Fadhma Ath Mansour Amrouche : la lutte enracinée dans les entrailles

Fadhma Ath Mansour
Portrait de Fadhma Amrouche dont une allée porte le nom en France. D. R.

Par Arezki Hatem – Le jour de la naissance de Fadhma Ath Mansour en 1882 à Tizi Hibel, la lumière s’est éteinte sur le visage de sa mère, une voilure épaisse s’est emparée de son âme tourmentée par la naissance d’un enfant mis au monde dans une sorte de destin forcé que la parturiente avait vécue comme un double supplice. Les vagissements douloureux d’une fille, présage de souffrance aux effilées sarisses et un bât tenace, le bât d’une société régie par un code d’airain où le poids des préjugés se porte tel un incommensurable fardeau accompagnant le paria jusqu’à la tombe. Au-delà même de la sépulture, sa descendance portera l’héritage de l’exclu(e) comme un oiseau de malheur rappelant de ses battements d’aile le passé «impropre» d’indésirables aïeux.

Fadhma Ath Mansour était née dans cette société forgée dans le roc inhospitalier d’une Kabylie souffrant d’une misère noire, accentuée par les incessantes représailles qui s’abattaient telles de tropicales trombes sur une population éternellement frondeuse, la noyant davantage dans les abysses de la misère. Cette répression dépassant tout entendement humain a poussé la société kabyle à plus d’enfermement, de reclus sur soi, à plus d’intolérance face aux égarements des siens : une sorte de bouclier repoussant les assauts de nouvelles mœurs accompagnant coude à coude la machine de guerre de l’envahisseur français.

Une enfance jalonnée de privations

La première privation dont a été victime Fadhma fut le père. Elle naîtra déjà orpheline. Donc, le reniement du père qui refusa de donner son nom à Fadhma, sa fille, conçue dans une relation amoureuse passionnée entre une mère – veuve à un jeune âge – et un jeune homme, cousin du défunt mari d’Aïni, le prénom que portait la mère de Fadhma. Ainsi naîtra Fadhma de cette relation intime entre deux êtres truculents de vie : l’un, la mère de l’auteure d’Histoire de ma vie, veuve à l’apogée de son éclosion ; l’autre, le père de celle qui portera plus dans son ventre la graine de grands écrivains. Un père qui, pourtant, était prêt à reconnaître la paternité de l’enfant et d’épouser la mère, mais le poids intenable des codes régissant la société kabyle l’avaient contraint à remettre en cause sa responsabilité dans la naissance de l’enfant, car il était déjà fiancé à une fille appartenant à une famille très puissante du village et rompre les fiançailles était vécu comme une humiliation faite à la famille de la fille. Ainsi donc, de peur de subir les foudres de sa belle-famille, le père biologique de Fadhma persista dans sa négation, traînant ainsi et la mère et la fille vers une grande étendue parsemée d’épines et de blessures.

Du couvent des sœurs chrétiennes des Ouadhias jusqu’à l’union avec Belkacem Amrouche

Après l’épisode douloureux de l’internat dans le couvent des Ouhadias, où la petite Fadhma avait subi une abominable maltraitance, sa mère décida de l’extirper des mains des religieuses pour la reprendre dans son giron, un giron certes pauvre et émacié, néanmoins plein de tendresse et d’affection. Le retour au bercail de la petite ex-pensionnaire ne fut guère une promenade printanière ; au contraire, la petite subira une multitude d’agressions physiques, insultes et autres vanités blessantes et humiliantes. Mais le courage de la mère et la protection de ses deux jeunes frères (issus de la première union de leur mère) calfeutrait la petite Fadhma d’une protection contre toute épreuve.

