Manifeste pour une sortie de crise

26e Marche crise
Lors de la marche de vendredi dernier à Alger-Centre. PPAgency

Par Dr Arab Kennouche – Alors que la guerre des clans fait rage au détriment des intérêts suprêmes de la nation, il semble opportun de porter le regard sur la nature véritable de la crise qui secoue l’Algérie afin de déterminer le champ d’intervention des futurs décideurs légitimes. Contrairement à une approche purement institutionnelle convoquant le droit sans avoir au préalable déterminé les questions d’essence politique, cette intervention a pour objet l’analyse des grandes questions de fond que se pose la société algérienne d’aujourd’hui et manifestée dans le hirak.

Il n’est, en effet, pas pensable de vouloir régler la crise actuelle par des échafaudages juridico-constitutionnels qui ne cernent pas les véritables questions. Dans l’histoire des grandes nations, on a constaté des phénomènes de rupture comme celle que vit l’Algérie actuellement. Par rupture, nous entendons un bouleversement tel de l’ordre économique et social que l’acteur principal, le peuple, la société ressent le besoin d’un changement de perspective idéologique qui, par la force des choses, conduit à une transformation politique profonde devenue salutaire, indispensable. L’exemple typique d’une telle rupture est celui de la Révolution française pendant laquelle une grande question était débattue et par le peuple et par les élites : monarchie absolue, constitutionnelle, ou passage direct à la République ? Et c’est la République qui l’emporta. En Italie, cette question fut aussi importante et c’est la République qui l’emporta. Mais l’Italie connut d’autres crises comme la fameuse question de Rome ou la détermination du pouvoir du pape face à celui de l’empereur.

En Algérie, on peut synthétiser la rupture actuelle sous la forme de trois questions cruciales : comment penser le retrait progressif du militaire ? Comment penser l’expression séculière de l’islam politique ? Enfin, comment penser la société capitaliste en Algérie ? Chacune de ces questions abrite, en fait, un dilemme entre deux positions presque en opposition : gouvernement civil ou militaire, islamisme ou conservatisme et, enfin, capitalisme sauvage ou social-démocratie ? L’implosion du système politique algérien actuel est de même nature que les ruptures évoquées plus haut : les manifestations du 22 février ont fait émerger de grandes questions de nature essentiellement politique qu’il est temps de formuler. Si la question de la république a été tranchée en Algérie, celle du militaire reste entièrement en suspens.

Etat civil ou Etat militaire ?

Premièrement, il s’agit de régler les rapports entre la sphère civile et la sphère militaire. Il est impensable de vouloir régler la crise actuelle par de simples élections si cette question n’est pas traitée de fond en comble dans la future structure de pouvoir en Algérie. Il faut, en effet, définitivement sortir de l’Etat militaire «civilisé», c’est-à-dire ayant reçu un habillage civil pour la circonstance (cas des dictatures militaires parrainées par un civil fantoche comme en Asie du sud-est) ou bien de l’Etat civil «militarisé» qui, généralement, représente une dictature ou une monarchie absolue ayant privatisé l’armée (monarchie du Golfe, Maroc, etc.). L’Algérie devra s’affranchir définitivement de cette architecture perverse en adoptant un modèle proche des attributions constitutionnelles de l’armée.

On sait que le clanisme politique provient d’une matrice militaire impliquée dans la sphère civile au point où les décisions essentielles devant régir la vie politique proviennent de considérations militaires, elles-mêmes issues de joutes souvent régionalistes. Le principe d’une armée unie qui fait sa force ne s’accommode pas des principes de compétition politique même sains, les deux sphères étant par nature différentes. On doit donc promouvoir un retrait progressif du militaire en Algérie, sans tomber dans le piège de la récupération comme pendant la période Bouteflika.

Quelle forme d’Islam politique ?

