Appel à témoignages sur l’autogestion algérienne

autogestion
La plaine de la Mitidja, jadis prospère. D. R.

Par Kaddour Naïmi – «Tant que les lions n’auront pas leurs propres historiens, les histoires de chasse se termineront toujours en la gloire du chasseur» (Joseph Ki-Zerbo)

Cet appel part d’une constatation : l’effarante ignorance et le néfaste oubli causés par l’intéressée occultation d’une partie fondamentale du passé du peuple algérien. En l’occurrence, il s’agit en particulier de l’expérience autogestionnaire qui eut lieu en Algérie, tout juste au lendemain de l’indépendance. Contrairement aux allégations des vainqueurs de l’histoire, cette expérience réalisa le miracle d’assurer une certaine continuité de la production industrielle et agricole, en dépit de l’abandon des propriétaires et cadres techniques coloniaux, et malgré l’absence d’un Etat nouveau capable de gérer le pays tout juste libéré. Cette expérience démontra avec éclat l’absurdité oligarchique du dicton algérien : «I’lâ anta mîr ou anâ mîr, achkoun issoug al hmîr ?» (si tu es maire et je suis maire, qui conduira les ânes ?). En effet, les «ânes» prouvèrent avec éclat leur capacité d’être des «maires», c’est-à-dire des gestionnaires, et cela de manière libre, égalitaire, solidaire et, cerise sur le gâteau, efficace !

En Algérie, actuellement, tous s’accordent à reconnaître l’extrême délicatesse de la période. Les solutions correctes aux problèmes sociaux ne sont pas claires. Aussi, le débat en cours gagnerait à remettre à l’ordre du jour un idéal social et la forme concrète qu’il eut dans le passé, comme il essaie de l’avoir dans le présent : il s’agit de toute réalisation, selon l’expression consacrée, «par le peuple et pour le peuple», plus exactement des actions autonomes, libres, égalitaires et solidaires, entreprises par des citoyens et citoyennes en Algérie, de 1962 à aujourd’hui, en vue du bien commun. Celui-ci implique l’élimination de toute forme d’exploitation économique d’une majorité par une minorité, donc de domination sociale de la première par la seconde ; cela suppose, bien entendu, la suppression de toute forme de conditionnement idéologique. Telle n’est-elle pas la volonté fondamentale du peuple, comme celle de tout authentique démocrate ?

Evitons un malentendu. Cet «appel» n’a aucune prétention, évidemment, de s’imaginer comme solution actuelle à la situation présente. Il s’agit simplement d’une mise en perspective à long terme ; elle tient cependant en considération des actions autogestionnaires actuelles, comme possibles semences pour une future récolte plus consistante.

Dès lors, il s’agit de savoir quelles furent dans le passé et quelles sont dans le présent les caractéristiques de l’autogestion sociale, ses succès, ses limites, ses échecs, ses perspectives et les leçons pratiques à en tirer. Le but est la recherche non pas d’un modèle ni de recette miraculeuse, servant une minorité, mais d’une piste vers des solutions socialement équitables, pacifiquement réalisables, démocratiquement débattues et acceptées par et pour la collectivité entière. Utopie ? Peut-être. Aux citoyens la décision !

Pour connaître et faire connaître ces propositions de solutions, un «appel» est donc lancé à témoignages, sous la forme d’écrits personnels (en dziriya dite darija, tamazight, arabe classique ou français), de déclarations audio (dans l’une de ces langues), de matériel photographique documentaire (tracts, journaux, revues, photos d’assemblées, d’actions diverses, etc.), éventuellement vidéo. Le but est de faire le point sur les actions passées et présentes d’autogestion collective en Algérie et, mieux encore, de créer un centre de recherche sur l’autogestion sociale.

Espérons faire ensemble œuvre utile pour déterminer en quoi cette pratique pourrait être, dans les conditions actuelles de l’Algérie, en dépit des dénigrements intéressés, une bénéfique source d’inspiration dans la recherche et l’instauration d’une société où liberté individuelle soit en harmonie avec une solidarité collective, dans le respect des spécificités culturelles. Le point fondamental est d’examiner si l’autogestion sociale en Algérie (comme partout ailleurs) est ou n’est pas la réalisation la plus réellement concrète de démocratie populaire dans le meilleur sens de l’expression. Cette autogestion a existé en Algérie et démontra son efficacité, avant d’être éliminée par la force bureaucratique, laquelle, comble de l’imposture, se manifesta au nom du «socialisme».

En complément à cette production documentaire de la part des intéressés, seront prochainement publiés, de ma part, un essai théorique : Pourquoi l’autogestion ?(1), comme perspective actuelle à considérer, ainsi qu’un roman : Quand la sève se lève(2). Ce dernier relatera, juste après l’indépendance, deux expériences autogestionnaires : dans une usine de chaussures à Oran et dans une ferme des environs, à Gdyel.

Par ces diverses productions, l’espoir est d’intéresser aussi bien les lecteurs d’essais que ceux de littérature, en illustrant le très beau vers du regretté ami et compagnon Jean Sénac- Yahia Alwahrani : «Tu es belle comme un comité de gestion» !

Télécharger le texte de l’Appel.

K. N. ([email protected])

(1) https://www.editionselectronslibres-edizionielettroniliberi-maddah.com/ell-francais-sociologie-oeuvres_pourquoi_autogestion.html

(2) https://www.editionselectronslibres-edizionielettroniliberi-maddah.com/ell-francais-roman_quand_seve_se_leve.html

 

 

Commentaires

    Yes
    12 janvier 2019 - 21 h 11 min

    Mr Naimi,merci pour l’initiative. Je propose qu’il y ait aussi des contributions témoignages sur l’épopée dans l’industrie, stratégie appelée « industrie industrialisante »,qui etait en fait une production en substitution aux importations,..transformée plus tard en  » compter sur soi » ….puis en « made in bladi » … Pour aboutir à l’interdiction d’import de certains produits et instauration de licences d’importations…etc..etc.. La marche à reculons,quoi,en évitant bien sûr de reconnaître que finalement la stratégie de boumediene etait la bonne et valable encore aujourd’hui. En précisant qu’à l’epoque yavait une poignée de cadres sans aucune expérience .
    Cordialement.

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