Une contribution du Dr Arab Kennouche – Décryptage temporel d’une crise politique aiguë

Alors que les langues se délient et que les fissures se creusent dans le ciment politique d’un Etat en danger, il semble salutaire de se poser la question du temps politique qui reste à parcourir avant qu’il ne soit trop tard. Est-ce le moment ou jamais, le kairos, d’agir en Algérie pour que cesse la cause d’instabilité majeure de notre système politique : la non-représentativité de ses dirigeants eu égard aux enjeux historiques et politiques d’une nation soumise aux turbulences internationales ? L’Algérie, dévoyée de son orientation de développement économique souverain est aux mains d’un pouvoir parallèle qui tire les ficelles de l’étranger essentiellement, mais qui semble également battre de l’aile, si on s’en tient aux derniers événements, depuis la réapparition de Chakib Khelil jusqu’à la condamnation du général Hassan. Il n’est pas question de tenir un discours alarmiste sans fournir les preuves d’un temps politique crucial que doivent prendre en compte les plus hautes autorités sécuritaires. En effet, le temps bouteflikien joue contre la souveraineté nationale. L’accaparement du pouvoir et sa gestion douteuse ne peuvent continuer ainsi sans manquer de détruire les fondements mêmes de l’indépendance portés par le FLN historique. Les dernières déclarations de Mme Bitat plaident en faveur de la thèse d’une phase de maturation qui finirait celle d’une fermentation de la politique bouteflikienne depuis 1999, gestation achevée qui, maintenant, se traduit par un mouvement de consolidation et de passage définitif sous tutelle étrangère. Ce temps présent de la confusion, de l’irrationnel, du népotisme, joue contre l’Algérie à mesure qu’il avance s’il n’est pas exploité habilement par nos décideurs. Il est un pourrissement et un facteur de déstabilisation à terme, dont les conséquences seront irrémédiables sauf à considérer l’ordre bouteflikien comme un nouveau protectorat en Algérie. Tout d’abord, l’absence abusive d’un président républicain est au cœur du problème du temps politique : l’Etat algérien ne peut souffrir plus longtemps d’une sous-gouvernance car il est avéré que ce défaut institutionnel à l’origine de la crise de l’Etat, est désormais sous l’emprise d’une déliquescence avancée. Dès lors que l’idée d’un droit est battue en brèche et qu’elle est sous influence partisane ainsi que d’un temps néfaste, l’Etat dépérit. L’objectif politique est de créer un Etat sous-développé et inféodé à la France : comme le petit dieu Kairos, on ne le voit pas, ou bien on le voit et on ne fait rien. Il faut donc agir avec opportunisme en employant cette phase de déconstruction et de pourrissement comme un moment idoine de reconfiguration des institutions nationales. Le réalisme politique que nous appelons, ici, de nos vœux, n’est pas moins que cette fameuse vertu rendue célèbre par Machiavel, mais dont la teneur a été mal interprétée : saisir l’occasion d’un acte politique, c’est faire preuve d’une profonde intuition du temps politique, de la Fortuna et de ses mécanismes adventices. Il n’est pas tant fait appel, ici, à l’usage de la raison qu’à la compréhension d’un événement dans sa dimension temporelle, impliquant la volonté décisive du politicien. En effet, le contexte politique actuel, décrit dans sa texture temporelle, et en se projetant dans le futur, comporte tous les ferments d’un changement salutaire à condition d’en tirer profit selon une saine vertu, et peut se résumer ainsi : une présidence de la République appelée à disparaître tôt ou tard au cours de l’année 2016. Deuxièmement, il est aisé de voir que Bouteflika et les Occidentaux exigeront la continuité de ce régime : l’année 2016 sera, à cet égard, celle de la consolidation définitive ou du sursaut national. Cette continuité, si elle prend forme, sera l’expression d’une remise en cause définitive du modèle de l’indépendance nationale. En termes bouteflikiens, le temps est aussi venu d’élargir le plan d’une soumission totale de l’Algérie à l’oligarchie mondiale. Car il est aisé de comprendre qu’un DRS en perte de vitesse signe l’avènement d’un nouveau kairos, une nouvelle intuition temporelle d’une configuration optimale pour briser définitivement les ressorts sécuritaires de l’Algérie indépendante. Ainsi, de même qu’il est crucial d’aborder ce fléchissement de la présidence comme le kairos d’une remise en cause de l’ordre antinational, il l’est tout autant pour le clan au pouvoir qui est parvenu à frapper au cœur du DRS en vue d’une partition future de l’Etat algérien. Le temps est ici comme une arme à double tranchant : il joue en défaveur du pays si nous ne l’entendons pas comme un moment propice et porteur d’une décision capitale pour l’avenir de la nation, il joue en défaveur du pays si nous le comprenons pas comme un temps matériel et intuitif qui appelle à exploiter la dégénérescence de Bouteflika. Ce temps qui se présente comme fin de règne est donc positif s’il est utilisé pour infléchir la donne politique. Il offre une ouverture inespérée, maintenant que la classe politique ne se gêne pas de mettre au jour cette lutte d’intérêts économiques impitoyable et dangereuse pour la nation. Mais il ne suffit plus de constater un état de fait si on ne le relie pas justement à cette configuration temporelle qui se présente comme un appel décisif à saisir kairos avant que les portes ne se referment définitivement sur notre horizon. Il existe effectivement en Histoire de nombreux cas par lesquels se démontre inlassablement que c’est l’intuition du temps politique qui dicte la réussite ou l’échec d’une action bien plus que la compréhension d’un ensemble d’enjeux, du reste largement partagé par les acteurs du moment. Agir c’est comprendre ce temps politique comme une fenêtre qui s’ouvre, mais qui peut vite se refermer pour toujours, même pour les plus habiles politiciens. Le pouvoir aura donc tout intérêt, également selon ce principe, à exploiter les turbulences qu’il a créées dans le DRS pour consolider ce qu’on pourrait appeler le Bouteflikisme, ou l’arrimage à l’Otan. Cette consolidation s’interprète comme un enjeu de politique majeur pour ce pouvoir : ou bien Bouteflika parvient à matérialiser sa succession au plus profond des institutions étatiques, et c’est la fin de l’Algérie indépendante, de la lutte de libération nationale, ou bien encore une structure y fait barrage en exploitant cette fenêtre et en convoquant la nation tout entière, et alors, pourrait-on assister à un sursaut national salutaire. Dans l’un ou l’autre cas, on réalise que c’est l’audace d’une politique se pliant à une compréhension intuitive du temps qui sera décisive. Or, il est plus que jamais improbable que Bouteflika finisse l’année 2016. Laisser le temps filer, couler, c’est donner tous les moyens à Bouteflika pour pérenniser son système à travers une nouvelle classe de dirigeants. En agissant par à-coups, par petites touches, mais qui ont de grands effets, Bouteflika et son clan parviennent à fragmenter tout l’édifice institutionnel qui s’oppose à son projet. Alors, laisser faire serait la preuve d’un attentisme irresponsable ou pire, d’une défaillance dans la compréhension et l’utilisation de cette fenêtre temporelle, que constitue ce grand déballage politico-judiciaire et qui trouve une expression populaire nationale plus que bénéfique pour une exploitation politique appropriée.
Arab Kennouche

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