Cette question est encore essentielle dans l’Algérie d’aujourd’hui. Depuis la fin de la décennie noire, elle n’a pas reçu un traitement de fond et définitif et la loi de concorde civile ne s’est pas révélé une solution pérenne à l’expression du politique en islam. Dans le mouvement du hirak, on s’aperçoit clairement de la sensibilité extrême à cette question de la part des Algériens qui craignent une nouvelle éruption de violence fondamentaliste. Les acteurs politiques doivent désormais s’atteler à inventer un modèle de gestion et d’expression politique de l’islam qui le fasse évoluer de l’islamisme vers le conservatisme. En devenant un moyen de coercition politique instrumentalisé de toute part, l’islamisme usant de la violence politique ainsi que de la compromission avec des forces étrangères s’est avéré un frein au développement de la société en Algérie. Or, il est possible de rendre à l’islam ce qui lui appartient, en promouvant un courant conservateur complètement acquis aux principes démocratiques.

La question est épineuse et cruciale dans l’Algérie encore traversée par des forces obscurantistes. Mais c’est encore l’exemple italien de ladite «démocratie chrétienne» (voir l’apport fondamental de Luigi Sturzo et du parti populaire italien) qui doit donner l’espoir en la fondation d’un parti démocrate-musulman qui soit le porte-voix d’une doctrine sociale de l’islam dans le cadre d’un Etat républicain et séculier. La question d’un islam républicain et conservateur est essentielle pour contrecarrer les positions islamistes anti-séculières qui, chaque jour, minent l’existence de l’Etat algérien.

Quelle forme de capitalisme ?

La question économique et sociale ne fait pas qu’effleurer les défis actuels et à venir du mouvement du hirak. Quel modèle économique adopter pour les futures générations ? Sans renier totalement le libéralisme économique, l’Algérie ne peut se permettre d’entrer de plain-pied dans un modèle capitaliste débridé et sauvage dont l’Occident commence à en voir les effets pervers. Définir de nouvelles règles de jeu social et économique, c’est permettre au hirak de choisir un modèle qui corresponde à sa vision de la société : le besoin d’un modèle est primordial, que l’on songe à la social-démocratie scandinave ou allemande, où l’intervention de l’Etat régulateur, distributeur, social est une donnée désormais structurelle de la vie politique. Faire évoluer l’Algérie vers une véritable démocratie sociale contre le développement anarchique de ces dernières années s’impose comme défi du hirak.

Il semble donc que ces trois questions fondamentales sont au cœur du mouvement de contestation actuelle. Aucun traitement de la crise actuelle ne peut faire fi de ces questions politiques majeures qui doivent trouver des réponses définitives afin de déterminer, dans un deuxième temps, les formes plus matérielles, comme les acteurs politiques les plus à mêmes d’en réaliser les objectifs. D’où la question essentielle des partis politiques à reconstruire, et du choix de leurs représentants.

A. K.

 

Comment (6)

    Zaatar
    21 août 2019 - 7 h 32 min

    Faux et archi faux. Tout ce qui motive les acteurs impliqués dans la crise actuelle que vit l’algerie c’est l’enrichissement et les intérêts personnels. Il n y a que de l’hypocrisie, cachée ou inconsciente, dans chacune des parties engagées dans un soit disant mouvement pour le bien du pays. Comme par hasard, on veut nous faire croire qu’on a totalement changé de mentalité et d’état d’esprit en quelques mois ou quelques semaines et que l’on va œuvrer pour le bien de tous les algériens, après que 60 ans durant tous ne faisaient que se remplir les poches et tout le monde en a la preuve et tous sont les mêmes. Alors SVP, arrêtez de nous bassiner avec tout ce qui soit disant entreprend comme panel, conseil ou tout autre analyse savante imbriquant politique, économie, société..ou machbah.. c’est du khorti par du khorroto, tout le monde veut se sucrer point barre, et le sous-sol est encore plein de richesses et cela tombe bien. Mettez plutôt sur la table combien voudrait chacun et qu’on fasse la division et le problème sera résolu.

    baraa
    20 août 2019 - 19 h 06 min

    la social-démocratie n’existe plus dans les faits depuis une trentaine d’années car le capitalisme dans son évolution tardive assurant sa survie a imposé le néolibéralisme, la privatisation, la déréglementation, la mondialisation sans moyen de retour. Il ne peut donc y avoir que le capitalisme mondialisé néolibéral ou une alternative radicale qui repose la question du socialisme à terme, c’est à dire l’hégémonie du secteur public, de la planification étatique, sur le secteur privé survivant pendant une période transitoire, voix que suivent la Chine ou Cuba et quelques autres pays. https://www.youtube.com/watch?v=psnQutJefNc&feature=share

    lhadi
    20 août 2019 - 18 h 48 min

    Je persiste à dire que l’idée d’une présidence de transition est une idée pernicieuse pouvant ouvrir la boite de pandore.

