Lettre au Président malgré lui
Par Youcef Benzatat – Tu seras sans doute élu Président ce 12 décembre. Comme tout le monde le sait, «élu» c’est beaucoup dire, car comme tu le sais toi aussi, tu as été désigné par un conciliabule de cruels généraux vieillissants dans leur tanière à crapules.
«Un bon dribbleur», disaient-ils pour le choix de ton prédécesseur, capable d’entourloupes de tout genre, menteur, manipulateur et, surtout, sans scrupule devant la dilapidation de notre capital souveraineté nationale pour monnayer leur couverture, qui a été usé jusqu’à la déchéance. Ils ont jeté leur dévolu cette fois-ci sur le poète que tu prétends être et par «poète», je n’oserai pas offenser ces poètes qui respirent la liberté et la dignité. Je me contenterai du qualificatif de poète de service à la solde de tout ce qui détient des moyens de terreur, y compris le mythe, d’ailleurs, et le patriarche d’ici-bas, ces fossoyeurs des lumières qui éclairent les peuples insoumis.
Primé en Amérique, en Italie et ailleurs, certainement pas pour tes audaces littéraires, comme le fut le père de Nedjma, mort oublié des honneurs factices. Nedjma, cette mère patrie rebelle, ressuscitée par un fleuve de sang d’hommes libres dont tu as perdu toute trace mémorielle, qui t’a mis au monde, t’a donné une nationalité et le respect que te reconnaissent les peuples et les nations.
Demain, tu seras placé sur son trône comme une momie de cire. Sans droits ni pouvoirs, tu ne seras soumis qu’a des devoirs, ceux qui échoient aux cerbères sans envergure, ni amour propre pour leur singulière personne.
Dans ta solitude, tu te fuiras devant la honte de te savoir Président sans présidence. Nommé par un décompte de vieillards séniles en quête d’existence pour parer à leur insignifiance, de soldats pris en otage pour subvenir aux besoins de leur progéniture, de véreux affairistes s’accommodant de toutes sortes de vices pour faire prospérer leur capital et les plus malheureux parmi les sans-volonté de s’instruire, de se cultiver et de se doter d’une conscience qui pourrait leur indiquer le chemin de la sortie de la servitude.
Dans ta solitude, tu compteras les prisonniers politiques, ceux dont l’opinion rejoint les millions de voix qui défilent depuis maintenant dix mois en quête de liberté et de dignité dont tu ignores la substance.
Au soir de l’imposture électorale, tu as détourné tes yeux des décomptes du nombre de blessés, d’arrêtés, peut-être d’assassinés par les criminels qui t’ont enchaîné à la plus exécrable posture que peut subir tout citoyen égaré par mésaventure.
Le surlendemain et les jours qui suivront, tu auras à répondre à la colère inconsolable du peuple, qui t’ordonneras de céder le trône que tu as usurpé par lâcheté et goût de la démesure.
Tu auras à répondre à sa détermination de te déloger toi et tes marionnettistes qui t’agiteront comme un épouvantable épouvantail exposé aux puissantes humeurs pacifistes de sa révolte à vouloir vivre souverainement sur sa terre.
Tu ne connaîtras aucun répit, ni les jours ni les semaines à venir et s’il le faudra pendant des mois durant, tu devras faire face à son endurance et à sa détermination à vouloir te faire fuir, te faire abdiquer ton imposture jusqu’à lui restituer sa terre, son Etat, son armée et toutes les richesses que tes maîtres convoitent et détournent à leur profit égoïste.
Vos mangeoires seront désertées et vos rituels boycottés sans violence. Il vous sera opposé juste l’insolence de la détermination et de l’endurance à déserter vos coquilles vides que vous appelez institutions et tout ce par quoi vous exercez votre domination.
La force brute fournie par tes employeurs sur laquelle vous comptez mater la révolte ne vous sera d’aucune utilité devant le torrent du fleuve détourné en amont de l’histoire et qui, ce jour, a su et a pu reprendre son cours normal.
Y. B.
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