C’est la faute à Albert Camus l’Algérien et Karl Marx l’étranger

Abassi Guerre d'Algérie
Les islamistes de 1954-1962 n'ont rien à voir avec les islamistes actuels. D. R.

Par Saadeddine Kouidri – Pourquoi la République française ne reconnaît-elle pas sa défaite et notre victoire sur son colonialisme de peuplement ? Est-ce parce qu’elle qualifiait notre lutte de libération d’«événements» ? Elle finit pourtant, quelques décennies plus tard, par l’appeler «Guerre d’Algérie». Ce faux intitulé va lui servir à tronquer l’histoire dans le principal but de camoufler ses génocides de tribus africaines et asiatiques dans son récit national, tout en maintenant cette période dans son histoire uniquement. Une façon de nier tout en rabaissant la lutte de libération des peuples à des événements, à une guerre de la France faite dans la colonie pour ne jamais reconnaître à la lutte du peuple algérien, par exemple, son caractère révolutionnaire.

La guerre des mémoires s’ensuit obligatoirement et l’aide de la France au Maroc à l’occupation du Sahara Occidental est l’illustration que ce colonisateur adopte la tactique de l’offensive pour dissuader tout anticolonialiste de se pencher sur ses propres colonies comme la Guadeloupe, la Martinique, la Nouvelle-Calédonie, la Réunion, Mayotte, etc. Ceux qui parlent de la colonisation des Russes et des Chinois devraient logiquement nous parler en premier de ces colonies, d’autant plus qu’elles n’ont aucune frontière commune et, en sus, elles sont situées à des milliers de kilomètres, loin des côtes françaises, dans les océans Atlantique, Pacifique et Indien.

Si la victoire du Mouvement de libération n’est pas reconnu par les vaincus, la France et l’Otan, c’est aussi la faute d’Albert Camus et de Karl Marx, pour ne citer que ces deux géants qui ont un lien avec l’Algérie. Le premier y est né et le second y a passé un séjour de convalescence. Le premier a mis la violence révolutionnaire sur un même pied d’égalité avec celle de la colonisation, le second pour avoir laissé entendre que l’occupation pouvait être bénéfique aux autochtones, à leur émancipation.

L’apport immense du père du matérialisme moderne reste donc imparfait. Il faut rappeler que sa théorie de la plus-value a légitimé à jamais la revendication salariale et celle de l’amélioration constante des conditions de travail des ouvriers. Par ailleurs, il avertit l’humanité que «le Capital a horreur de l’absence de profit. Quand il flaire un bénéfice raisonnable, le capital devient hardi. A 20% il devient enthousiaste, à 300% il ne recule devant aucun crime». Démystifié par Marx, le Capital va se camoufler en empruntant différents courants idéologiques qui tous sont pour l’exploitation des peuples. Son idéologie va se confondre alternativement avec les trois religions monothéistes et pas seulement, puisque que le dernier génocide mentionné par l’ONU en 2017 est commis sur des Rohingya. Le génocidaire est bouddhiste et la victime musulmane. Le Capital emprunte l’une ou l’autre suivant la région. Il réussit à coloniser la moitié de la terre au nom du Christ, au nom de la papauté plus précisément. Cette réussite va encourager le Capital à créer une sorte de «direction spirituelle» pour chaque religion : Israël et l’Arabie Saoudite.

L’exploitation, de la fausse idée de Marx sur le but de la colonisation, va gripper le marxisme et permet jusqu’à ce jour de creuser le silence sur l’évolution développée par Darwin. Quant à Camus, dont le prix Nobel doit revenir à l’Algérie, il est d’abord un romancier. Ses émotions l’ont amené à préconiser plus de justice dans un pays colonisé. L’énigme est pourquoi n’a-t-il pas agi pour plus de justice sous l’occupation nazie ?

Le colonialisme, en élevant l’indigène au statut de «Français musulman» à la fin des années 1940, cherchait à rendre divin son emprise sur les autochtones, utilise ce qu’il y a de plus précieux chez le croyant démuni de tout, sa religion, en tant qu’opium. Une façon diabolique de le dénuder davantage.

