Contribution de Youcef Benzatat – Une contre-révolution sournoise en cours
Par Youcef Benzatat – Il est évident que les millions d’Algériens qui ont manifesté ce vendredi 5 avril partout dans le territoire national ne l’ont pas fait contre le 5e mandat, ni contre le départ de Bouteflika. Ce dernier ayant déjà démissionné et les élections annulées. Ces manifestations étaient plutôt contre les symboles et le personnel du système de pouvoir en vigueur depuis l’indépendance, comme cela a été clairement exprimé par les slogans des manifestants.
De ce fait, nous entrons de plain-pied dans la deuxième phase du processus révolutionnaire, caractérisée par l’exigence du peuple à une transition en dehors des symboles du système et sans le personnel de celui-ci, encore aux commandes.
La première phase étant celle qui a permis en premier l’émergence du peuple dans l’espace public, en s’affirmant en tant que force politique, inexistante auparavant. Pour ensuite provoquer une rupture dans les relations publiques habituellement consacrées, par laquelle le peuple a forcé cette relation vers un rapport pragmatique entre gouvernants et gouvernés, obligeant ceux-ci à céder à la première exigence, celle d’annuler le 5e mandat et de faire démissionner le président de la République.
Traduit constitutionnellement, les symboles du système ne sont autres que la Constitution en vigueur elle-même et les institutions de l’Etat. A savoir, le Conseil de la nation, le Conseil constitutionnel, le Parlement, le gouvernement et les instances locales élues (wilaya et APC). Quant au personnel de celui-ci, il ne s’agit pas moins des présidents des deux conseils, de l’ensemble des parlementaires, du gouvernement et des élus locaux. C’est donc tout l’édifice, du moins officiel, de ce système de pouvoir qui est rejeté par le peuple.
Cette deuxième phase se caractérise donc par l’exigence du départ du personnel de cet édifice, pour laisser place, dans une troisième phase, à un personnel choisi par le peuple, qui aura pour tâche la refondation d’un nouvel édifice républicain, négocié démocratiquement par les représentants légaux du peuple.
Comme tout processus révolutionnaire, il doit faire face à des forces contrerévolutionnaires et à des forces de reflux au sein même du peuple. Les uns instrumentalisant les autres dans une relation de complicité et de collaboration, où chacun trouve satisfaction au profit de ses intérêts, pour faire échouer la révolution.
On a pu observer pendant les manifestations de ce vendredi 5 avril la provocation des forces armées de ce système de pouvoir à vouloir empêcher le peuple d’exercer son droit de manifester librement. En l’empêchant de converger vers le centre d’Alger et former une force compacte, pour le diviser et l’affaiblir, par des barrages aux principaux accès à la capitale, tout en usant de gaz incapacitant. Au même moment de manifester son autisme aux exigences du peuple d’exercer souverainement son droit politique fondamental, celui de choisir ses propres représentants pour conduire la transition vers un nouveau système de pouvoir à son profit.
La contre-révolution s’exerce aussi, et surtout, de façon sournoise. On a pu constater aussi dans ce moment critique de la vie politique nationale le gouvernement inciter le peuple à créer des partis politiques afin de provoquer la déviation des objectifs du processus révolutionnaire et, en même temps, d’atomiser l’unité du peuple et certainement dans l’intention de créer des faux partis politiques, comme de coutume, qui lui serviront dans l’avenir pour une nouvelle façade démocratique, pour pallier la disqualification de celle qui existait déjà auparavant.
On a assisté aussi, ces derniers jours, à un simulacre grossier de chasse aux lampistes dans les milieux corrompus avec fracas, pour tenter de duper les plus disposés à la crédulité dans la bonne foi du système parmi la grande masse du peuple, pour les isoler des «meneurs», cette classe moyenne cultivée, considérée comme le carburant de la révolution. Encore une tentation d’atomiser l’unité du peuple.
Dans cette deuxième phase cruciale du processus révolutionnaire, il y en aura certainement beaucoup d’autres tentations de division de l’unité du peuple et la déviation des objectifs de la révolution par d’autres biais. Notamment, les deux grands champs de manœuvre potentiels, propres au reflux au sein du peuple lui-même, que sont les tentations islamistes et séparatistes, voire fédéralistes. Les uns s’appuyant sur les autres pour un partage du pouvoir au détriment de la révolution.
Y. B.
Comment (27)