L’expert en informatique Ali Kahlane explique aux lecteurs d’Algeriepatriotique la dernière cyberattaque d’envergure
L’ancien professeur à l’Ecole militaire polytechnique (ex-Enita) et Ph. D. en informatique de l’université de Londres, explique à nos lecteurs l’attaque informatique majeure qui a paralysé une partie du web pendant plusieurs heures.
Les guerres telles que nous les connaissions se passaient dans des champs de bataille classiques, telles les guerres terrestres, navales, aériennes et, pour certaines, spatiales mêmes si celles-là on en parle beaucoup moins. Il existe maintenant un cinquième type de guerre, que tout pays peut mener et même gagner sans coup férir. Elle est accessible à tous, aux petits et aux grands, aux puissants comme aux faibles, son champ de bataille est l’internet ou l’espace du Net, une guerre qui se déroule dans le cyberespace.
Avec ce type de guerre, les contraintes d’armée conventionnelle disparaissent complètement. La flexibilité de mouvement est totale, car elle est supranationale, sans aucune frontière physique et sans aucune frontière virtuelle non plus d’ailleurs. Les conflits et les éléments de la guerre classique et traditionnelle sont désormais obsolètes, ils peuvent à peine servir à la dissuasion. C’est une guerre silencieuse, une guerre où l’ennemi est invisible. Les pertes humaines peuvent très bien ne jamais exister du moins pas d’une manière directe.
La Cyberguerre 2.0
Même si l’ennemi est invisible, il n’est pas forcément inconnu. C’est la cyberguerre 2.0 par analogie au web 2.0. Elle a été inaugurée par les Etats-Unis, juste après les attentats de 11 septembre 2001. Deux exemples contemporains, que j’ai choisis, peuvent illustrer admirablement ce type de guerre.
En août 2008, les troupes russes pénétraient en Géorgie. Presqu’au même moment, une énorme cyberattaque multiforme est perpétrée contre les infrastructures et les sites web gouvernementaux géorgiens. Défaçage de sites web, dénis de services, arrêt complet du système de communication VoIP, etc. Sans compter que tous les sites institutionnels et les infrastructures opérationnelles étaient tous bloqués ou lourdement défacés. Suite à cette attaque, certains sites web souverains, notamment celui de la Présidence et celui du ministère des Affaires étrangères géorgiens ont été prestement délocalisés et hébergés aux Etats-Unis pour assurer la continuité de l’Etat aux yeux du reste du monde. Les Etats-Unis ont averti que si jamais ces sites venaient à être attaqués, ils considéraient cela comme une guerre dirigée contre eux et riposteraient immédiatement. Les «assaillants» de l’époque ne l’ont finalement pas fait.
Ouf ! Fait historique troublant, durant cette attaque, nous sommes passés très près de vivre la première cyberguerre mondiale. Il n’en demeure pas moins que les retombées psychologiques de cette action ont été dévastatrices sur tout le pays ; il ne s’en était toujours pas remis plusieurs mois après.
L’autre cas est plus proche de nous. Il s’est passé en 2012 à Dhahran, en Arabie Saoudite, la veille du 27e jour de Ramadhan. Un groupe de hackers, se disant terroristes islamistes, effaçaient les disques durs de 30 000 ordinateurs de la plus grande compagnie pétrolière du monde, Saudi Aramco. Les pertes se sont comptées en centaines de millions de dollars. Pour la bonne mesure, ces mêmes terroristes afficheront sur tous les écrans de chaque ordinateur attaqué un drapeau américain en feu.
Sommes-nous déjà entrés dans une cyberguerre ?
Oui, tout porte à croire que nous sommes désormais dans la cyberguerre 3.0. Elle prend en compte le fait que plus de trois milliards d’humains sont connectés à l’internet. La nouvelle norme d’adressage, l’IPv6, adressera tous les êtres humains sur terre y compris leurs animaux domestiques et mêmes les autres qui ne le sont pas. En fait, tous les objets présents et futurs seront adressés pour encore des milliers d’années à venir sans que le «pool» d’adressage soit épuisé comme l’a été celui de l’IPv4 au bout d’une vingtaine d’années d’utilisation seulement.
En effet, dans l’internet de demain, en plus des êtres humains qui seront directement connectés et interconnectés entre eux, l’essentiel des données du réseau viendrait d’objets et de capteurs interconnectés entre eux. Ils échangeraient des données, se parleraient même et ils le font déjà…
Le Net n’est pas une créature immuable et nous aurons tort de le croire. L’internet actuel est un réseau de machines ; il interconnecte des ordinateurs entre eux. Une bonne partie des données qui y transite et qui y est stockée est produite par les internautes eux-mêmes enrichis par celles qui seront produites par les objets connectés et interconnectés.
Savoir où se trouve ce qu’on connecte et qui est connecté, c’est mieux et, surtout, indispensable. Les cyberattaques et les cyberguerres font maintenant partie de l’arsenal des guerres modernes. Contre qui, quand et où la prochaine attaque sera lancée est certes inconnu, mais une chose est sûre, celle-ci arrivera si elle n’est pas en train de se passer quelque part dans le monde au moment où vous êtes en train de lire ces lignes. Les chiffres sont affolants, les capacités et les moyens techniques aussi. L’internet mobile, de plus en plus rapide et omniprésent, a changé toute la donne. C’est, certes, la communication totale, mais c’est aussi la surveillance globale.
Les évènements que nous vivons depuis une quinzaine d’années montrent clairement que nous sommes entrés dans un autre type de «guerre», d’autres rapports de force qui ont enfanté un autre type de diplomatie où trois types d’internet cohabitent. L’internet utile qui permet à un pays d’exister et de fonctionner, l’internet des réseaux sociaux qui divertit et occupe le peuple et, enfin, l’internet physique secret et pernicieux que tous les pays courent et qu’ils voudront harnacher comme naguère ils le faisaient et le font toujours pour la bombe atomique.
Ali Kahlane
Comment (26)