    Seul un Président légitime élu sur la base d’un programme transparent peut mener des reformes profondes tant politiques qu’économiques pour arrimer le vaisseau Algérie dans ce monde de globalisation politiquement et économiquement injuste.

    Par conséquent, il importe d’aller, sans plus tarder, vers une élection présidentielle transparente loin des pratiques occultes du passé d’où ma proposition de la création d’une instance indépendante de supervision des élections.

    Fraternellement lhadi
    ([email protected])

      Elephant Man
      20 août 2019 - 21 h 11 min

      @Lhadi
      Transition = chaos ce ne sont malheureusement pas les exemples qui manquent et juste à côté la Libye.
      Toutes les soi-disant démocraties occidentales sont en crise économique cf. capitalisme, et pas que politique aussi notamment démission de Giuseppe Conte, Brexit et cie…
      Je réitère que Monsieur Ramtane LAMAMRA ce VRAI PATRIOTE organise les élections présidentielles lui qui a sillonné la planète entière avec brio et dernièrement à Madagascar où crise politique sans précédent, ses compétences et son intégrité ne sont pas à démontrer et se présente par la même à l’élection présidentielle.
      Un programme politique PRAGMATIQUE RÉEL.

      Anonyme
      21 août 2019 - 0 h 12 min

      @Lhadi « Je persiste à dire… » ce serait plus juste de dire « nous persistons… » car on devine bien au nom de qui tu parles…

    Abou Stroff
    20 août 2019 - 11 h 39 min

    je pense que la crise en algérie est, d’abord et avant tout, la crise du système basé sur la distribution de la rente et sur la prédation qui représente le « monde ancien » qui ne veut pas mourir. ce système représente l »‘infrastructure » au dessus de laquelle se greffent un pouvoir militaire (étant donné notre histoire récente, il ne pouvait en être autrement) et une idéologie religieuse (idéologie idoine à un système qui ne repose pas sur le travail en tant que valeur essentielle), dont l’islamisme est une partie intégrante, comme « superstructure » politico-idéologique.
    si les forces acquises au changement veulent « déconstruire ce système qui nous avilit et nous réduit à des « moins que rien », il faut, d’abord et avant tout, sevrer ce système de la sève (la rente tirée de l’exportation des hydrocarbures) qui alimente tous ces canaux (et particulièrement le canal qui permet de corrompre une large proportion des couches sociales composant la formation sociale algérienne ).
    ceci dit, je pense que l’histoire du militaire versus le civil est un faux problème à partir du moment où la gestion de la rente s’effectue sous le contrôle de représentants élus démocratiquement par un peuple éduqué pour saisir les enjeux du moment.
    en outre, le capitalisme représentant le monde nouveau qui ne parvient pas encore à naître, il me semble que la rente pourrait servir à amortir le ou les chocs inévitables qui découleraient du dépassement douloureux du système rentier où tout le monde mange sans travailler au système capitaliste où celui qui ne travaille pas ne mange pas.
    moralité de l’histoire: notre salut réside dans le dépassement du système rentier par le système capitaliste dont les contours essentiels prendront en compte la faillite remarquable de l’économie et de l’idéologie néolibérales. ce dépassement fera jaillir des réponses concrètes aux trois questions posées par A. K., car, les hommes ne se posant que les problèmes qu’ils peuvent résoudre, il est inutile de cogiter sur une superstructure (la sphère politico-idéologique) dont les soubassements matériels (l’infrastructure) n’ont pas encore pris racine d’une manière définitive.

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