Contribution du Dr Arab Kennouche – La Présidence, l’état-major et l’aigle pakistanais
L’Algérie pourra-t-elle enfin se passer à l’avenir d’armes de destruction massive au moment où toutes les armées arabes ont montré leur faiblesse insupportable face au rouleau compresseur des puissances occidentales ? Existe-t-il un tel projet au sein de la présidence Bouteflika au point de vouloir faire taire l’ANP dans son intégralité et de vouloir imposer un cinquième mandat bouteflikien au peuple algérien ? Comment pourrait-on justifier une continuation de la politique actuelle de la Présidence autrement que par le besoin pressant de fortifier pour toujours la nation par l’acquisition d’armes plus que létales, ce qui expliquerait que l’on nous resserve encore pour cinq ans du Saïdani, du Khelil et j’en passe… Bouteflika regarde-t-il vers Islamabad au point que tous les généraux soient désormais priés de se taire afin de ne pas perturber le nouveau fer de lance de la Bouteflikian Policy ? Voilà la seule raison objective qui pourrait expliquer les lois récemment votées sur l’obligation de réserve des retraités de l’ANP, mais également des officiers d’active. Mais il semble que la Présidence actuelle ne soit pas encore en mesure de marcher sur les pas d’Islamabad, Pyongyang ou Pékin, tellement elle est préoccupée par des objectifs politiciens à court terme où l’argent et les honneurs dépassent largement toute considération sécuritaire pour le pays. Alors, si Islamabad n’est pas en ligne de mire, à quoi ressemblera l’Algérie des années 2020 ? Voici encore une tentative d’explication de nos probables futurs.
Chakib Khelil, le nouveau docteur Khan ?
Le docteur Khelil serait-il enfin le sauveur de l’Algérie, à l’instar du grand scientifique pakistanais qui fut décisif dans l’acquisition pour son pays de l’arme nucléaire ? C’est tout le mal que l’on peut souhaiter à notre cher ancien ministre de l’Energie. Pour simple rappel, le docteur Abdul Qadeer Khan se rendit célèbre dans son pays, autant que Mohamed Iqbal, ou que Mohammed Ali Jinnah, le fondateur historique du Pakistan, ou bien encore Zulfikar Ali Butto, le propulseur du programme nucléaire pakistanais, sans jamais quémander quelque honneur que ce soit. A lire l’histoire des grands leaders politiques pakistanais, dans leur tentative singulière de fonder une nation industrielle et puissante face à l’Inde surpuissante, on ne peut que rêver d’un destin similaire pour l’Algérie des Bouteflika, Khelil, Ouyahia et Saïdani : ces hommes vont-ils enfin nous entraîner sur les cimes de la puissance nucléaire, de l’économie survoltée, de l’indépendance nationale comme au Pakistan des années 50 et 60, 70 ? En effet, il n’est pas d’autre lecture possible de l’acharnement du bouteflikisme à s’éterniser au pouvoir que celle d’un nirvana de la puissance économique et militaire qui commencerait en 2019 pour ne plus jamais finir. Il ne suffirait de pas grand-chose pour qu’on puisse accorder un cinquième, un sixième ou un septième mandat à l’équipe qui nous dirige actuellement, pourvu que l’on soit certain de sortir de ce sous-développement typiquement africain. Peut-on croire à un scénario à la Zulfikar Ali Butto-Dr Abdul Qadir Khan en Algérie au vu des assurances déclamées par le clan présidentiel et son chef d’état-major ? En 2019, si le candidat de la Présidence passe, nous aurions accumulé 25 années de bouteflikisme, soit un quart de siècle de gestion monocolore, mais à ce tarif, que peut-on espérer obtenir réellement ? Si l’on s’en tient au discours des premiers concernés, l’Algérie sortirait de l’ornière. L’agitation au sommet de l’Etat des militaires ne peut que conduire à une telle interprétation : on défend un bilan «positif» et chacun doit désormais se taire, car l’Algérie monte en puissance chaque jour et il convient de ne pas la perturber dans son envol. Pour ce faire, l’ANP nous rassure quotidiennement sur les avancements de la lutte antiterroriste, ne prenant pas la peine de signaler que cela fait déjà 25 années que cela dure. Et nos pauvres soldats de sillonner des milliers de kilomètres chaque année, en quête de caches d’armes terroristes, tandis que d’autres sont encore occupés à ce travail interminable de déminage, cadeau laissé par la France coloniale sur le sol algérien pendant, enfin, que nos fameux ministres se plaisent cyniquement à «négocier» la restitution des biens laissés vacants par les pieds noirs et leur Grande Civilisation… Tout un programme qui ferait pâlir un Dr Abdul Qadir Khan, parti presque seul aux Pays-Bas et ailleurs, à la conquête des dernières technologies nucléaires, travail de longue haleine, fastidieux, méticuleux, héroïque, mais qui porta finalement ses fruits au Pakistan. Alors que le docteur Khelil ne cesse de deviser sur le prix du baril de Brent, le docteur Khan continue lui de jouir en ses terres d’une aura formidable qui ne manquera pas d’affecter certains pays arabes, et même l’Iran, ébahis devant une telle réussite. On nous promet le baril à 100 dollars de sorte que chacun puisse se rassurer qu’il continuera à boire du Coca-Cola ou à manger des yaourts, alors que d’autres auparavant prenaient à cœur de construire de puissants outils industriels nationalisés et de parvenir à un statut de puissance nucléaire. Bien entendu, le Pakistan d’aujourd’hui, empreint au radicalisme islamiste, n’est pas ce qu’il était et les acquis de Zulfikar Ali Butto et du PPP (People’s Party of Pakistan) ont vite été laminés comme ceux de feu Houari Boumediene l’ont été après sa disparition. Il n’en demeure pas moins que la continuation du bouteflikisme par Khelil ou un autre ne pourrait qu’exiger de grands projets d’envergure mondiale, comme le firent les leaders de la courageuse nation pakistanaise à son indépendance. Mais ne faisons pas preuve d’autant de naïveté une fois de plus, et restons réalistes. Que risque-t-il vraiment de se passer en Algérie ?
