Pour en finir avec le rôle «trop politique» de l’institution militaire

GS ANP
Gaïd-Salah a soutenu les 3e et 4e mandats et voulait un 5e. PPAgency

Par Ahmed Khadri – Depuis que certains officiers de l’ANP en retraite ou mis en retraite avaient fait part de leurs sincères inquiétudes face à la situation politique qui prévaut en Algérie, de nombreux boucliers s’étaient élevés pour pousser des cris d’orfraies contre la violation d’un soi-disant principe de réserve dû aux fonctions de ces militaires. L’une des réactions les plus critiquées fut celle d’un ancien général, Ali Ghediri, aujourd’hui en prison, qui semblait avoir fait mouche en suscitant une volée de bois vert de la part de l’état-major de l’armée, menaçant de représailles judiciaires toute nouvelle tentative d’impliquer l’institution dans le processus électoral à venir, les présidentielles.

La sortie de Mouloud Hamrouche, le 13 Janvier 2019, était venue confirmer un mouvement de réprobation parti de cercles militaires au pouvoir qui, malheureusement, usent encore d’arguments fallacieux pour passer le bâillon à une opinion politique désormais affirmée, celle du légalisme et de la préservation de l’Etat de droit contre les abus actuels. Cette opinion bien ancrée dans la société civile, mais largement méprisée par le pouvoir politique actuel, avait trouvé en la personne d’Ali Ghediri mais en d’autres aussi, très certainement de façon insoupçonnée, l’expression d’un porte-voix non officiel, mais vraisemblablement en concordance avec de nombreux autres cœurs patriotes en Algérie, qui désirent simplement l’ouverture d’un débat critique sur la situation de l’Algérie en 2019.

Pourquoi donc en sommes-nous parvenus à revendiquer un rôle plus politique de l’armée dans une Algérie toujours en quête de stabilité institutionnelle ? Car des Ghediri, il y en a des millions en Algérie, représentant un courant d’opinion politique aux conséquences futures bien établies, si l’on veut y voir de plus près.

Un débat critique transformé en cinquième colonne de l’étranger

Lorsqu’une voix discordante émerge en Algérie, elle est tout de suite taxée de voix de la déstabilisation du pays, si bien qu’il est désormais impossible d’amener le débat électoral des présidentielles de 2019 sur un terrain critique des évaluations des réalisations du bouteflikisme. Le pouvoir politique en Algérie ne permet aucun débat critique sur l’Etat de la nation et entrave toute tentative dans ce sens en le taxant de démarche antipatriotique ; pire, d’acte de trahison envers la patrie. A quelques mois de la présidentielle qui devait avoir lieu en avril, nous ne savions toujours pas si notre économie est florissante ou non, performante ou non, car aucun débat critique sur des medias nationaux n’avait été autorisé à ce sujet. C’est pourquoi des voix fusaient de toute part, comme un ultime appel à l’aide, dont celles de retraités militaires, mais aussi de mouvements citoyens et légalistes.

Pourquoi n’est-il pas possible en Algérie de mettre en place une confrontation des idées, au lieu de ces menaces qui par mauvaise foi mettent sur un même plan une critique fondée et un acte pur de trahison ? Que cela soit les partis du pouvoir ou bien le chef d’état-major de l’armée, toute tentative de critique ou de mise en débat équivalait et équivaut toujours à un acte de déstabilisation de l’Algérie. Pour ces deux acteurs majeurs, le discours est bien ficelé et tient dans un mouchoir de poche magique, ensorceleur : il faut être reconnaissant et non pas renier les réalisations. Deuxièmement, il n’y avait personne d’autre que lui, Abdelaziz Bouteflika, le premier et le dernier, personne ne pouvait se substituer à lui, l’Alfa et l’Omega. Troisièmement, si vous étiez contre le président, vous étiez contre l’Algérie et, pareillement, aujourd’hui, si vous êtes contre Gaïd-Salah, vous êtes contre l’armée.

