Sur le projet de loi relative à la santé – Contribution des ménages (III)

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Les députés de la majorité envisagent de voter l'éviction de Saïd Bouhadja. New Press

Par Bouderba Noureddine – Les systèmes de santé qui exigent un paiement direct par les patients au moment des soins empêchent de nombreux citoyens d’y accéder et font basculer dans la précarité et la pauvreté de millions d’autres. C’est pourquoi il faut, selon l’OMS, atteindre plus vite la couverture universelle en ayant moins recours au paiement direct. Les pays qui ont le plus progressé en matière d’accès aux services et de protection financière sont ceux qui exigent une contribution des personnes qui en ont les moyens, par le biais des impôts ou du paiement obligatoire d’une cotisation à l’assurance-maladie.

Pour l’OMS, les paiements directs ne doivent pas être supérieurs à 10%. En Algérie cette contribution des ménages dépasse les 27%. Ce ratio est certainement sous-estimé lorsqu’on connaît le coût payé pour les consultations, les explorations, les médicaments, les interventions ainsi que les frais de transport, d’alimentation et de literie.

Les tarifs de remboursement des soins privés et des autres prestations en nature des assurés sociaux datent de 1987. Ils varient de 32 et 80 DA pour une consultation pour laquelle le montant réellement déboursé par le malade varie de 800 à 5 000 DA. Pour les autres actes médicaux, onéreux les montants remboursés sont encore plus dérisoires (moins de 9 DA/acte). Une césarienne payée 80 000 à 90 000 DA n’est remboursée qu’à hauteur de 800 DA ! Un séjour dans une clinique privée coute entre 10 000 DA et 100 000 DA/journée et est remboursé 210 DA/jour. Ceci sans parler des soins privés des pathologies lourdes, telles une cure de radiothérapie dont le coût du protocole varie entre 500 000 DA et un million de dinars. Un coût hors de portée aussi bien du malade que de la Sécurité sociale.

En 1991, la proportion des recettes de la Cnas réservée au remboursement des frais médicaux représente 3,5% des recettes totales. En 2017, ce ratio n’était que de 0,9%.

S’il y a une conclusion à tirer, c’est celle d’affirmer qu’on a transféré sur les malades la quasi-totalité des frais des actes médicaux durant une période ou l’offre publique de soins a été réduite comme peau de chagrin et l’offre privée a connu une augmentation exponentielle.

Cela se traduit évidement par l’augmentation de la proportion de la population qui renonce aux soins ou qui s’appauvrit. Les victimes sont recensées, bien sûr, surtout chez les pauvres, où le risque de décès d’un enfant est 1,8 fois supérieur à celui d’un enfant riche (enquête MICS 3 2012-2013) et un enfant habitant au Sud a un risque de décès de 2,3 fois supérieur à une enfant habitant le Nord.

Une des conséquences directes qui ne manquerait pas de découler de cette loi sanitaire si elle est promulguée est la renonciation aux soins par des millions de personnes et l’appauvrissement de millions d’autres.

L’analyse des résultats de l’enquête sur la consommation réalisée, en 2011, par l’ONS auprès des ménages, montre qu’hors loyers fictifs, 80% de la population (les moins aisés) consacrent plus de 50% de leurs dépenses à l’alimentation (59,9 % pour les 20% les plus pauvres (1er quintile-Q1), 58% pour le quintile suivant (Q2) et 52,2% pour les 3e et 4e quintiles (Q3 et Q4). Or, les spécialistes s’accordent pour dire que plus le coefficient alimentaire d’un ménage est plus grand plus son pouvoir d’achat est faible. A titre comparatif, il faut savoir que ce coefficient est inferieur à 40% en Tunisie et à 12% en France.

C’est dire que l’essentiel des revenus des ménages non riches en Algérie vont aux dépenses de subsistance. Cela permet de conclure que l’extrême précarité sociale de la majorité de la population ne lui permet pas de supporter les coûts supplémentaires qu’on veut lui imposer.

Prise en charge des démunis

Selon le projet de loi sanitaire, la prise en charge des démunis, définis comme des «personnes dont les ressources sont insuffisantes», est le droit à une protection sanitaire à la charge de l’Etat (articles 93 et 94) sans aucune autre précision sur les modalités de cette prise en charge renvoyées à la réglementation. La commission santé de l’APN a adopté cette disposition en modifiant juste leur définition par «personnes à faible revenu».

La part de la population active non affiliée à la Sécurité sociale est estimée par l’ONS à 40%. A cette catégorie il faut ajouter les nombreuses personnes cataloguées comme inactives. Ces non-affiliés ne bénéficient pas, dans leur totalité, de l’assurance-maladie au titre d’ayants droit d’un assuré social. Ces personnes sont confrontées non seulement à la difficulté d’accéder aux consultations, mais aussi au non-remboursement des médicaments et à la non-prise en charge des frais d’exploration.

L’une des difficultés auxquelles sont confrontés la majorité des pays du monde ayant opté pour le ciblage des aides sociales et sanitaires au profit des pauvres est l’identification des démunis. En Algérie, elle ne peut s’effectuer sans un taux d’exclusion important (des millions de personnes seront exclues de la prise en charge) au vu de l’importance du secteur informel (50%) et de l’archaïsme de l’administration. Même lorsque les démunis sont identifiables, le seuil du revenu à partir duquel on peut considérer qu’une personne est démunie exclut des millions de personnes, dans le besoin, de cette prise en charge.

En 2003-2004, l’Algérie avait tenté, en vain, par le biais d’un arrêté ministériel, d’instaurer la médecine payante dans les hôpitaux pour toute la population à l’exclusion des assurés sociaux, des personnes âgées et des démunis définis comme les personnes dont le revenu mensuel était inférieur au montant du minimum de retraite (l’équivalent aujourd’hui de 7 500 DA/mois !)

