Les deux adversaires inconnus du Hirak

manif adversaire
Comment convaincre les résignés à rejoindre le mouvement populaire ? PPAgence

Par Kaddour Naïmi – Comme partout et toujours dans le monde, les mouvements populaires contestant un système social dominateur-exploiteur au bénéfice d’un autre, de liberté-égalité-solidarité, ces mouvements ont des adversaires sociaux, en particulier un certain type d’adversaire social, souvent méconnu. Pour le savoir, il suffit de prendre la peine de participer à la vie quotidienne et d’entendre les gens parler.

Adversaires connus

Bien entendu, le premier adversaire du Mouvement populaire est l’oligarchie détentrice du pouvoir assurant l’existence du système social dominateur-exploiteur. Mais ce n’est pas ce genre d’adversaire qui est examiné ici.

L’autre adversaire social du Mouvement populaire est, lui aussi, connu : il comprend toute la masse de personnes qui profitent du système social dominateur-exploiteur ; ces personnes se trouvent du plus haut de l’échelle sociale au plus bas, jusqu’aux petits malfrats (baltaguia) et petits mouchards, payés par ceux qui veulent détruire le mouvement populaire.

Victimes consentantes

Mais voici un autre type d’adversaire du mouvement populaire. Ces personnes sont concrètement victimes du système social dominateur-exploiteur et en sont conscientes. Mais leurs parcours existentiels ont porté ces personnes à adopter un comportement qui les rend, plus ou moins à leur insu, adversaires du mouvement populaire.

Résignés

Les uns acceptent le système social dominateur, parce qu’aliénés par une idéologie, principalement cléricale. Elle est suscitée par des considérations telles que «Dieu a voulu que nous soyons les victimes de ceux qu’il Lui a plu d’instituer comme nos maîtres», «le système social qui nous domine, et ceux qui le gèrent sont l’expression de la volonté divine, il serait donc blasphématoire de les contester. Par conséquent, ce n’est pas à nous de changer le système social et les dirigeants qui le gèrent, mais à Dieu. Soyons confiants en Lui et attendant Son bon vouloir !».

Ainsi s’explique le motif réel de la multiplication exponentielle des mosquées. La preuve : au lieu de rendre les citoyens éthiquement plus intègres, on assiste à une très grave et déplorable régression générale des mœurs, allant jusqu’à la plus misérable des formes de corruption et à l’extrême saleté des lieux publics et privés. Ce qui a fait dire qu’en Algérie, il y a l’islam, mais d’un genre tel qu’il n’y a pas de musulmans, entendus comme personnes éthiquement intègres, respectueux et respectables. Dans ce cas, la religion est essentiellement utilisée comme moyen pour anesthésier la conscience sociale des exploités-dominés, afin de les résigner à leur situation, quitte à espérer dans l’au-delà une vie pleine de tous les délices désirés.

Indifférents

Les autres adversaires du mouvement populaire sont les personnes qui se considèrent totalement non concernées par l’action contestataire. Le motif principal est que leur situation de dominés-exploités n’est pas grave au point de les indigner puis de les révolter. Pour ces personnes, peu importe qui gère la société, pourvu qu’il ne mette pas en risque la situation matérielle de ces personnes, jugée précaire mais néanmoins acceptable.

Avec le plus fort

Ces résignés et ces indifférents, il est facile de les reconnaître : les jours des manifestations hebdomadaires, elles vaquent normalement à leurs affaires. Et elles sont toujours prêtes à soutenir et suivre, tel un troupeau de moutons, celui qui se révèle le plus fort «berger» dans le conflit social : l’oligarchie étatique ou le peuple contestataire.

Il en ressort que ces deux adversaires, pour créer un rapport de force favorable, ont le plus grand intérêt à ne pas négliger le poids social des résignés et des indifférents. Par conséquent, il semble bien que des deux adversaires principaux en présence – le mouvement populaire et l’oligarchie au pouvoir –, l’emportera celui qui réussira à mettre de son côté les résignés et les indifférents.

Appareils étatiques

En ce qui concerne l’oligarchie, il suffit de voir les programmes télévisés pour se rendre compte de tous les efforts déployés pour conquérir cette masse de résignés et d’indifférents. Les actions vont des discours de dirigeants étatiques, cléricaux et d’«experts» en tout genre jusqu’aux téléfilms (moussalsalât) de toute forme d’imbécillité : là, seules les obsessions sexuelles, enjolivées en «sentiments» ont de l’importance, tout le reste étant inexistant.

