Il y a 60 ans, Henri Alleg s’insurgeait dans «La Question» pour dénoncer la torture en Algérie

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Henri Alleg. D. R.

Il y a 60 ans, le célèbre journaliste engagé dans la cause algérienne et historien, Henri Alleg, s’insurgeait dans La Question, un livre à travers lequel il dénonçait la torture pratiquée par l’armée française contre les Algériens durant la guerre de Libération. «Les tortures ? Depuis longtemps, le mot nous est à tous devenu familier. Rares sont ici ceux qui y ont échappé», avait-il affirmé dans son ouvrage écrit à la prison Barberousse (Serkadji, Alger) et publié en France le 18 février 1958 aux Editions de Minuit.

Désignant les tortionnaires, le livre a été immédiatement censuré et les exemplaires mis en vente saisis. Directeur du quotidien Alger républicain, un journal qui a été interdit en septembre 1955, Henri Alleg était connu comme un fervent militant de la cause algérienne passé à la vie clandestine en 1956. Voulant contacter son ami Maurice Audin le 12 juin 1957, Henri Alleg fut arrêté le lendemain de la disparition à jamais du mathématicien dont l’affaire vient de connaître un rebondissement 61 ans après.

Après la récente confidence du président Emmanuel Macron, que Maurice Audin eut été assassiné par l’armée, un soldat du contingent vient de libérer sa conscience en avouant que c’était lui qui avait enterré le mathématicien. Une version qui vient contredire une fois de plus la thèse officielle. L’ancien directeur d’Alger républicain est transféré alors dans un lieu de torture à El-Biar (les hauteurs d’Alger). Après un mois de supplices et de tortures, il est jeté en prison en août 1957, après avoir réussi à faire parvenir en France une copie de sa plainte pour torture remise au procureur général d’Alger.

Selon Nils Andersson, un éditeur né à Lausanne expulsé du territoire suisse par les autorités helvétiques en 1966 suite à la publication de divers écrits, principalement favorables aux combattants algériens puis vietnamiens, l’histoire du livre commence au moment où Léo Matarasso, l’un des avocats d’Alleg, lui demande de témoigner sur les tortures subies. Après un moment d’hésitation, l’avocat le convainc de l’importance qu’il décrive les supplices infligés à des milliers d’Algériens.

Les feuilles du manuscrit sont transmises clandestinement aux avocats, dont Léo Matarasso, Roland Rappaport (qui devient avocat de la famille Audin) et Pierre Braun. Sa femme Giberte déchiffrait les feuilles pour pouvoir taper le manuscrit. Plusieurs éditeurs ont refusé le manuscrit qui a été remis par la suite à Jérôme Lindon (Editions de Minuit) qui avait déjà publié Pour Djamila Bouhired, un ouvrage dans lequel Georges Arnaud et Jacques Vergès dénoncent les tortures subies par cette moudjahida.

Dans son livre, Henri Alleg raconte sa période de détention et les sévices qu’il y a subis avec les Algériens. «J’ai côtoyé, durant ce temps, tant de douleurs et tant d’humiliations que je n’oserais plus parler encore de ces journées et de ces nuits de supplices si je ne savais que cela peut être utile, que faire connaître la vérité, c’est aussi une manière d’aider au cessez-le-feu et à la paix», avait-il écrit, indiquant que «des nuits entières, durant un mois, j’ai entendu hurler des hommes que l’on torturait, et leurs cris résonnent pour toujours dans ma mémoire».

Il a attesté avoir vu «des prisonniers jetés à coups de matraque d’un étage à l’autre et qui, hébétés par la torture et les coups, ne savaient plus que murmurer en arabe les premières paroles d’une ancienne prière», relatant que c’est pendant cette période qu’il avait appris la «disparition» de son ami Maurice Audin, arrêté vingt-quatre heures avant lui, «torturé par la même équipe qui ensuite me ‘‘prit en main’’».

Il a évoqué, entre autres, la disparition de cheikh Larbi Tebessi, président de l’Association des oulémas musulmans, et du docteur Cherif Zahar. Ce livre-témoignage a provoqué un véritable choc dans les esprits des milieux intellectuels français et dans la presse, comme notamment France-Observateur, l’Express et l’Humanité. Dans une lettre de protestation au gouvernement, André Malraux, Roger Martin du Gard, François Mauriac et Jean-Paul Sartre l’avaient sommé, «au nom de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen, de condamner sans équivoque l’usage de la torture, qui déshonore la cause qu’il prétend servir».

R. N.

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