Du couvent de Taguemout Azouz à l’école laïque de Tadart Ouffela

Sur proposition de la femme du directeur de l’école primaire de Taguemout Azouz, Fadhma fut envoyée pour s’instruire à l’école républicaine nouvellement ouverte sur la route escarpée menant de Mekla, à Larbaâ Nath Irathen (ex-Fort-National). La petite et studieuse Fadma y trouva une ambiance propice pour s’émanciper et tisser des amitiés. Les résultats scolaires étaient au rendez-vous, élevant la future mère de la cantatrice et écrivaine Taos Amrouche aux cimes de son épanouissement scolaire. Mais une rumeur courait sur l’imminence de la fermeture de l’école, faute de subventions. Ce qui devait arriver et l’école fut fermée, renvoyant ainsi à nouveau la fille à son humus natal.

Mais l’attente d’une nouvelle perspective de départ ne fut pas longue. Le chemin de l’exil intérieur s’est esquissé rapidement : l’hôpital de Michelet sous les auspices des pères blancs où Fadhma s’initia aux soins infirmiers, où elle rencontra son futur mari Belkacem Ath Amrouche, un converti à la foi catholique, ce qui fut aussi le cas de Fadhma Ath Mansour.

Le couple prendra le chemin d’Ighil Ali, la terre natale des Ath Amrouche, où ils vécurent des années durant. Le chemin de l’exil frappa à nouveau à la porte de ces éternels exilés : départ pour la Tunisie, une terre où ils espéraient trouver la paix et la liberté.

Le séjour en Tunisie a, néanmoins, permis au couple et à leurs enfants de vivre librement leur religion, une instruction plus au moins efficiente et un train de vie relativement décent. La progéniture des Amrouche a trouvé aussi une terre arable qui leur permit de semer leur talent et d’en récolter de succulents fruits. Jean Amrouche et Taos étaient les plus plantureux des fruits, surplombant de leur forme envoûtante les autres, encensant ainsi leur mère de la joie, du bonheur et de la satisfaction maternelle.

Dans Histoire de ma vie, Fadhma raconte avec la précision d’une tisseuse de tapis kabyles anciens toutes les péripéties de sa vie, qui n’a pas été ni un fleuve tranquille ni une verdoyante clairière. Mais elle a laissé à la postérité une œuvre-école, deux grands auteurs et un souvenir que nulle amnésie ne pourra effacer.

A. H.

Comment (5)

    ganov zidov
    16 juillet 2017 - 23 h 24 min

    un brave hommage pour Nna fatma!

    Arezki HAMOUDI
    14 juillet 2017 - 22 h 16 min

    MELLO, … C’est surement le choix d’une autre religion outre islamique qui au départ a fait de cette Grande Dame un être à part et surtout indexé dans un environnement encore de nos jours plus que jamais refuse la différence …

    En optant pour la Chrétienté pour sa famille la maman de Fatma à brisée le dogme des traditions patriarcales qui ne valorisent guère la tolérance et le sécularisme nécessaire à l’épanouissement de L’Être , de ce fait en tant que Chrétienne la voie du savoir à frapper à la porte de sa petite fille considérée à juste titre doublement « renégate » …

    Les faits sont là, prés de deux siècles après sa conversion au Christianisme Fathma N’ath Menssour continue à soulever des réprobations de la part des conservateurs du dogme islamique …alors que sans le courage du reniement de ce dogme à son époque, et bien sure l’avantage de l’instruction reçue la DAME en question comme toutes ses semblables serait tomber dans l’anonymat sans avoir marquée sa page d’histoire, et laissé une autre à la postérité …

