait mettre beaucoup de monde dessus. Nous le ferons, ce n’est pas exclu, mais, pour le moment, j’ai des priorités et pas assez de cadres. Pour ce qui est de la deuxième question, je crois que je suis parmi les rares personnes qui pensent que la chute des prix du pétrole est une aubaine pour l’Algérie. Pour la simple raison qu’aujourd’hui, Dieu merci, nous ne sommes pas en crise, parce que des personnes avisées ont prévu une telle situation. Seulement, nous ne pouvons pas subsister vingt autres années comme cela. Actuellement, tout le monde a compris qu’il faut diversifier notre économie et tous y travaillent. Je pense que ce ne sont que l’investissement privé et la concurrence qui peuvent garantir une participation effective des TIC dans le PIB. L’Etat, qui est le garant de la liberté et de la sécurité individuelles, pourrait investir dans des zones commercialement non intéressantes, mais pour le commerce, il n’y a pas mieux que le privé. Nous en sommes là. Donc, nous devons commencer par régler les petits problèmes qui peuvent avoir des conséquences notables, améliorer la réglementation, notamment les régimes d’exploitation, peut-être aussi assouplir et, en même temps, généraliser les nouvelles technologies, en instaurant l’égalité entre chacun et, par la force de la nature, tout se développera. Si on arrive à fidéliser et à mettre en confiance les investisseurs nationaux, les choses iront d’elles-mêmes. L’investissement national est beaucoup plus important que l’investissement international, bien qu’on y voit parfois des avantages. Dans les grandes industries, c’est important d’avoir le savoir-faire étranger, mais dans le domaine des TIC, il y a assez de génies en Algérie.
Dans le dernier rapport du Global Information and Technology Report du World Economic Forum, concernant l’usage des TIC, de réceptivité technologique, de disponibilité des dernières technologies et d’étendue de la chaîne de valeur, l’Algérie est classée respectivement à la 108e, 136e et 126e sur les 145 pays du classement, malgré les efforts financiers consentis par l’Etat pour ce secteur. Qu’est-ce qui sera fait concrètement pour sortir de ce classement peu honorable pour une puissance régionale comme l’Algérie, autrement dit, quelle est la vision de votre département à long terme ?
Votre question résume, un peu, ce que je disais depuis le début. Il ne s’agit pas de se justifier encore une fois, mais d’éclairer les lecteurs. Le classement international est fait sur la base d’indicateurs qui sont, pour la plupart du temps, mal définis. Savez-vous que l’on considère [faussement] que l’Algérien moyen ne possède pas de smartphone et n’a pas d’ordinateur à la maison ? Il y a plusieurs raisons à cela. Nous n’arrivons pas à communiquer des chiffres à ces instituts. On nous demande, lors des enquêtes, le pourcentage des foyers qui possèdent des ordinateurs chez eux, mais nous n’avons pas de réponse. Et quand ils ne reçoivent pas de réponse, ils nous mettent un zéro. Sincèrement, qui peut croire une chose pareille ? L’Algérien moyen possède parfois deux smartphones. Seulement, les rapports de ces instituts ne parlent pas de cela. Donc, ce mauvais classement est dû en partie à des indicateurs mal communiqués. Il faudrait arranger cela et, peut-être aussi, demander plus d’honnêteté aux enquêteurs internationaux. J’ai la conviction que si nous arrivons à mettre en place un climat favorable pour le développement des affaires dans les télécoms, je pense qu’assez rapidement, nous verrons le classement changer. Je pense qu’aujourd’hui, il y a deux aspects sur lesquels il nous faudra travailler : rattraper le retard sur les réseaux d’accès et permettre la mise en place d’un climat favorable pour le développement de l’investissement privé.
Interview réalisée par Mohamed El-Ghazi

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