Quête du Hirak, errance des harragas : histoire méditerranéenne

harraga hystérie
«L'enfer, c'est les autres». D. R.

Par Ali Akika – Comment ne pas qualifier de fou notre monde quand, à la fois choqué et médusé, l’angoisse nous prend à la gorge quand des événements injustes, violents ou sordides frappent à nos portes ? Cette hystérie semble être une maladie singulière d’un certain monde qui s’adonne à un jeu consistant en la recherche inlassable, frénétique et illusoire d’un plaisir chaque fois plus grand, seule à même de combler le vide de son être. Pourquoi ce monde-là est-il en train de sombrer dans un piège qu’il a fomenté lui-même ? Sa folie collective est juste une image mais qui nous renseigne cependant sur les puissants. Ces derniers créent leur propre peur car ils n’arrivent pas à se résoudre à perdre les «bienfaits» et les privilèges que leur a procuré précisément la puissance.

Par puissance, on entend la force matérielle, idéologique, intellectuelle. Celle-ci, on la voit se déployer dans toute la majestueuse arrogance des Etats-Unis qui se sentent menacer par la Chine. Et cette hystérie au sommet des Etats est distillée dans les sociétés, jadis abreuvées du raciste péril jaune chinois qui s’est métamorphosé en redoutable concurrent. Mais l’hystérie se déploie aussi dans le domaine religieux/idéologique. On le constate dans les pays du Golfe qui dorment sur des lits de dollars grâce à leur soudain statut de nouveaux riches, s’attribuant le droit et la prétention de donner des leçons de religion. A qui ? A des peuples qui, eux, se sont libérés et qui se défendent sans le parapluie des «mécréants». Là aussi, derrière cette prétention sommeille en vérité la peur de perdre un monopole idéologique/religieux.

Oui, peur dans leurs villes champignons, peur des peuples qui ne supporteront pas toujours un mode de vie moyenâgeux et leur trahison de la cause de la Palestine. Ceux qui regardent avec des yeux ouverts cette folie qui souffle à tout vent ne sont point étonnés de leurs dérives. En revanche, ils s’en inquiètent car la peur favorise l’irrationnel et peut mener le monde au désastre. La planète attend avec angoisse par exemple les résultats de l’élection américaine. En France, avec la lourde atmosphère créée par le coronavirus et aggravée par des attentats criminels, on entend et on écrit ici et là des mots et des noms qui rappellent de tragiques époques de ce pays. Des mots ? En veux-tu, en voilà ! Guerre, couvre-feu, on ne gagne pas une guerre avec des lois de la paix, camp de bannissement, Guantánamo, etc.

Ce triste tableau où s’affichent tant de haine et de démission intellectuelle dans des pays qui ne manquent pas d’intelligence fait peine à voir. Quand on respire pareille atmosphère, on ne peut rester passif devant un monde qui va en vrille.

Pourquoi ce monde semble-t-il se perdre dans un obscur labyrinthe alors que l’on croyait en être sorti avec l’ère de Lumières ? Ibn Khaldoun avait esquissé une théorie qui s’est enrichie depuis avec les découvertes faites avec l’avènement de la Renaissance et le développement du capitalisme en Europe. Ibn Khaldoun, fin connaisseur de son époque dans un monde qui s’étendait de Baghdad à Cordoue, observa le déclin des classes dominantes. Celles-ci jouissaient depuis longtemps «de la richesse dans laquelle elles se vautraient en se gavant», et qui eut comme résultat de ramollir leurs méninges. Ibn Khaldoun à travers l’observation sociologique de son époque ébauchait déjà la notion du rapport aux choses et à l’Autre. La notion de l’Autre a été au centre de la réflexion philosophique et poétique depuis la Renaissance, une époque qui inaugura la brisure de la chaîne des dépendances du moyen-âge (servage).

Dès le début de la Renaissance, un philosophe/écrivain, Montaigne, s’intéressa au problème de l’Autre, de l’Etranger qui ouvre une fenêtre sur le monde. A son époque, l’Eglise s’interrogeait sur l’existence de l’âme chez les Indiens qu’on venait d’envahir leurs pays pour les dévaliser de leur or. Avec le triomphe du capitalisme, on ne se posa plus la question de l’âme des exploités. D’autres problèmes vont surgir dans le rapport à l’autre.

En 1871, le prolétariat de la Commune de Paris s’insurge contre un pouvoir incapable de défendre la patrie. La résistance des classes populaires à la féroce répression du pouvoir de la bourgeoisie fut admirablement chantée dans un poème, L’Orgie parisienne d’Arthur Rimbaud. C’est à ce moment-là que Rimbaud écrivit Je est un autre (1) et prit congé de son pays pour aller à Aden. Le «je» étoile de la révolution des Lumières s’éteignant à ses yeux, il préféra s’en éloigner et aller vivre ailleurs. Un siècle plus tard, J. P. Sartre écrit Huis Clos en pleine guerre mondiale «l’enfer, c’est les autres». Le monde était alors traversé de contradictions qui avaient atteint un degré paroxysmique avec la «cohabitation» du libéralisme, du fascisme et du socialisme.

De nos jours, le monde vit, toutes choses égales par ailleurs, de profondes crises qui ébranlent des certitudes et, paradoxalement, ne provoquent aucune remise en cause du discours politique dominant. On assiste plutôt à un ronronnement d’idées déjà entendues et répétées à satiété dans la torpeur d’un nid douillet. La braise couve, l’angoisse s’installe, la cité risquant de prendre feu, on y oppose comme bouclier de pompier que des lois encore plus répressives. Comme si les bouleversements sociaux avec leurs fureurs allaient être étouffés par les clapotis de discours qui se veulent martiaux.