Le premier signe de la lutte politique, après les résistances armées du XIXe siècle, est entamé par l’Emir Khaled qui écrit une lettre à Woodrow Wilson, président des Etats-Unis, promoteur de la Société des nations, future ONU, «pour attirer son attention sur le sort des Algériens» et invoque les «valeurs prônées par la République», en mai 1919, et se poursuit autour du Parti communiste français créé en 1920. Le frémissement du Mouvement de libération commence au moment où les patriotes entament crescendo la prise de conscience à la lutte, non pas contre la misère, mais contre le désespoir de perdre à jamais leur patrie chérie. A cette lutte, les patriotes étaient nationalistes, communistes et islamistes. La seule fois où ils ont été unis, c’est lors de la Lutte de libération nationale.

On remarque que dans leurs écrits, les journalistes ne révélaient pas la tendance politique des patriotes. Si Ben M’hidi, par exemple, n’avait pas écrit, noir sur blanc, son engagement pour le socialisme, on en aurait fait un islamiste en prétextant qu’il faisait sa prière. Il y a des communistes algériens qui font la prière.

Le colonialisme de peuplement et l’islamisme ont un même objectif au départ, celui de la spoliation des terres. Il faut rappeler que les Frères musulmans n’ont critiqué et combattu que les Républiques «arabo-musulmanes», jamais les royaumes. Au lendemain de l’indépendance, ils désapprouvent, c’est le moins que l’on puisse dire, l’option socialiste de la période de Ben Bella et de Boumediene.

De jeunes islamistes sous l’influence des discours religieux agressent de plus en plus les femmes dans les lieux publics dès les années 1970. Ces agressions qu’aucune autorité ne condamne participent à la naissance du premier maquis terroriste en 1982. L’activité des islamistes et des antidémocrates a un tel impact sur le pouvoir que l’Assemblée populaire nationale (APN, Parlement) d’alors, finit par voter le Code de la famille en 1984. Une loi inique en contradiction avec l’égalité des sexes prônée par la Constitution. Elle a comme conséquence plus d’inégalités dans la société.

Aujourd’hui, la revendication de normaliser l’islamisme au nom de l’union, comme l’avait fait Chadli, anticonstitutionnellement, s’ajoute à la pression qui monte à nos frontières. Il y a deux objectifs dans les discours pour l’union nationale. Il y a celui qui réhabilite le FIS et ses alliés, et il y a celui qui lui fait écho entretenant consciemment ou inconsciemment la confusion entre l’islamisme patriotique de 1954/1962 et celui de l’islamisme-terroriste des années 1990. Oui, il est primordial de dénoncer cet amalgame en rappelant qu’il existait bien des patriotes musulmans comme il existait des patriotes nationalistes et des patriotes communistes dans la Lutte de libération. Ils étaient tous unis pendant la Révolution, mais pendant la Révolution seulement.

Dans notre situation aujourd’hui, l’union ne peut commencer que par un préalable, celui de l’exclusion des terroristes de la scène politique. Ceux qui veulent maintenir les partis et les militants qui ne condamnent pas les terroristes dans leurs déclarations et emploient le «sans exclusive», revendiquent sournoisement l’amnistie des terroristes et tendent à isoler l’ANP dans sa lutte contre ses derniers. Ils ont les frères de ceux qui se taisent sur la question, tout en exigeant le dégagement de l’armée de la scène politique. La présence des islamistes sur la scène politique impose celle de l’armée tant que la classe politique dans son ensemble ne mène pas la lutte contre l’obscurantisme, la religiosité, etc., car il ne peut y avoir une lutte antiterroriste exclusivement militaire.