      MELLO
      15 juillet 2017 - 23 h 34 min

      Merci Monsieur HAMOUDI d’avoir apporté un complément d’information aussi riche que juste, sur cette grande Dame. En relisant l’une de ses œuvres «Histoire de ma vie» c’est la première fois qu’une femme parle de sa vie sans fioriture, ni honte. Née hors mariage, Fadhma vit dans sa chair réprobations et avanies. j’ai comme l’impression que les sœurs blanches qui l’avaient accueilli lui donnèrent cette force mentale qui lui a permis d’ affronter tous les dures aléas d’une vie pas si facile. A la fin du livre Fadhma souligne que «Jamais, malgré les quarante ans que j’ai passés en Tunisie, malgré mon instruction foncièrement française, je n’ai pu me lier ni avec les français, ni avec les arabes. Je suis restée, toujours, l’éternelle exilée, celle qui, jamais, ne s’est sentie chez elle nulle part.
      Je ne terminerais pas, sans citer Kateb Yacine qui disait:
      « Le livre de Fadhma porte l’appel de la tribu, une tribu comme la mienne, la nôtre devrais-je dire, une tribu plurielle et pourtant singulière, exposée à tous les courants et pourtant irréductible, où s’affrontent sans cesse l’Orient et l’Occident, l’Algérie et la France, la Croix et le Croissant, l’Arabe et le Berbère, la montagne et le Sahara, le Maghreb et l’Afrique, et bien d’autres choses encore : la tribu de Rimbaud et de Si Mohand ou M’hand, d’Hannibal, d’Ibn Khaldoun et de saint Augustin, un arbre de jouvence inconnu des civilisés, piètres connaisseurs de tout acabit qui se sont tous piqués à cette figue de Barbarie, la famille Amrouche. »

    MELLO
    14 juillet 2017 - 19 h 07 min

    La trituration de cet article nous donne une vue purement orientée d’une femme kabyle enveloppée dans une tendance religieuse à l’écart de l’islam, comme qui dirait que la Kabylie était « Chrétienne ». Justement, cette Kabylie a su maintenir sa religion musulmane malgré tant d’invasions religieuses. Pour mieux connaitre cette grande Dame , Fadhma Ath Mansour passa la majeure partie de sa vie Tunis, mais ne cesse de penser à sa Kabylie natale : « J’étais toujours restée en Kabylie, malgré les quarante années que j’ai passées en Tunisie, malgré mon instruction foncièrement française… ». Pourquoi donc une telle popularité?. En 1930, elle entreprend, avec sa fille Taos et son fils Jean, l’écriture et la traduction en français de ces chants berbères, conservés jusque là par la tradition orale. Ces contes sont mis à l’honneur dans les Chants berbères de Kabylie de Jean Amrouche en 1939. Ils sont également repris en partie dans Le Grain Magique par sa fille Taos Amrouche, publié en 1966. En 1968, son autobiographie Histoire de ma vie est publiée à titre posthume. À travers ce récit, Fadhma peint le combat de la femme kabyle du XXe siècle, sa place entre la Kabylie, sa langue et la langue de l’empire colonial, dans cette société kabyle qui lui impose de nombreuses contraintes, sa religion, pourtant exercée discrètement, mais qui la force à l’exil, les coutumes au nom desquelles cette même société l’exclut, en la punissant durement déjà, avant même sa naissance, mais aussi cette culture berbère, et ses chants folkloriques qui lui « avaient permis de supporter l’exil et de bercer sa douleur. » Fadhma décède le 9 juillet 1967 à l’hôpital de Saint-Brice-en-Coglès en Bretagne (France), à l’âge de 85 ans.

    Bison
    14 juillet 2017 - 15 h 27 min

    Un bel hommage pour cette grande dame, l’image éclatante de la vraie femme kabyle et algérienne en général qui ont porté le fardeau de la vie et de l’honneur avec autant de dignité sans jamais se plaindre, sans gémir et sans se renier! C’est ces femmes qui ont fait la grandeur de l’Algérie ! Terre fertile d’Hommes et de Femmes ( qui se distinguaient de loin) avant que les vents de l’Est se conjuguant à ceux de l’Ouest ne sont en passe de finir de la transformer en une terre où l’on reconnait plus l’endogène de l’ exogène; bientôt les indigènes , les orphelins de la république doivent se faire petits et raser les murs…

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