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Italie1 Frégate L'Italie et la Turquie
Soldat de la Marine italienne. D. R.

Par Mourad R. – L’Italie et la Turquie entretiennent des relations privilégiées depuis une trentaine d’années, qui de succès en succès ont évolué vers un partenariat stratégique ambitieux, voulu expressément en 2006 par les présidents Recep Tayyip Erdogan et Silvio Berlusconi. En effet, la dynamique des relations économiques, basée sur le commerce et l’investissement dans un pays en pleine croissance, a constitué pour les entreprises italiennes ces dernières décennies un tremplin essentiel dans leurs stratégies globales d’export et de développement sur le plan international.

Mais la guerre en Libye et la récente décision d’Ankara de soutenir le gouvernement de Fayez Al-Sarraj de manière directe et de se positionner militairement en Tripolitaine ont sensiblement accru les motifs de discorde avec certains pays de l’Otan, nommément la France, obligeant Rome à opérer un lent revirement dans le cadre de ses engagements européens et atlantiques et de commencer à envisager le défi turc avec plus d’attention, en Afrique et en Méditerranée.

Cette même Ankara qui, en 2018, avait fortement irrité ses partenaires français et italien en dépêchant un navire turc dans les eaux chypriotes sur un bloc, attribué à l’Eni et au géant français Total, adoptant une posture très hostile, nous dit un fin connaisseur des questions turques, rappelant aux uns et aux autres qu’Erdogan ne cédera pas le moindre pouce de sa zone économique exclusive.

La goutte qui fit toutefois déborder le vase fut la signature d’un protocole d’accord en décembre 2019 entre la Turquie et la Libye du gouvernement de Fayez Al-Sarraj sur la délimitation des juridictions maritimes en mer Méditerranée, ce qui suscita un véritable tollé à Bruxelles.

En Afrique, c’est ce corridor commercial reliant Dakar à Mogadiscio, en passant par Ouagadougou, Niamey et Banjul qui permet à la Turquie de saisir un large boulevard d’opportunités et d’envisager une politique en net décalage avec l’ancienne puissance coloniale, faisant valoir un «soft power» empreint d’affinités religieuses, dans des pays à majorité musulmane révulsés par la zemmourisation des esprits, tolérée en France et les éloignant petit à petit de la logique du rapport privilégié avec Paris. C’est d’ailleurs ce qui a permis en dix ans de multiplier par dix les exportations turques dans la région.

Face à ce dynamisme turc et face aux autres défis, l’Italie, dans le cadre d’une approche plurielle, renforce son rôle au sein de la mission Irini dont l’objectif est de garantir l’embargo sur l’envoi d’armes aux belligérants de Libye, et ce, en engageant plus de 500 soldats, une unité navale et trois véhicules aériens. La mission, dont le siège est à Rome, opère depuis plusieurs semaines sous le commandement de l’amiral italien, Fabio Agostini, et peut compter sur la frégate française Jean Bart, un avion de patrouille maritime et des forces polonaises et grecques. Sans oublier la mission bilatérale de soutien et d’assistance (Miasit) disloquée à Misrata, qui a été reconfirmée pour l’année 2020, avec un déploiement en effectifs de plus de 400 soldats, 142 véhicules terrestres et des unités navales, le tout dans le cadre de l’opération Safe Seas.

A cela s’ajoute la création du groupe de travail Tabouka, une force multinationale inter-forces avec des objectifs de formation et un soutien dans la lutte contre le terrorisme entre le Mali, le Niger et le Burkina Faso. Intégrée dans cette coalition pour le Sahel, l’Italie pourra également compter sur un contingent de 200 soldats et de 20 véhicules d’intervention. Quant à la mission d’appui bilatéral en République du Niger, elle opère déjà dans la région, avec un engagement sur le terrain de 290 militaires, 160 véhicules de terre et 5 avions. Elément nouveau de cette stratégie italienne en Afrique, un déploiement binaire prévu dans le golfe de Guinée, dans les eaux entre le Nigeria, le Ghana et la Côte d’Ivoire. Dans le texte approuvé par le Conseil des ministres autorisant cet engagement, il s’agira d’un «dispositif aérien et naval pour les activités de présence, de surveillance et de sécurité». Le principal objectif des deux avions et deux unités navales qui y seront dépêchés, avec un contingent de 400 unités et opérant dans les eaux internationales, sera de s’acquitter de la protection des infrastructures d’Eni dans la région.