Comités populaires

A l’opposé, le mouvement populaire semble n’avoir qu’un très faible sinon aucun effet, quand, pire encore, un effet négatif sur la masse des résignés et des indifférents. En effet, ces personnes déplorent que le mouvement populaire «ne fait que tourner en rond», qu’il «rend la vie plus difficile encore», qu’il «met la nation en danger», qu’il est «manipulé par des forces internes et externes hostiles au peuple et à la nation», etc. Ces résignés et indifférents vont jusqu’à affirmer que le mouvement populaire «ne fait que s’agiter inutilement, car il n’est même pas capables de se doter de représentants pour parler en son nom avec les autorités».

Que peut, alors, faire le mouvement populaire pour mettre de son côté la masse des résignés et indifférents ?

L’exemplarité des démonstrations publiques hebdomadaires n’a – on l’a dit – que peu sinon pas d’effet pour convaincre les résignés et les indifférents. Reste la méthode traditionnelle, conventionnelle, qui a toujours et partout montré son efficacité : la constitution de comités populaires locaux, partout. En effet, c’est par la constitution de ces organisations de base, libres (parce que suscitées par un vrai consensus individuel) et démocratiques (parce que réunissant et respectant toutes les diverses opinions), par ces organisations de base, donc, que les participants aux manifestations populaires hebdomadaires auront l’occasion d’établir des relations de dialogue avec les résignés et les indifférents. Le premier but est de contribuer à libérer ces derniers de leur aliénation, en leur expliquant, avec la patience et la pédagogie convenables, leur intérêt à rejoindre le mouvement populaire.

Toutefois, pour que les membres du mouvement populaire parviennent au stade de création de comités populaires de base, il leur faudrait prendre conscience que les manifestations hebdomadaires, surtout après huit mois de démonstration, ne suffisent pas à éliminer un système social pour le remplacer par un autre plus conforme aux intérêts du peuple et de sa nation.

Il faut, cependant, reconnaître que la constitution de comités populaires rencontre deux difficultés. La première est interne au mouvement populaire : il lui faut déployer une grande énergie pour constituer ces comités populaires. L’autre difficulté est externe au mouvement populaire : les autorités étatiques feront tout pour empêcher la constitution de ces comités populaires, car elles sont parfaitement conscientes du danger qu’ils représentent dans l’établissement du rapport de force entre mouvement populaire et oligarchie dominatrice.

Au vu de ce qui vient d’être exposé, de manière succincte, ne doit-on pas déduire une conclusion : que l’issue de la confrontation entre oligarchie étatique et mouvement populaire dépendra de la capacité de l’un des deux adversaires à conquérir la masse des résignés et des indifférents ? Une première occasion de le vérifier n’a-t-elle pas été le tout récent bradage du pétrole et du gaz algériens aux multinationales étrangères, que les manifestations populaires n’ont pas pu empêcher ? Et la prochaine occasion pour savoir qui bénéficiera du rapport de force n’est-elle pas l’enjeu constitué par l’élection présidentielle ? Alors, en faveur de quel adversaire les résignés et les indifférents feront-ils peser le rapport de force ?

Certains objecteront : «Et qu’en est-il de l’armée dans ce rapport de force ?» Réponse : elle aussi ne dépend-elle pas du rôle qu’assumera la masse des résignés et des indifférents ?

D’autres ricaneraient en déclarant : «Ce seraient donc les moins intéressés à la confrontation sociale, à savoir les résignés et les indifférents, qui décideraient de l’issue de cette opposition entre mouvement populaire et oligarchie étatique ?» La réponse sera fournie par les événements prochains, en premier lieu l’enjeu le plus important : l’élection présidentielle.

K. N.

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Comment (6)

    Abou Ligam
    19 octobre 2019 - 9 h 28 min

    Zaatar a répondu par anticipation à notre Lhadi national. Ou est-ce l’inverse, va savoir ya Mes3oud ! Ontoulika Si Qeddour a bien mérité et l’une et l’autre.

    C’est la preuve que la solution nous viendrait d’ailleurs si tenté qu’elle vienne un jour !