D’où vient donc ce vent de folie ? D’un monde pardi qui voit le sol se dérober sous ses pieds. Un monde qui fait des guerres ici et là, vole des terres pour les donner à d’autres, organise des coups fourrés contre des gouvernements qui ne courbent l’échine, etc.

On pense à l’Amérique de Trump qui bataille pour retrouver son statut de gendarme du monde. A la France qui a la nostalgie d’une époque où elle comptait dans le monde, elle tente un repli en direction d’une Europe qui ne finit pas de se construire, pour retrouver un semblant d’aura. Maintenir le statu quo et les privilèges qui vont avec, quoi qu’il en coûte, telle est la stratégie des Trump dans le monde. Encore que le «qui veut peut» d’inspiration kantienne ne peut embrasser, empêcher les mouvements tectoniques de l’histoire qui pèse un peu plus que notre petite psychologie d’être mortel.

Qu’en est-il de l’Algérie dans son rapport au monde, à l’Autre ? Allons-nous assister à de pareilles remises en cause sous la poussée d’évènements comme ceux cités plus haut ? A l’évidence, les ingrédients sont réunis pour des remises en cause à tous les étages de l’édifice. C’est peu dire que la situation n’est pas brillante. Les raisons sont connues de tous. Point besoin de faire appel à des statistiques de l’économie. Il suffit de regarder la mer dont se servent les haragas comme un pont pour atteindre des rives plus clémentes. Une mer qui, le plus souvent, les avale, eux les jeunes qui se risquent dans un voyage sans retour.

Hélas, ce n’est plus cette Méditerranée qui fut plus généreuse avec Ulysse de la Grèce antique, lequel finit par revenir chez lui et retrouver les siens. Dans cette Algérie orpheline de tant de choses, apparut une petite étoile, le 22 février 2019, lui offrant une faible lumière due à un ciel souvent nuageux depuis si longtemps. A l’indépendance, après tant de sacrifice et plein d’espoirs, nous avons cru que le «je » est un autre de Rimbaud allait s’étendre à nous autres Algériens. Hélas, trois fois hélas, nous héritions de «l’enfer, c’est les autres» de Sartre où tout le monde se surveillait. La petite étoile née avec le Hirak a au moins le mérite d’avoir débarrassé le pays d’un potentat et ensuite d‘ébaucher un rapport à l’Autre sans qu’il soit affublé d’un attribut autre que celui d’enfant d’une histoire et d’un pays nommé Algérie.

L’attente d’un Hirak fut longue car la société a été voilée de couches successives d’idéologies rances et se retrouva comme dans la pièce de Sartre où les sujets attendaient à la porte de l’enfer. Chacun des sujets toisant le voisin en l’accusant d’être son enfer. Nous étions une société qui cultivait avec des hauts et des bas son mode de vie, ses croyances, ses solidarités construites par des brassages de l’histoire. Celle d’un peuple qui s’était rangé dans la même tranchée un certain 1er Novembre 1954. Et c’est cette histoire que des charlatans ont triturée pour l’effacer de la mémoire du pays. Ils ont failli réussir leur coup mais la vigilance reste de mise car le combat est loin d’être terminé.

Les deux victoires du Hirak signalées plus haut ne sont que l’amorce d’un processus qui va être long, très long. L’histoire a ses secrets difficiles à éventer. Elle n’obéit pas aux impatients, elle n’a pas la maladie de l’hystérique condamné à la recherche frénétique et immédiat de la jouissance comme le capitaliste obsédé par le toujours plus de profit (Lacan). L’histoire a la patience du temps marié avec l’éternité. Toute autre posture n’est que de la médiocre littérature qui fleurit dans l’écriture policière de l’histoire. En ce jour anniversaire du 1er Novembre 1954, ce sont les exemples des Ben M’hidi, Abane, Ben Boulaïd, Boudiaf et tous les combattants anonymes qui doivent nous servir de boussole.

A. A.

(1) «Je est un autre» est un phrase énigmatique de Rimbaud dans une lettre à un ami. On suppose que Rimbaud, comme tout poète, rêvait d’habiller l’Homme avec de nouveaux habits débarrassés des mythes «mités» et aliénants du vieux monde massacrant les communards parisiens.

Comment (2)

    Y en n'a marre !
    4 novembre 2020 - 19 h 24 min

    Yen n’a marre du désespoir , mon ami et un de sais cousin ont réussie la traverser de la mer et ils
    ont réussis à accoster en Espagne avec 2 nuits à vivre le cauchemars
    mais ils ont quitter le pays et très bientôt sa sera mon tour et si tous mes amies font de même
    l’Algérie ressemblera à un Hepad de vieillards …
    se rendent t’ils comptent qu’ils aurais pu faire de du pays un eldorado ou c’est les Français et les Espagnols
    qui nous demandent un morceaux de pain et un peut de dignité ???

    Karamazov
    4 novembre 2020 - 12 h 34 min

    J’allais dire : iherah l’enthouiasme ta3 bekri.

    Si c’est pas des façons de nous plomber l’atmosphère  et de nous décevoir l’espoir.

    Iwi ! Iben moua ça me rassure qu’on n’ait pas changé de place à l’immobilisme . Comme dirait Brel :

    « C’est comme ça depuis que le monde tourne
    Y a rien à faire pour y changer
    C’est comme ça depuis que le monde tourne
    Et il vaut mieux pas y toucher »

    Ou comme dirait Slimane 3azem : tharwi thebarwi.

    Nagh 3emmi Hmed lmarouki : Wqada kbira ya khali leqbayli !

    Si ça donne pas envie de chialer sur notre misérable sort .

    Hassoun , mes condoléances !

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