Un effort grandissant qui en dit long sur l’intérêt que revêt pour Rome un positionnement à long terme dans cette partie d’Afrique, au même titre que d’autres pays, craignant que ce ventre mou, centre de divers trafics, ne menace d’impacter directement leur sécurité interne.

Or, face à cette sollicitude aussi nouvelle qu’intéressée, face à cette activité intense en Afrique et en Méditerranée et cette course vers l’Eldorado africain où tout le monde souhaite se positionner, malgré un lot irréductible de terrorisme et de déferlante de migrants, c’est un véritable défi que guette les peuples africains qui risquent, aujourd’hui plus qu’hier, d’être ballottés entre partenariats privilégiés en perte de vitesse et affinités stratégiques aux implications imprévisibles.

M. R.

Comment (5)

    Argentroi
    1 juillet 2020 - 14 h 07 min

    Mourad R, dans son article, a bien raison de nous révéler que : « En Afrique, c’est ce corridor commercial reliant Dakar à Mogadiscio, en passant par Ouagadougou, Niamey et Banjul qui permet à la Turquie de saisir un large boulevard d’opportunités et d’envisager une politique en net décalage avec l’ancienne puissance coloniale, faisant valoir un «soft power» empreint d’affinités religieuses… ».
    Seulement ce soft power de la Turquie n’est pas si soft comme on veut bien le croire. En effet, c’est toujours le terrorisme islamiste qui précède la pénétration turque en Afrique. C’est grâce à ce terrorisme que la Turquie a maintenant ses groupes de pression économique et politique dans ces pays africains.
    En Algérie, beaucoup de dirigeants islamistes ont des origines turques comme Essaradj en Libye, Morsi en Egypte, Qaradhaoui, peut-être, Abassi Madani peut-être. La famille régnante des Al Thani au Qatar était à l’époque ottomane liée à la Sublime porte et était kaïmakam ( قائم مقام العثمانيين) du Qatar dans le vilayet de Bassora.
    On comprend donc que l’islamisme n’est plus une affaire de religion !

    Chaw
    30 juin 2020 - 15 h 10 min

    Le modèle qui consiste à mesurer tout a l’aune des exportations et en faire une finalité est une illusion.
    Écouler l’excédent, vient après avoir satisfait le marché local, et avoir bien satisfait les clients internes, et avec ça il y a de quoi faire.

    anonyme
    29 juin 2020 - 16 h 41 min

    Tous les pays produisent ce dont ils ont besoin et sont technologiquement avancés. Il leur faut aujourd’hui comme hier trouver des marchés pour écouler leurs productions. L’Afrique est le seul continent qu’il leur reste. Normal qu’ils y courent !

    La Vérité si je Mens
    28 juin 2020 - 11 h 08 min

    Certains pays en particulier Maghrébins et Arabes ne devraient pas gérés leurs propre peuple,ils leurs faut des tuteurs ou des gérants;payés ou pourcentage

      Jte Jure !
      28 juin 2020 - 14 h 50 min

      Ma Parole que tu es dans le Vrai !
      Un pays Arabe devrait payer des dirigeants spécialisés avec carte blanche pour esperer developper le pays !
      Contrats de 4 fois 5 ans avec obligation de former les notres.
      Mais bon, faut pas rêver avec des fiers incompétants corrompus et faux croyants…

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