L’aigle d’Iqbal et les deux silences
La reconnaissance, tout récemment, par le président Bouteflika de l’extrême vulnérabilité de l’économie algérienne, après 50 années d’indépendance, fit froid dans le dos des Algériens. Tel un coup de poignard, l’aveu d’une telle impuissance à décoller par ceux-là mêmes qui nous gouvernent contredit leur volonté de se perpétuer au pouvoir. Pourquoi donc serait-on obligés à croire dorénavant à l’impossible ? Cessons de rêver : l’Algérie file tout droit vers un scénario à la marocaine si le bouteflikisme est reconduit en 2019 : c’est le modèle le plus proche de la mesquinerie, du babillage politicien, des petites frappes et de la servilité bon marché pour l’Occident. Voir en un Khelil ou tout autre continuateur de la politique bouteflikienne un sursaut de boumedienisme, à la pakistanaise, reviendrait à se voiler la face. Mais c’est malheureusement ainsi qu’il faut entendre les dernières passes d’armes entre le clan au pouvoir en Algérie et le peuple algérien retranché derrière son dernier rempart, l’ANP. La loi du silence, l’omerta commandée par l’état-major actuel paraît presque ridicule face aux véritables enjeux stratégiques auxquels sera confrontée l’ANP dans les années à venir : qu’on en vienne à dénoncer indirectement le courage politique de certains généraux ne fait que révéler l’impuissance flagrante de pans de l’ANP à diriger l’Algérie sur la voie de la nucléarisation de ses forces armées. Comme on ne peut gravir la montagne, on s’occupe du menu fretin, en accusant certains d’enfreindre les lois du silence politique, pour des actes qui, de fait, sont hautement patriotiques. Car il existe deux sortes de silence, celui du «silence, on tue !» rendu célèbre par la villa Susini de l’Algérie coloniale, et l’autre, bien plus important, le silence édifiant imposé par les aigles royaux pakistanais à leurs ennemis antimusulmans, lorsqu’ils conduisirent leurs premiers essais nucléaires. Alors, monsieur le président de la République, monsieur le chef d’état-major, messieurs les députés de l’APN, nous ne demandons que cela, subir de votre part le silence de vos armes dissuasives, le silence de la puissance majestueuse, subir le regard de l’aigle royal pakistanais qui fait taire tout roucoulement, toute confusion contestatrice, toute récrimination infondée, en faisant royalement rentrer dans les rangs les inconscients et les naïfs que nous sommes. Qu’on ne nous prête pas d’intentions belliqueuses, mais comment diable interpréter autrement votre volonté de puissance que par votre besoin impérieux de donner à l’Algérie toute la force d’une nation capable de ne plus jamais sombrer dans la débilité criarde, l’extrême faiblesse et le fatalisme indicible, comme dans ces années de plomb 1830, où contre les canons français, on ne pouvait offrir que d’authentiques chevauchées fantastiques, comme si l’authenticité avait été un gage suffisant contre l’artillerie sophistiquée gauloise ? Messieurs les instigateurs de la nouvelle loi du silence, sachez retenir la leçon du sabre de l’Emir Abdelkader une bonne fois pour toutes. Il a eu beau tournoyer haut et faire scintiller sa lame tranchante, rien n’y fit, des pelotons de Français se déversèrent sur les plaines d’Algérie pour le résultat que l’on sait désormais. Soyez comme cet aigle pakistanais ou bien afghan qui ne se hisse au sommet qu’en toute liberté et qui y parvient avant même de s’occuper de ce qui se passe en bas, avant son décollage. Il fond vers les cieux sans regarder la terre, puis la couvre de ses ailes par un silence majestueux. Le silence s’impose, car l’acte est grandiose. Nous ne demandons rien de plus que cela, le silence de vos actes majestueux, grandioses. Personne en Algérie ne rechignerait à se taire en marque de reconnaissance pour ce vol royal que vous effectueriez afin de sauver l’Algérie des coups de griffes qui l’attendent. Sachez, chers messieurs, que plus l’aigle vole haut et plus le silence s’impose de lui-même et moins encore on ressent le besoin de l’imposer. C’est tout le mal que l’on souhaite à nos dirigeants : voler le plus haut possible comme le déclamait jadis Mohammed Iqbal dans ses fameux vers en urdu : «Tundi e Bad mukhalef se nagabrah ae oqab ! Ye to chalti hai tujhe uncha urane ke liye : Ô aigle, n’aie pas peur de voler contre les vents chauds, ils ne soufflent que pour te permettre de monter plus haut». Il nous tarde, en effet, de voir l’aigle algérien se déployer dans le ciel comme le fit voler jadis notre cher Houari Boumediene, mais aussi nos frères pakistanais, avant nous. Que l’ANP aille contre les vents chauds comme son ancêtre l’ALN osa le faire, et nous, petit peuple, saurons affronter les pires vents froids ; qu’elle nous montre ses missiles comme des ailes qui couvriraient la terre entière et nous lui offrirons nos plus profonds silences, ceux que l’aigle nous aura imposés de facto. Alors, nous nous enferrerions nous-mêmes comme mille Benhadid et mille Hassan, et bien d’autres encore afin que nos silences, comme l’aigle d’Iqbal, vous élèvent là où l’Algérie tout entière vous attend.
Dr Arab Kennouche
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