A les écouter, leur «dirouhoum gaâ» (les inclure tous) s’oppose à «yetnahaw gaâ» (les dégager tous) du Hirak. Dans ce cas, il est à se demander à quoi sert la politique. N’est-elle pas faite de stratégie d’anticipation pour l’émancipation du peuple ? La Réaction, de connivence avec des antidémocrates, pousse, lors des élections, au choix entre la peste et le choléra. Il est évident, dans ce cas, que c’est le promoteur de ce choix qui est le premier ennemi de la République démocratique et populaire, car un tel choix mène obligatoirement au retour d’avant le mouvement citoyen de la jeunesse du 22 Février 2020 ; c’est-à-dire à un «cinquième mandat».

Sachant ce qu’est un cinquième mandat et sachant ce qu’est un Etat islamiste, devrions nous attendre la fin de leur ascension et ne voir le danger que quand il sera trop tard ? Le meurtre de dizaine de milliers de citoyens est plus que suffisant pour écarter tout homme politique qui ne condamne pas le terrorisme. Devons-nous encore subir cette humiliation d’assister à la promotion d’un chef terroriste par un chef du gouvernement au rang de personnalité nationale pour agir ? On ne peut entamer un programme qu’en ayant ce minimum commun qui nous préserve d’un retour à l’innommable sous une autre forme cauchemardesque : l’«élection» d’un islamiste.

S. K.

Comment (8)

    Lheq
    19 décembre 2020 - 0 h 14 min

    Nous sommes en 2021 dans quelques jours et vous me ramenez à jadis. C’est quand que vous parlerez d’avenir?

    Belveder
    18 décembre 2020 - 18 h 46 min

    Cette Photo date de quand?? Elle me parait récente?? il y des gens qui deffilent encore avec la photo de Abassi Madani???Si c est OUI ca ne sert a rien d accuser  » »L étranger » » de tous nos MAUX

    Abou Stroff
    18 décembre 2020 - 14 h 02 min

    j’ajoute qu’heureusement il y eut la colonisation de l’Algérie car, sans cette dernière, l' »étoile nord-africaine » n’aurait pas vu le jour en france dans le milieu de l’émigration et Messali el-hadj n’aurait jamais demandé l’indépendance de l’Algérie pendant que d’autres organisations (l’association des oulémas algériens, entre autres) prônait l’assimilation pure et simple à la france coloniale.
    en termes crus, c’est à grâce à la colonisation que la Nation algérienne a émergé en tant que telle. sans la colonisation nous n’aurions été qu’une province de l’empire ottoman et il est inutile de rappeler qu’au coeur de l’empire ottoman était inscrit son dépérissement.

      Elephant Man
      18 décembre 2020 - 20 h 31 min

      @Abou Stroff
      Encore dans l’autoportrait et l’autocongratulation…..
       » notre réintégration dans l’histoire humaine qui se font, au moment présent, sans nous. »
       » c’est à grâce à la colonisation que la Nation algérienne a émergé en tant que telle. »
      Et je conclus par que ne faut-il pas faire  » et pour quelques dirhams de plus……. ».

    Anonyme
    18 décembre 2020 - 13 h 00 min

    Les vaincus reconnaissent rarement leur défaite. C’est les historiens et l’histoire qui désignent les vainqueur et vaincus. La guerre d’Algérie est enseignée dans le monde entier et la défaite de la France ne fait pas de doute parmi tous les historiens à l’exception de quelques révisionnistes nostalgiques de l’Algérie française. L’histoire a donc déjà désigné le vainqueur. La reconnaissance française n’a plus d’importance, on s’en fout!!

    Cirta25
    18 décembre 2020 - 11 h 12 min

    Tout n’est que prétexte à légitimer les rapports de force à l’œuvre. Les leviers que peuvent actionner les gouvernants et leurs opposants sont multiples : politique, économique, militaire, religieux, scientifique et aujourd’hui écologique et bien d’autres. Les conquêtes arabes et l’islamisation des autochtones participent de la même logique et des mêmes objectifs que tout le reste, la prise du pouvoir, sa confiscation et sa volonté d’hégémonie. L’Emir Abdelkader a toujours revendiquer son appartenance à l’arabité et à l’islam. il ne pouvait proclamer son algérianité par défaut conceptuel de l’époque. Il a conduit une guerre religieuse et non nationaliste (Johann Gottfried von Herder (1744-1803). La citoyenneté en 2020 en Algérie se cherche encore et les intellectuels depuis le XIX siècle s’interrogent toujours. L’islamisme fait de la résistance. Il a beaucoup à perdre pour ne pas dire qu’il a déjà tout perdu. La nouvelle religion, c’est la science moderne. Mais, nous sommes en Algérie et nous avons encore le temps.