On a ramené la pensée aux plus bas niveaux du populisme et de l’autoritarisme. Le ton est clairement menaçant à chaque fois et incorpore une bonne dose de ruse et de manipulation psychologique car il n’autorise pas le peuple, l’opposition réelle, ou toute voix discordante à apporter de nouvelles solutions que le pouvoir n’aurait pas vues. C’est la raison profonde qui pousse certains observateurs à sortir de leurs gonds pour dénoncer cette absence de parole critique qui, de plus, lorsqu’elle émerge, est accusée de trahison, de volonté déstabilisatrice ou de jalousie.

Les déclarations de Gaïd-Salah, comme celle de tous les partis au pouvoir, ont illégalement confisqué le droit de critique à l’encontre de vingt années de pouvoir présidentiel, en le transformant en acte de trahison parce que discordant. Mais s’il faut parler de trahison, on devrait commencer par tous ceux qui se réfugient derrière une soi-disant protection de la Constitution comme s’en vante ouvertement l’état-major de l’armée, mais qu’ils ont trahie ouvertement ou dont ils ont cautionné la violation, et ceci depuis 1999.

L’armée d’aujourd’hui et la Constitution de 1996

Si l’armée d’aujourd’hui a beau jeu de vouloir chercher des noises à d’anciens militaires épris de justice, en arguant du strict respect de la Loi fondamentale, elle doit également justifier comment elle a laissé passer un troisième, un quatrième et a voulu faire passer un cinquième, qui sont tous des atteintes graves aux articles 88 et 212.8 de la Constitution. Comment donc l’armée a-t-elle pu laisser passer de telles violations alors qu’aujourd’hui, elle se réfugie derrière le strict respect de l’ordre constitutionnel pour prévenir tout empiètement de l’ordre militaire sur l’ordre civil ? Si l’armée est aussi éprise de légalité, pourquoi donc nous avoir laissés, nous Algériens de la base, entre les mains d’un pouvoir illégal au sens de la Loi fondamentale de 1996, qui est l’actuelle loi de l’Etat algérien ? Pourquoi sermonner, voire emprisonner des officiers qui n’ont fait, eux, que leur devoir de défense nationale au sens où la Constitution le prévoit, c’est-à-dire non plus uniquement dans le cadre de l’armée, mais de l’obligation de défense nationale opposable à tout citoyen algérien ?

Ghediri et d’autres ont-ils outrepassé leurs droits et leurs devoirs, en dénonçant une situation d’Etat violé dans ses fondements ? Alors, où se trouve la cinquième colonne, dans l’Etat violé ou dans le peuple empêché de parler ou simplement de connaître le bilan réel et objectif de vingt ans de pouvoir absolu ?

Il est certain, en tout état de cause, que le viol de la Constitution se paiera cher en Algérie comme ailleurs. Un retour républicain pointe à l’horizon, quelle que soit la volonté des dirigeants actuels : à Rome, après la monarchie vint la république, puis l’empire qui, lui, s’effondra définitivement. A la différence des régimes despotiques qui chutent et finissent dans les poubelles de l’histoire, seules les véritables républiques déposent un legs inestimable pour les générations à venir. L’histoire politique n’a jamais dit dans ses lois universelles que les régimes despotiques étaient éternels, comme celui d’un viol permanent et collectif de la Constitution de 1996 que l’état-major de l’armée feint de ne pas voir et qu’il va jusqu’à cautionner en interdisant tout débat critique à ce sujet. Dura lex, sed lex.

A. K.

 

Comment (9)

