Une presse empâtée après avoir tenté une émancipation

Par Abderrahmane Zakad – Ce billet se veut critique et humoristique, car «sans la liberté de blâmer il n’est pas d’éloges flatteurs» (Beaumarchais).

Par Abderrahmane Zakad – Ce billet se veut critique et humoristique, car «sans la liberté de blâmer il n’est pas d’éloges flatteurs» (Beaumarchais).
La propagande publicitaire, exagérée et insipide, est pour la société démocratique ce que la matraque est à l’Etat totalitaire. 3ich la vie,nous assenait cette publicité de Djeezy sans cesse répétée dans nos médias lourds et légers comme pour narguer les jeunes en mal de vivre. 3ich la viec’est le «marche ou crève» des dictateurs. Et puis, diable, chers opérateurs, arrêtez de nous embêter par vos textos et vos sonneries en nous proposant vos bonus pour les rechargements. Vous nous dérangez et vous portez atteinte à notre intimité et à notre liberté. C’est du harcèlement textuel «passible des tribunaux». Et laissez-nous faire notre sieste, tranquille, sans être dérangés par vos appels publicitaires. Le téléphone n’est pas un outil d’amusement, les communications coûtent cher, aussi, éduquons les jeunes à ne pas user du portable comme on use du cartable. Que les parents et l’école s’impliquent pour l’éducation et le bon usage des gadgets. La mode également apparaît par tous ces gens qui vous avisent qu’ils vous écrivent de leur iPad comme si nous autres, nous nous déplacions encore à dos d’âne. iPad c’est de la parade ! Sonelgaz paie une publicité et nous conseille d’utiliser l’électricité intelligemment comme si nous étions si bêtes à ne pas regarder nos factures qui gonflent : le fer à repasser semble être l’ennemi de Sonelgaz et le chauffage par filament, un traître ! Donnez-nous alors des kanouns. Ce dont il faut également mettre fin, c’est la gratuité du portable et l’utilisation gratis accordée à certains hauts fonctionnaires et autres directeurs d’entreprise qui nous bombardent ; ahachmou,n’abusez pas du téléphone et des appels gratuits que vous offre l’Etat. C’est avec nos impôts et la rente que vous tchatchez et badinez. Quant aux journaux, il y a de l’espoir. Est-ce une ouverture ? Ça a l’air de changer avec cette affaire de Farid Bedjaoui débusqué grâce à un savoir-faire acquis et qui se profile pour certains de nos journalistes. Allez-y les gars, nous sommes avec vous. Après, il faudra défricher d’autres affaires et pourquoi pas toutes les affaires, afin de remettre l’Algérie telle qu’elle était le 5 juillet 1962. C’est utopique, mais rêvons ! En attendant, voyons ce que nous avons constaté dans un passé récent. Les pages sont inondées de publicité et de mercantilisme, que cela plaise ou non. On se bouscule pour aller à la soupe chez les sponsors qui, à trop occuper le champ médiatique, s’exposent à la revue de détail (Khalifa, Saipem, Lavalin, Sonatrach). A vouloir monter haut comme les singes, on montre son derrière parce que trop de publicité tue la publicité. Bien sûr, il faut que les journaux équilibrent leurs charges, nous le comprenons, mais pas au point de vendre son âme et sa ligne éditoriale, mais en ont-ils de ligne, en vérité ? Oui, oui, ils en ont forcément une, mais qui flirte avec l’argent. Sur vingt-quatre pages en moyenne d’un journal, huit sont occupées par la pub, le reste par la cuisine, le foot, les extraits/copiés de magazines «people» et les programmes télé française, les annonces classées et autres encarts du genre «sous le Haut Patronage du président de la République» alors qu’il a à patronner l’Algérie ce qui n’est pas rien ; et, aussi, les lettres ouvertes qui n’ouvrent rien, les condoléances du genre «le personnel de la Sonatruc est choqué par la perte du neveu du directeur général» : on s’en fout, presque ! Côté cuisine, c’est la catastrophe, du copié-collé dans tous les domaines : «pour votre ragoût que vous améliorez avec un bout de lard, rajoutez un demi-verre de vin blanc». Recette piquée sans relecture et correction. Quant à vous, mesdames, je vous plains pour la perte précoce de vos cheveux si vous suivez les recettes que l’on vous recommande. Et faites du sport, de la marche, de la manucure, gardez le teint frais en vous passant sur le visage des saloperies que l’on vous propose. Court, ya el-hadja,yaourt ! Et ces critiques sans cesse ressassées depuis 30 ans sur les mêmes héros, les mêmes chanteurs, les mêmes monuments, les mêmes médinas, les mêmes écrivains avec les mêmes mots et parfois avec les mêmes photos. Si Kateb Yacine revenait, il crierait : «Assez ! Arrêtez de parler et vous répéter sur moi», lui qui était humble et digne. Et puis, ces deux ou trois peintres qui réapparaissent sans cesse, comme si le temps s’est figé. N’avons-nous pas aujourd’hui de jeunes peintres talentueux qui, sans déprécier les anciens, valent mieux que ceux qu’on