Un scandale impliquant un ministre révèle comment le Maroc achète les dignitaires africains

Les pratiques du Makhzen visant à acheter les hauts responsables africains, avec une préférence pour ceux qui occupent des postes de décision dans la diplomatie, et l’idéal évidemment est que ce soit le ministre des Affaires étrangères lui-même – c’est le cas du Sénégal – viennent d’être dévoilées par des médias sénégalais. Ces médias ont publié le fac-similé d’une lettre de l’ambassadeur du Maroc à Dakar en date du 1er août 2014, adressée à sa tutelle, avec pour objet un motif accablant : requête du ministère des Affaires étrangères sénégalais pour trois places de pèlerinage à la Mecque. Le plus grave se trouve dans la dernière ligne de la lettre de l’ambassadeur marocain : «Je vous prie de bien vouloir accepter le principe de ce soutien et donner vos instructions pour que les montants conséquents soient adressés au ministre Mankeur Ndiaye (le ministre sénégalais des Affaires étrangères, ndlr) qui a toujours réagi positivement à nos démarches et nos doléances». L’ambassadeur marocain a réagi à cette information en adressant un démenti qui, paradoxalement, étaie l’article «faisant état de places de pèlerinage pour la Mecque qui seraient sollicitées par le ministre des Affaires étrangères et des Sénégalais de l’extérieur». En guise de réponse à l’émotion créée au Sénégal, l’ambassadeur n’a trouvé comme argument que l’accusation qu’il lance contre les médias à l’origine de cette information, les accusant d’être «hostiles» au Maroc et d’«user de la manipulation et de la déformation de l’information pour tenter de nuire au royaume et à ses alliés à la veille de chaque échéance internationale, continentale et régionale». Il ne dément pas le fait que «c’est bien l’ambassadeur du royaume du Maroc qui a porté à la connaissance de l’autorité qui fait office d’interlocuteur sénégalais officiel de l’ambassade, de la possibilité pour le Makhzen d’offrir des places de pèlerinage à la Mecque au profit de quelques bénéficiaires sénégalais suivant des critères préétablis». Mais dans le fac-similé de la lettre adressée à sa tutelle, l’ambassadeur du Maroc prétend que c’est le ministre sénégalais qui a demandé à obtenir trois places pour le pèlerinage, destinées à ses proches. Et, d’après la même lettre, ce n’est pas la première fois que le ministre des Affaires étrangères du Sénégal se comporte ainsi. L’ambassadeur marocain rappelle que «l’année dernière, une enveloppe de trois places complètes lui avait été remise en mains propres». L’ambassadeur marocain décrit sa démarche consistant à proposer des places pour le pèlerinage au ministre des Affaires étrangères et des Sénégalais de l’extérieur, et à engager ensuite la «procédure administrative auprès de la structure marocaine habilitée» pour effectuer l’émission de bons remis au ministre sénégalais. Il admet également qu’il s’agit d’une pratique institutionnalisée par le Makhzen, dont bénéficie, en plus du Sénégal, deux autres pays d’accréditation de son ambassade, la Gambie et la Guinée Bissau. Cela laisse supposer que d’autres ambassades marocaines dans les pays africains distribuent de la même façon des «faveurs» aux diplomates pour acheter leur soutien à la politique du régime de Rabat, particulièrement quand il s’agit de la question sahraouie.
Houari Achouri