    Momo
    5 octobre 2019 - 23 h 43 min

    Je ne sais pas ce que la constitution vient faire dans ce texte qui insiste sur l’impérieuse nécessité du découplage du militaire et du politique .
    L’ingérence des militaires dans les affaires politiques est une pratique non codifiée dans les textes réglementaires. Et cela date depuis l’indépendance et même avant .
    Si vous prenez la constitution actuelle qui est très mauvaise, car trop impériale, rien n’autorise Gaid Salah à s’adresser au peuple, même en faisant valoir ses fonctions de vice-ministre de la défense. Son chef hiérarchique immédiat étant d’abord le premier ministre, ensuite le chef de l’état.
    Gaid Salah est inculte. Il ne lit pas, ne connaît pas la constitution et s’en fout royalement comme de son dernier rôt.
    Nous en appelons donc à cette seconde république pour que des gens comme Gaid Salah ne puissent plus s’adresser au peuple à partir d’une caserne.
    Nous en appelons à cette seconde république pour qu’on puisse avoir une constitution moderne, c’est à dire un ensemble de textes de lois équilibrés qui distribuent des rôles distincts entre l’exécutif, le législatif, le judiciaire et l’informationnel . De plus, il nous faut surtout un pouvoir de révocation souverain du peuple ‘impeachment ‘ quand des fautes graves sont commises par l’un de ces pouvoirs.
    La constitution actuelle ne vaut pas le papier sur lequel elle es imprimée.
    Nos hommes politiques sont des larbins et des prévaricateurs.
    Nos généraux travaillent sous la dictée des officines étrangères dont les pays ont parfois la taille d’une ville moyenne d’Algérie.
    Il faut faire table de tout ça et recommencer un pays à la base et sur des bases saines.

    Elephant Man
    5 octobre 2019 - 20 h 26 min

    Ghediri pour l’ouverture des frontières…. »représente un courant d’opinion politique aux conséquences futures bien établies », non merci sans façon.

    Rayes Al Bahriyat
    4 octobre 2019 - 15 h 06 min

    Comme disait l’adage !
    Pousse toi ,que je m’y mette…
    El fahem yefhemmmm…

    Felfel Har
    4 octobre 2019 - 14 h 46 min

    Ma présente contribution se limitera à citer Louis-Philippe de Ségur, ce marquis français fait officier de la Révolution américaine, plus tard devenu diplomate et historien (Pensées, Maximes, Réflexions…-1823):
    « Tout gouvernement militaire réunit en lui tous les vices du despotisme et tous les dangers de l’anarchie ».
    Nous savons donc à quoi nous en tenir avec GS et ses cliques (certaines directions de l’armée et des services secrets se font ouvertement la guerre pour lui succéder, ce qui n’augure rien de bon pour le pays.)
    Nous allons vers de mauvais jours et la tempête s’annonce. Ya rabbi astar lebled!

    Zaatar
    4 octobre 2019 - 11 h 38 min

    Moi j’adore tous ces théoriciens. J’en étais un moi-même, scientifique crue s’entend, dans le pavé mathématique. Mais si c’est le cas, et c’est la ou je ne comprend plus rien des bonshommes qui pondent des « theories » sachant qu’elles n’ont quasi aucune chance d’être mise en pratique. Je prend l’exemple de celui qui écrit que la constitution algérienne est l’ordre le plus élevé du pays à qui tout le monde doit loyauté. Mais on ignore alors que cette constitution, depuis que notre pays est dit république, a été torpillée et violée dans tous les sens? Ou feinte on d’ignorer que ce qu’on appelle constitution chez nous est une sorte d’urinoir ? On l’a bien vécu à maintes reprises depuis 76 même. Alors à ces théoriciens je dirais juste qu’une théorie peut-être peu probable, probable, certaine ou quasi certaine, le tout doit être confirmé par l’observation et la mise en pratique. Ce qui semble loin d’être le cas ici.

    DZA
    4 octobre 2019 - 9 h 06 min

    Merci pour cette mise au point.
    Constitution, lois, Etat, institution, partis, organisations ne sont qu’un décor en carton-pâte sur le proscenium d’un théâtre à la machinerie machiavélique, ou tous les artifices sont consentis. La corruption occupe l’esprit, engraisse l’oligarchie et ses serviteurs. Le peuple se dispute pour les miettes qu’on lui jette et partage la misère programmée. Cela, occupe également les esprits, les transforme.
    Ceux qui n’applaudissent pas le spectacle, sont les ennemis de la patrie, des traîtres, la main de l’étranger.

    ‘’Pourquoi n’est-il pas possible en Algérie de mettre en place une confrontation des idées, au lieu de ces menaces qui par mauvaise foi mettent sur un même plan une critique fondée et un acte pur de trahison ?’’ Se demande Mr Ahmed Khadri.

    Les idées, il faut tout d’abord en avoir. Et lorsqu’on en n’a pas, ce qui est le cas, on développe ses muscles.
    Il est bien meilleur et facile, de continuer à s’empiffrer et commander selon son bon plaisir dans un pays sans Etat, que de gouverner dans une vraie démocratie, qui exige des compétences certaines et présente beaucoup de risque pour les magouilleurs.