nous ressasse. Visitez les Galeries, vous serez étonnés ! Et qui se souvient encore de Maâti El-Bachir qui nous a bercés avec son luth, de Beggar Hadda, Cheikh Djillali Aïn Tadlès, Ali El-Khencheli et Aissa El-Djarmouni, de Cheikh Hamada et du doum,du disset de l’alfa, et des ergs et des regs et les sebkhas salées. Il y a de quoi écrire ! L’Algérie est une bibliothèque où les grand-mères, les vieux fellahs, les vieux pêcheurs disparaissent en silence, en plus, ce sont les valeurs et la tradition intelligemment transmises de génération en génération qui forment l’imaginaire d’un peuple. Piocher là-dedans et vous ferez œuvre utile. Il y a de quoi interviewer, de quoi écrire, de quoi photographier, de quoi nous émerveiller et surtout… de quoi apprendre. Ne laissons pas ce champ culturel en jachère : notre patrimoine commun. Un exemple ? Tous ces petits villages, comme Sidi Aïch, Azzaba ou Rouina, toutes ces petites maisons en tuiles, tous ces haouchs, tous ces petits ponts empierrés, les ponts métalliques, les haltes ferroviaires et les caves à vin du XIXe siècle et enfin tous ces paysages que les nouvelles autoroutes effacent de notre vue, nous que nous n’avions pas cessé de les admirer sur la route de nos excursions et sur les chemins de notre enfance. Abordons toutes ces informations reprises de média en média avec des variantes et des difficultés d’interprétation pour le lecteur. En lisant tous les journaux, on a l’impression de lire le même journal. Que reste-t-il à lire dans les journaux ? Deux ou trois pages d’informations piochées sur le Net en copié-collé et les informations officielles sucées sur les pis de l’APS. Où sont les reporters d’antan, pour des reportages instructifs sur nos contrées, des enquêtes sérieuses sur la vraie vie et aussi la malvie que subissent les jeunes et les vieux. Pourquoi cette absence d’analyses sérieuses de documents et enquêtes adossés à des statistiques fiables accompagnés de sources dûment indiquées ? Ah ! C’est vrai, elles ont disparu les sources statistiques et on ne peut se payer une enquête d’opinion, réglementation oblige ! Allez donc enquêter dans les abattoirs et les boucheries si on ne nous fourre pas de la viande d’âne dans nos merguez. Enquêtez aussi sur les richesses amassées aux souks du Hamiz et de Dubaï à Tadjnenanet (El-Eulma). Le flot monétaire qui transite dans le souk de DubaÏ est de 300 milliards de dinars/an, sans facture, sans visibilité (étude réalisée par le Bureau Mall and Market/Paris en 2008). Au boulot les reporters, attaquez-vous à ce gros problème du trabendo qui mine le pays et trompe les ménages. Même en prenant des risques, c’est votre boulot, faites des enquêtes sérieuses, chiffrées, sur la débauche, les mahchachates, les dancings clandestins, le trafic de devises, la fortune des riches beggara et de certains élus et fonctionnaires véreux, en somme à la corruption, le délit d’initié et les irrégularités. Oui, c’est difficile, dur, de pénétrer dans les arcanes et d’ausculter les «pêcheurs» : corruption, finances occultes, guerres fratricides pour le pouvoir et pour les postes, vol de documents pour effacer les traces, luttes entre factions, clanisme et blanchiment d’argent. Oui, c’est difficile, risqué, mais nous, lecteurs, sommes exigeants et nous vous appuierons.
Donner chair et âme aux mots
Savez-vous pourquoi certains de nos anciens politiques, les anciens responsables comme les nouveaux, ne parlent pas, n’écrivent pas, n’apparaissent pas, ne veulent pas être interviewés, c’est simple : ils portent des casseroles. Allez interviewer un député : il vous fuit en pirouettant doucereusement. Hélas !, la montagne est immense et la grimper c’est risquer des chutes mortelles comme le regretté journaliste Beliardouh d’El-Watan,acculé au suicide. Non, nous ne demandons pas aux journalistes, la plupart fort jeunes, de risquer leur vie, mais au moins de lever un bout du voile pour un éclairage même faible de l’opacité qui perdure et s’aggrave dans notre pays. Tout n’est pas noir, quand même : la présentation s’est améliorée, les cahiers hebdomadaires des pages spécialisées (économie, tourisme) sont utiles. Tant mieux. En outre, les contributions, fort intéressantes d’ailleurs, pèchent quelquefois par leur longueur. A propos, sont-elles rémunérées ? Tout bénef. Quelques cerises à mon goût : des textes tels que la profondeur de Hamidechi, le sérieux de Belhimer, les finesses de Halli et Metref, les analyses de Hamouche qui a changé de look, ça lui va bien, et les billets talentueux de Chawki Lamari, Kamel Daoud. Des critiques condensées, humoristiques, paraboliques qui chatouillent nos papilles esthétiques. Egalement, des améliorations constatées dans les pages régionales de trois ou quatre journaux. Efforts de recrutement et des moyens ? Amélioration de la formation ? A suivre.