    Abou Stroff
    18 décembre 2020 - 10 h 56 min

    « L’exploitation, de la fausse idée de Marx sur le but de la colonisation, va gripper le marxisme et permet jusqu’à ce jour de creuser le silence sur l’évolution développée par Darwin. » avance S. K..
    fausse idée de Marx!?
    il n’y a, à mon humble avis, point de fausse idée de Marx, bien au contraire. l’analyse de Marx est en parfaite symbiose avec les faits observables et quantifiables
    en effet, si nous admettons que le colonialisme est le produit de la dynamique du capitalisme et matérialise l’extension (à travers le colonialisme puis l’impérialisme et puis,enfin la soi disant mondialisation du moment) des rapports de production capitaliste à l’échelle mondiale sans lesquels le capitalisme, en tant que mode de production ne peut point progresser, alors il nous faut admettre que la colonisation de l’Algérie, en tant que formation sociale pré-capitaliste était inscrite dans l’histoire du capitalisme en tant que système reposant sur une reproduction élargie ininterrompue.
    en d’autres termes, si l’Algérie n’avait pas été colonisée par la france, elle l’aurait été par une autre puissance capitaliste de l’époque.
    d’ailleurs, la seule question qui mérite d’être posée est la suivante: pourquoi le capitalisme, en tant que système, n’a pas émergé, d’une manière endogène, au sein des formations pré-capitalistes qui formaient l’empire ottoman? (une ébauche d’explication se trouve dans les analyses de S. Amin selon lequel, seul le mode de production féodal exhibait les conditions de son dépassement par le mode de production capitaliste).
    moralité de l’histoire: si nous admettons que le capitalisme est le mode de production qui a développé les forces de la production à une échelle jamais égalée, il nous faut reconnaître qu’il réalise le monde nouveau qui ne parvient pas encore à naître en algérie et qu’à ce titre, tous les patriotes devraient agir pour le capitalisme en tant que système prenne racine au sein de la formation sociale algérienne et lui imprime ses contours essentiels. il me parait, à ce stade inutile de rappeler que ni la mrabunta qui nous gouverne, ni la vermine islamiste qui appartiennent, toutes deux, au monde ancien qui ne veut pas mourir ne sont aptes à diriger notre réintégration dans l’histoire humaine qui se font, au moment présent, sans nous.

      Amina
      19 décembre 2020 - 16 h 18 min

      Il me semble que Marx a surtout été frappé par le régime féodal qui prévalait alors en Algérie. Pour les plus âgés d’entre nous le souvenir des agha et caïds reste vivace, ils avaient droit de vie et de mort sur le pauvre khamès, les exactions des hommes du makhzen n’enviaient rien à celles des hommes de Bugeaud.
      La soumission serait-elle plus douce si elle vient de nos frères de religion ou de nos compatriotes ?
      Aussi m’est-il insupportable quand monsieur Erdogan dénonce les crimes du colonialisme, ou que ceux qui emprisonnent et bâillonnent se réclament de ceux qui nous ont libéré, car ne l’oublions pas une lutte d’indépendance est avant tout une lutte pour la liberté.
      Quant à Camus, il parle de mon pays mieux que quiconque alors je le lis avec bonheur, je ne suis pas obligé d’être d’accord avec lui, je crois que si j’avais à choisir entre cette terre «  cette mère exigeante, qui donne tout et prend tout » et l’injustice je n’hésiterais pas. Nous ne serons pas dans le même camp bien sûr
      mais ce pays ne mérite-t-il pas qu’on se batte pour lui?

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