      Zaatar
      4 octobre 2019 - 11 h 55 min

      Entièrement d’accord cher DZA.

    lhadi
    4 octobre 2019 - 8 h 53 min

    La constitution algérienne est la règle la plus élevée de l’ordre juridique de notre pays. Elle est la loi suprême de l’Etat à laquelle tous les gouvernants et les gouvernés doivent jurer loyauté, fidélité et respect. Un état de droit implique que gouvernants et gouvernés doivent obéir à la loi. Le contraire contribuerait à l’ouverture de la boite de Pandore qui précipiterait l’Algérie dans le chaos source d’un futur de larmes et de sang.

    L’Article 28 de la loi fondamentale de la république algérienne confère à l’institution militaire la légitimité d’être le vélarium de la jeune nation algérienne dans le cas où le pays se trouve en danger.

    Après l’application, à juste raison, de l’art 102, l’institution militaire s’est retrouvée, malgréé un cahier des charges rempli contrainte de jouer ce rôle parce que des forces anticonstitutionnelles refusent, comme le stipule l’art 7 et 8, les élections libres et transparentes et proposent une période de transition porteuse de dangers pour le pays. Cette transition risque de nous mener vers des situations imprévisibles où chaque « isme » tentera de défendre sa propre chapelle au mépris des intérêts du temple Algérie.

    Je persiste à dire que le seul moyen légitime pour abréger la vie politique de l’institution militaire est l’élection présidentielle libre et transparente.

    Par conséquent, le règlement de la crise passe par une élection présidentielle libre et transparente d’où émergera un Président civil élu sur la base d’un programme transparent ; un guide rassembleur capable de piloter la nation algérienne dans les tempêtes de l’histoire ; un timonier sachant faire face à à l’ouragan qui jette dans le néant une économie privée d’ossature et de musculature politiques.

    Fort de sa légitimité populaire, le nouveau Président de la république, dénué de toute complaisance, pourra mener des reformes profondes tant politiques qu’économiques pour arrimer l’Algérie dans ce monde de globalisation politiquement et économiquement injuste.

    Je rappelle que la constitution confère une sorte des prééminence et donne le dernier mot pour tout ce qui touche la place de l’Algérie dans le monde comme tout ce qui concerne la modernisation et l’équilibre de notre société.

    J’évoque, en outre, cette autre caractéristique de nos institutions qu’est le temps présidentiel lequel apporte à son détenteur la liberté nécessaire à relever les défis et les enjeux qui assaillent la jeune nation Algérienne, non pas en imitant les autres mais en assumant notre identité qui est le ciment de notre cohésion.

    Que l’Algérie, une et indivisible, vive dans la paix, la stabilité et la prospérité.

    Fraternellement lhadi
    ([email protected])

    ABOU NOUASS
    4 octobre 2019 - 8 h 33 min

    Bien dit Monsieur Ahmed KHADRI !

    Ces généraux , qui se croient intouchables, voire inaccessibles , règlent leur constitution sur papier à musique, à leur convenance et uniquement à leur profit . Ce sont des bazaristes qui ont fait de l’Algérie, que tant de nations jalousent de par ses richesses et la beauté de ses sites, leur chose et dont ils en disposent à leur guise , la violent, la salissent , la cèdent à la prédation aux étrangers et empêchent, par dessus tout marché, tout vrai citoyen de soulever la moindre contestation pour défendre son pays.

    Ces généraux n’ont aucun amour pour ce pays, mais pour ses richesses qu’ils bradent à  » cette main de l’étranger  » dès lors que les voix démocratiques et patriotiques s’élèvent pour dénoncer cette braderie à ciel ouvert.

    Il y a , bien sûr, de hauts gradés dans cette armée confisquée au peuple, qui ont osé dénoncé toutes ces prévarications , tels Ali Ghediri, Bouregaa, pour ne citer que ceux là, mais ils sont vite traités de félons et réduits au silence.

    Les événements semblent se précipiter ces derniers jours et la Révolution triomphera !

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