Le terrain miné qui attend le nouveau président américain Joe Biden

Joe Biden invest
Un travail colossal attend Joe Biden. D. R

Contribution d’Ali Akika – Le président Joe Biden devra slalomer sur le terrain politique pour éviter les mines déposées par son prédécesseur. Car l’explosion de ces mines va lui compliquer la tâche. Surtout à l’heure où les Etats-Unis sont assaillis de problèmes comme le Covid-19, les orageuses relations avec la Chine et la Russie sans parler de l’Iran que le ministre de la Défende israélien vient de menacer d’une frappe atomique préventive, rien que ça ! Comment va-t-il faire ce Président dont l’ambition est de réunir le peuple américain, plus divisé que jamais. Opération et objectif difficiles en effet avec une crise politique qui a ébranlé le pays et terni l’image des institutions américaines.

Intéressons-nous plus précisément à la carte politique et stratégique du Moyen-Orient où le duo Trump-Netanyahou, auteurs des mines en question, ont fait courber l’échine à des chefs d’Etat de la région. Pour le duo américano-israélien, les accords avec ces pays ont ouvert la voie à la stabilité. C’est exactement le contraire qui est en train de s’installer. Cette région est plutôt assise sur un volcan et la menace de guerre préventive d’Israël en est le signe avant-coureur de futures explosions. La guerre dans la guerre israélienne est du reste déjà une réalité à travers les incessants bombardements de la Syrie. Et ce n’est pas le défilé des pays arabes du Golfe et le Maroc qui ont mis les doigts dans un engrenage à la Canossa qui vont «pacifier» la situation.

Aller à Canossa, une expression de Bismarck, père de la puissante et future Allemagne, veut dire s’agenouiller devant l’ennemi. C’est cette image dégradante qu’offrent ces chefs d’Etat de pays en se rendant à Tel-Aviv sans même faire semblant de résister à l’ennemi. Qu’est-ce qui les a obligés à aller à Canossa ? C’est évidemment leur choix politique alimenté par un esprit de démission mâtiné de peu de respect pour l’histoire de leur pays. Rien d’étonnant à ça quand on connaît le mépris qu’ils infligent à leur peuple dont ils étouffent la voix dans le vil et unique objectif de se maintenir au pouvoir. Et leurs trônes à tous tiennent sur un socle fourni par des protecteurs venant de loin à qui ils confient la sécurité du pays et leur livrent l’exploitation de ses richesses.

Qu’en est-il de la situation politique et stratégique du Moyen-Orient à la veille de l’intronisation de Joe Biden à la Maison-Blanche ? La situation des pays de cette région est liée à l’histoire des monarchies qui les dirigent. Des monarchies qui ont conservé les structures tribales et féodales qui les rendaient fragiles face au monde moderne dominé par l’économie capitaliste. Leur richesse pétrolière, au lieu de servir à construire une société apte à se défendre, était investie dans une économie de bazar et le reste sert à payer le parapluie protecteur étranger contre d’éventuelles menaces extérieures. Nos clinquants princes et roitelets délaissaient le travail ardu et ennuyeux de produire et de se protéger. Ils préféraient se consacrer au formatage des esprits de leurs populations à coups de recettes religieuses cuisinées au préalable avec des ingrédients à leur goût.

Remarquons, au passage, que ces princes s’entendent comme larron en foire avec leurs protecteurs kouffar, comme ils disent, mais détestent royalement leurs voisins chiites mais aussi les frères musulmans qu’ils considèrent comme de dangereux «modernistes». Je fais allusion à ces guéguerres de religion car on a assisté la semaine dernière au spectacle du retournement de veste entre l’Arabie et le Qatar soutenu par la Turquie. On le voit tous ceux qui ont cru ou croient encore que les différends entre ces pays relèvent du facteur religieux doivent être penauds.