Ah ! Les pages sportives. C’est «presque» France-Football.Nombreuses et insipides qui nous gonflent de gloire alors qu’on vient de prendre la tannée. Les godasses des footballeurs sont plus rentables qu’un doctorat en physique nucléaire. Voilà un sujet intéressant à passer à la moulinette pour nous faire découvrir où va notre argent. Convient-il d’écrire sur le foot sur de nombreuses pages pour nous dire que l’équipe nationale qui est binationale voir multinationale est toujours en cours de formation depuis 20 ans ? Mais il faut bien contenir les jeunes et leur donner un os à ronger. Quelques pages culturelles et de société offrent aux lecteurs des informations consommables qui atténuent la sinistrose. Les anciens, Maâmar Farah, Souissi, Mohamed Bouhamidi, Hamidechi, Helfaoui, doivent se bidonner du contenu de notre presse. Lors de l’ouverture démocratique, au début des années 1990, nous avions eu beaucoup d’espoir pour une presse que nous croyons libérée des injonctions et des arcanes. Une pensée à Abderrahmane Mahmoudi, que les gens de la presse ont perdu en ce jour de février 2007 et à qui je rendais visite dans ce magasin du boulevard des Martyrs pour lui remonter le moral, lui qui avait subi et qui était angoissé par l’apparition d’un terroriste ou une ombre des services. La voilà donc empâtée notre presse dans le cloaque de la dictature publicitaire après avoir tenté une émancipation en se libérant du politique. Nos journaux font la course à la pub au lieu de se contraindre à ce noble travail d’esprit et d’honnêteté intellectuelle qu’est le journalisme. Sont-ils aussi fragiles ? Faut-il qu’ils soient soumis au chantage publicitaire pour détruire l’acquis de tout un peuple : la liberté de parole et le droit d’être bien informé. Et, dans la multitude de journaux qui existent, parmi toutes ces têtes qui nous harcellent et nous informent, sous leurs casquettes, pour certains, mettez-leur des turbans. Quant aux magazines, quelle catastrophe ! Leur dénomination ubuesque, un contenu faible et faisandé, des inepties et des fadaises, des photos immenses pas de chez nous et des textes importés par clic et clac d’un copié-collé et destinés à abêtir. Plus grave encore est cette façon de s’emparer du talent des autres pour s’attribuer le mérite. Comment ces gens-là, qui ne sont que deux ou trois dans un bureau, ne se rendent-ils pas compte que nous ne sommes pas bêtes et ignorants. Je ne citerai aucun afin de m’éviter un boomerang. Honneur quand même aux magazines scientifiques qui sont sérieux, car dans ce domaine on ne triche pas. Je ne finirai pas par cette réflexion que j’adapte en empruntant un passage d’un texte du professeur Boualem Aliouat : «De nos jours, on constate la perte de sens des échanges. Ne peut-on pas donner chair et âme aux mots sans jamais diminuer le sens et cerner avec intelligence la vraie signification de l’information et de nos trajectoires, en ce bas monde ou on constate la perte du "culturel" et du "bien dit, bien écrit" dans nos sociétés où la matière étouffe les valeurs qui se délitent de manière visible. C’est la culture qui constitue la matière de nos valeurs et de nos développements et non pas au développement qu’il faut rendre grâce d’avoir promu la culture.» Et les médias iraient mieux en empruntant ce chemin. Quant à la nouvelle corporation des «chercheurs en Histoire», ils ne se rendent pas compte qu’ils se ridiculisent en n’étant pas crédibles. On est historien ou on ne l’est pas ! L’Histoire est affaire d’universitaires et non pas des chercheurs de la poudre de perlinpinpin, ce qui veut dire arrêtez de pomper dans Marçais, Gsell et Ferraud, entre autres. Les chercheurs d’or du XIXe siècle allaient pour chercher de l’or et ils le trouvaient. M’intéressant à tout ce qui s’écrit, on aura compris que mon propos ne concerne pas toute la presse. Pourvu que les journalistes ne me rentrent pas trop dedans. Et puis, je m’en fous. Aux lecteurs de juger.
A. Z.

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