L’autre question qui se poserait pour les démunis, est qu’ils ne sont pas couverts par la Sécurité sociale (dans le cas contraire ils seraient considérés dans le projet de loi comme des «assurés sociaux») et qu’ils sont dans l’impossibilité d’accéder à l’offre de soins privée qui a tendance à dominer face au désengagement de l’Etat et au remboursement de leurs frais en médicaments et en exploration.

Le médecin référent

Le projet de loi introduit, dans le cadre de la hiérarchisation des soins, le médecin référent dont la consultation par le patient et l’orientation conditionne l’accès aux spécialisés de santé des hôpitaux (art. 21). Voilà un autre obstacle majeur qui va exacerber les inégalités d’accès aux soins et pousser de plus en plus de pauvres à y renoncer.

Dans les pays développés, comme la France, où la quasi-totalité de la population dispose d’une assurance-maladie, les patients éprouvent d’énormes difficultés à trouver un médecin référent (manque de médecins, non-remplacement d’un médecin parti en retraite etc.). Certaines familles sont obligées de prendre un médecin exerçant à 100 km de leurs domiciles. Pourtant, en France, la densité des médecins représente trois fois celle de l’Algérie.

En Algérie les patients, lorsque le nombre de médecins du secteur public est insuffisant, seront obligés de prendre un médecin référent privé, payant bien sûr, qu’ils ne pourront pas toujours payer. Cet obstacle va priver incontestablement les pauvres d’un accès aux services publics spécialisés en santé après avoir été privés, pour raison financière, des services spécialisés de santé privés ces 20 dernières années.

Les patients des Hauts-Plateaux et du Sud seront les premières victimes de ces discriminations au vu de la répartition actuelle des médecins et des structures de santé, sans oublier les inégalités en termes de répartition des richesses.

L’activité complémentaire

L’activité complémentaire a été introduite en 1998 par effraction, sans être objectivement justifiée. Elle a été instituée en pleine période du Programme d’ajustement structurel imposé par le FMI, durant lequel les salaires étaient bloqués. Elle a été instaurée pour suppléer à l’impossibilité de l’Etat de répondre aux revendications salariales des médecins spécialistes. Son objet a été de faire supporter aux malades le cout des augmentations salariales que l’Etat ne pouvait satisfaire. Cette activité a eu des résultats catastrophiques sur le fonctionnement de nos hôpitaux : détournement des malades, des médecins, du matériel et même des médicaments ! A cause de cette activité, nos hôpitaux ont connu un ralentissement de leur activité et même une paralysie les après-midi.

Le rapport 2003 sur «La santé des Algériennes et des Algériens», élaboré par le ministère de la Santé, indique, à ce sujet, que «depuis la mise en application des textes concernant le temps complémentaire, les activités des établissements sont considérablement réduites à partir de midi».

Le projet de loi relative à la santé présenté par le gouvernement a, à juste titre, interdit l’activité complémentaire et/ou lucrative (art. 176) mais curieusement, sous la pression des lobbys, la commission santé de l’APN a décidé de supprimer cette interdiction.

L’activité complémentaire dans les cliniques privées a été un point noir dans le système de santé. Son déplacement vers les établissements publics de santé ne fera qu’aggraver leurs disfonctionnements. Soumis à la marchandisation, nos hôpitaux deviendront une source de dilapidation de ressources, une course déloyale et immorale vers le gain facile au mépris de l’éthique, une source supplémentaire d’inégalités socioprofessionnelles pour les professionnels de santé et une source d’inégalité et d’iniquité en matière d’accès aux soins pour les malades.

Le service civil

La satisfaction des revendications légitimes, d’ordres pédagogique, professionnel et social des médecins résidents est possible si l’Etat mobilise les moyens nécessaires à la réhabilitation du secteur. Dans ce cadre, mon avis est que la solution à l’absence de matériel médical et de consommables ainsi que des moyens d’accueil, de travail et de vie des médecins au Sud et dans les Hauts-Plateaux doit obliger l’Etat à les rendre disponibles et non pas aboutir à la suppression du service civil.

Le service civil n’a pas été et ne peut être un échec. C’est le système de santé, dans son ensemble, qui n’est pas suffisamment efficient à cause de l’absence de visibilité des gouvernants, du manque de ressources affectées à la santé et du poids des lobbys. Lutter contre les discriminations et les inégalités géographiques et sociales demeure une nécessite et une obligation pour le gouvernement et la société afin d’assurer une couverture sanitaire à tous les Algériens et en premier lieu ceux des régions du Sud et des Hauts-Plateaux. Il ne faut pas perdre de vue que la moitié des médecins spécialistes opèrent dans le privé et sont dans leur quasi-majorité installés dans les villes du littoral, provoquant des inégalités économiques et géographiques catastrophiques.

Si le service civil ne peut constituer, à lui seul, une réponse aux nombreux problèmes de santé, il n’est pas juste de dire qu’il ne sert à rien. Il est nécessaire mais insuffisant. C’est pourquoi l’Etat doit mobiliser toutes les conditions idoines d’accueil, de vie et de travail et une rémunération en rapport avec le diplôme et les services rendus à la société.

Les obligations de l’Etat en matière de service civil, telles que proposées par le ministre de la Santé, doivent être consignées dans un texte réglementaire comme le demandent légitimement les médecins (à l’exception de la catastrophique activité complémentaire).

En conclusion, ce projet de loi aura pour effets d’approfondir les inégalités d’accès aux soins et d’augmenter la pauvreté. Des millions de personnes risquent d’être poussées à une renonciation aux soins.

N. B.

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