L’histoire est gorgée de prétextes religieux qui, très souvent, masquent des intérêts politiques sous lesquels sommeillent des intérêts économiques. La naissance du protestantisme et son extension dans beaucoup de pays, en dépit de la puissance de la papauté catholique à l’époque, est l’exemple type du rôle du politique et de l’économie derrière l’écran des considérations religieuses.

Le politique et l’économique ont secoué la chape de plomb de la papauté qui «bridait» le capitalisme. D’où la puissance économique et bancaire des pays comme l’Angleterre, la Suisse, l’Allemagne qui ont coupé les ponts avec Rome-Vatican, etc. A la naissance de l’islam, il en fut de même autour de ralliements de tribus et leur entrée en islam. On aura remarqué que tous ces pays réunis autour du pilier de l’Oncle Sam sont des monarchies sunnites qui se sont alliées avec l’Occident contre les régimes issus du mouvement national. Hier comme aujourd’hui des pays issus du mouvement national comme l’Egypte, la Syrie, l’Irak, le Liban, la Palestine font les frais de cette alliance monarchie arabes-Occident.

Les acteurs politiques et militaires du Moyen-Orient

Le maître et le chef exécutant des manœuvres dans cette région sont les Etats-Unis. Leurs objectifs politiques et stratégiques à long terme restent les mêmes. Cependant, le chaos de Trump dont va hériter Biden a introduit des facteurs qui ont déréglé la machine américaine. Avant de tenter de réparer les dégâts de Trump dans le monde pour préserver les intérêts américains, Biden doit guérir le mal qui ronge la société américaine et colmater les brèches des institutions au sein des appareils de l’Etat.

L’invasion du Congrès américain va laisser des traces profondes et va quelque peu influer sur la politique étrangère des Etats-Unis. On ne mesure pas encore les dégâts politiques de cette sédition installée au cœur du pouvoir. Sur le plan international, le Président américain vers qui les regards se tournaient habituellement ne va plus impressionner le monde. Quant à ses rivaux, Chine et Russie, Biden aura du mal à leur faire oublier les méthodes de goujat de Trump qui ont durement abîmé les relations avec ces deux pays. Cela dit, avec les pays arabes du Golfe et Israël, les Etats-Unis conserveront leur toute puissance. Avec ces pays, Biden va donc étaler la puissance de son pays et ne sera pas sensible aux politesses et aux sourires de circonstance. Il le sera d’autant moins qu’il aura affaire aux intransigeants Iraniens, forts de leurs droits et de leur puissance de riposte ; ripostes qui, par deux fois, avaient calmé l’ardeur de Trump.

Les Etats-Unis sont pressés d’enlever l’épine iranienne de leur pied car ils veulent se consacrer à leur déménagement vers le Pacifique pour contenir le géant chinois. Mais avant ça, il lui faut rassurer l’ami israélien. Et les exigences de celui-ci sont ni plus ni moins une neutralisation de l’Iran en lui interdisant la possession de l’arme atomique. On s’attend donc à des tensions entre les Etats-Unis et Israël car les enjeux sont considérables. Il ne sera pas facile de dénouer les nœuds de la conflictualité car les relations entre ces deux Etats sont régies par la fameuse thèse de Hegel connue sous le nom de la dialectique du maître et de l’esclave. Les liens de dépendance dans ce type de binôme peuvent changer de nature, selon les circonstances et ce n’est pas facile de se soumettre aux contraintes de ces circonstances (1).

La stratégie d’Israël (2)

A la lecture des analyses des stratèges militaires israéliens, on sent le dilemme dans lequel est enfermé Israël. En gros, contre l’Iran, ces stratèges aimeraient, suggèrent de faire faire le boulot par les Américains. Ils savent qu’Israël ne fera pas la guerre pour leurs beaux yeux. Il reste donc à Israël à utiliser ses habituels moyens de pression et, au besoin, de tendre un piège pour provoquer une réaction américaine contre l’Iran. Pour les stratèges israéliens, le boulot fait par les Américains leur évitera de se lancer dans une aventure dont ils ne sont pas sûrs de résultats.