    En attendant Apophis il y a de l’ouvrage pour nos neurones. En attendant, moua je prie pour que sa volonté soit faite , que son règne vienne : amin inchallah !

    lhadi
    19 octobre 2019 - 1 h 29 min

    Pour donner sens à leur identité personnelle et collective, les individus ont besoin de références convaincantes à des normes et des valeurs, des modèles, des traditions et des souvenirs. Qu’on utilise les termes de culture, d’idéologie ou d’univers symbolique, il s’agit toujours de mettre en évidence le système de repères qui permet aux individus de rendre leur monde intelligible.

    Grâce à ces repères, des comportements vont acquérir une signification, positive ou négative ; ils vont pouvoir s’inscrire dans des continuités ou discontinuités déchiffrable, non seulement à l’échelle d’une vie individuelle mais aussi dans l’histoire collective. L’univers symbolique de référence est donc une « mise en ordre » de la société. Il permet d’anticiper ce qui sera perçu comme légitime ou illégitime, légal ou illégal, rationnel ou irrationnel. Par-dessus tout, il protège des doutes.

    Le besoin de sécurité des individus ne se réduit pas à l’intégrité physique ni à la sphère économique. Il concerne aussi le domaine des croyances et des convictions. Tout acteur social a besoin de s’appuyer sur elles pour se donner des objectifs et poursuivre quelque dessein. Singulièrement, tout citoyen a besoin de se persuader, soit de la légitimé du système politique s’il souhaite le défendre, soit, au contraire, de la légitimité du combat mené pour le réformer ou le renverser.

    L’attachement rigide à des repères voulus stables et invariants est une réponse courante à l’anxiété politique ; or celle-ci ne manque pas de s’aggraver en cas de menaces. Aussi peut-on résumer l’importance majeure d’un univers symbolique au fait qu’on peut y rechercher des réponses » à trois questions qui ne manquent jamais d’émerger à des moments décisifs.

    La première concerne l’identification des groupes ultimes d’appartenance. Lorsque s’exacerbent les conflits, lorsque éclatent des violences, quelles solidarités doivent l’emporter : les allégeances communautaires, nationales ou de classe ? les solidarités internationales ou l’attachement à un terroir ?

    La deuxième question concerne les valeurs ultimes de référence. Les idéaux qu’on affiche – valeurs démocratiques, droits de l’homme… – ne sont pas nécessairement, tant s’en faut, ceux qui inspirent en toutes circonstances les comportements quotidiens des individus ou le fonctionnement du système politique. Mais officiellement partagés, ils contribuent puissamment à la construction d’un lien social, en masquant les clivages diviseurs ; surtout, en tant que modes de légitimation à postériori, ils contribuent à la construction d’une cohérence apparente des comportements personnels ou institutionnels.

    La troisième question renvoie à la nécessité de se donner une histoire et une mémoire : non seulement pour éviter d’être voué à la répétition mais, plus encore, pour édifier une identité sociale, culturelle et politique dotée d’un minimum d’épaisseur. Un univers symbolique est un prisme de lecture du passé, qui sélectionne les événements significatifs, autorise des jugements de valeur sur les faits et les personnages, permettant ainsi la mise en place de références collectives unificatrices.

    Fraternellement lhadi
    ([email protected])

    Zaatar
    18 octobre 2019 - 18 h 16 min

    Voilà une équation non linéaire du quatrième degré à deux inconnues qui a priori n’a pas de solutions. Faudra faire appel à Cauchy ou à d’Alembert.

    Momo
    18 octobre 2019 - 12 h 20 min

    La pire des catégories est celle qui se sent dominée et qui se complaît dans cette situation. Une expérience a été faite sur des esclaves que le maître a bien voulu libérer. Une grande partie s’est définitivement affranchie. Une minorité, après quelques jours de liberté, est revenue taper à la porte du maître pour qu’il les reprenne. Bien sûr, il les a repris à son service mais en qualité de domestiques libres.
    Toutefois, eux ne connaissaient qu’un seul comportement vis à vis de leur maître. Ils étaient toujours esclaves. Ils ne pouvaient se représenter autrement.
    Cet exemple est manifeste chez les dhoubabs .

    LE DINAR ALGERIEN
    18 octobre 2019 - 12 h 11 min

    Il se dit que, tous les samedis vont être organisées des manifestations en faveur des gouvernants actuels et pour les élections du 12 Décembre.

      Anonyme
      19 octobre 2019 - 6 h 00 min

      C’est vrai, ces manifestations pro-Gaid, faute de nombre, auront lieu au café « Le Cachir » sur les 2 tables au fond de la salle

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