Car ces stratèges, en dépit de la puissance de leurs armes, ne sous-estiment pas l’ennemi iranien car ils savent que celui-ci a des moyens de riposte (missiles de précision) qui mettraient en danger la vie même de l’Etat d’un si petit territoire (absence de la fameuse profondeur stratégique). C’est pourquoi Israël va se «contenter» de demander à Biden d’interdire à l’Iran les missiles qu’Obama n’avait pas inclus dans le fameux accord international de 2015 sur le nucléaire du Conseil de sécurité de l’ONU.

Pourquoi cette exigence alors qu’Israël possède l’arme de dissuasion par excellence, l’arme atomique ? Parce que depuis cet accord, les militaires israéliens savent que l’Iran a fait d’énormes progrès dans la fabrication de missiles aussi forts dans la précision que dans la capacité d’atteindre des cibles situées à une longue distance. Aucun bout de territoire n’échappe à ces missiles qui ont des capacités de destruction énormes. Ainsi, la peur d’Israël est causée par l’incertitude de sortir vainqueur des deux stratégies suivantes à sa disposition. Et dans l’art de la guerre, l’incertitude stratégique n’est pas possible contrairement à la tactique où l’audace combinée à une intelligence de la connaissance du terrain permet de prendre des risques.

1- La stratégie défensive. Se défendre à partir de son territoire en menant une guerre de missiles sol-sol et sol-air n’assure pas la victoire. Bien au contraire, de nos jours, le nombre considérable de missiles et de drones que l’ennemi peut envoyer forcera le barrage des antimissiles en dépit de sa sophistication. Le gagnant est celui qui peut mettre à l’abri ses installations névralgiques mais aussi celui qui a les moyens de résister dans la longue durée.

2- La stratégie d’attaque. Celle-ci est l’option favorite de l’armée israélienne quand l’ennemi est un voisin et démuni d’avions et d’une DCA efficace. Or, l’Iran est à plus de 2 000 km d’Israël, une attaque israélienne implique que les avions parcourent un aller/retour, d’échapper aux radars, de prendre le temps de bombarder sans être ravitaillés dans le ciel. Ce genre d’exploit n’est pas à la portée de tout le monde. Cette stratégie n’a pas évidemment l’assentiment des militaires, car ils savent qu’en dehors de pareils exploits hypothétiques, l’accueil de la DCA iranienne ferait subir des pertes insupportables. De plus, la nuée de missiles de précision qui s’envoleraient en direction des avions israéliens et du territoire de l’Etat, dès que le premier avion israélien est signalé par les radars, cela refroidit les ardeurs des dirigeants. Il est facile de comprendre que si l’aviation israélienne pouvait renouveler son audace contre le nucléaire balbutiant de l’Irak de Saddam, Israël aurait franchi la ligne sans tenir compte des réactions internationales.

Les difficultés de réussir la guerre dans la guerre actuelle en Syrie, les inconnues des deux stratégies citées plus haut et le fiasco de l’embargo américain expliquent les inquiétudes d’Israël. Et c’est cette menace existentielle qui fait dire à Benny Gantz, ministre de la Défense, qu’Israël n’hésitera pas à avoir recours à une frappe nucléaire préventive. Même cet ultime recours à l’arme atomique ne semble pas être dissuasif pour moult raisons, et notamment militaire. A moins qu’Israël possède une arme secrète stratégique comme l’avion B 52 (3) ou un sous-marin pour lancer de loin, ni vu ni connu, une telle bombe. Même un tel exploit n’empêchera pas le tir de missiles iraniens enterrés sous des montagnes que la télé iranienne a montrés au monde entier.

La fuite en avant des myriades de principautés du Moyen-Orient

Ces petites monarchies sont les victimes de leurs alliances et de leur choix de société.

Avec l’époque contemporaine, le maître-colon a réorganisé cette région, selon ses intérêts, et pratiqué la tactique de diviser pour régner. Ainsi sont nées ces Emirats, d’abord protégés par l’Angleterre ensuite par les Etats-Unis. Seul le vaste et fabuleux Yémen d’antan échappa un moment aux griffes de l’Arabie. Il eut l’audace de se déclarer au sud Yémen, capitale Aden, pays socialiste. Il résista à l’Arabie grâce à l’Egypte de Nasser mais avec la disparition du Président égyptien, cet Etat socialiste, sous la pression de l’Arabie, fut intégré dans le Yémen d’antan.

Aujourd’hui, l’Arabie est revenue à la charge et s’emploie à massacrer les populations yéménites sous le regard complice de qui on sait, et ils sont nombreux. La nouvelle carte de cette région qui se met en place à la suite de la lune de miel entre Israël et les féodaux arabes répond à un objectif : maintenir l’hégémonie de l’Occident. Pour cela, il faut contrôler les mers du Golfe arabo-persique (contrôle du détroit de Bab Al-Mandeb et l’entrée de la mer rouge (Egypte, Jordanie, Israël). Et pour rester maîtres de ces détroits stratégiques dont l’entrée se situe au Yémen et non loin des côtes iraniennes, c’est briser le Yémen et neutraliser l’Iran.

Mais cet objectif est quelque peu chimérique. Comme les pays riverains ont peur de se voir un jour interdire la navigation dans le Golfe et donc exporter leur pétrole, Israël veut creuser un canal parallèle à celui de Suez et des pipelines pour évacuer le pétrole des pays riverains. Israël finira par convaincre nos princes de pacotille de financer ces travaux d’Hercule. Et voilà Israël gavé de dollars en contrôlant le futur canal et pipelines partant du port d’Eilat. Voilà donc le mariage de dupes entre Israël et les féodaux de la région, mariage conclu par haine et peur de l’Iran qui ne demande pourtant qu’à être ami dans la région pour ses propres intérêts en tenant compte de ceux de ses voisins arabes.

Mais si jamais nos féodaux tombent dans le piège tendu par Israël qui construirait les tuyaux pour l’évacuation du pétrole et, de surcroît, mettre au chômage les travailleurs du canal de Suez, on verrait se lever, à côté du Yémen et de l’Iran, l’Egypte qui ne se laissera pas mettre fin à l’activité de son canal de Suez. Elle est déjà menacée de ne pas recevoir son quota d’eau du Nil car l’Ethiopie construit un barrage sur le Nil avec la bénédiction et la technique d’Israël en contrepartie du départ de juifs falashas pour son marché du travail et les besoins en hommes de l’armée d’Israël.

A. A.

1- Au moment où j’écris cet article, je viens de lire dans le Washington Post la future décision de Biden consistant à effacer l’extravagante reconnaissance du Sahara Occidental comme territoire marocain.

2- Les informations d’ordre militaire ou de stratégie sont tirées de la lecture d’interview d’anciens généraux israéliens publiés par le Jérusalem Post.

3- Dans le film de Kubrick Docteur Folamour où un fou furieux officier américain vole en direction de l’URSS à bord d’un B52 impossible à arrêter. Il s’assied sur une bombe, la débloque mécaniquement et pique vers le pays de ses cauchemars.

Comment (3)

    karamazov
    20 janvier 2021 - 12 h 36 min

    Biden ne trouvera pas une situation minée à cause de Trump , et je ne crois pas que ce soit cela son souci majeur.

    Il n’aura qu’a rassurer son allié et à tempérer sa paranoïa sécuritaire ainsi que ses velléités suprématistes. Parce que c’est là que réside le vrai problème. Et l’Iran pas plus qu’Israël n’ont d’intérêts à l’envenimement de la situation, d’autant plus que dans le passé l’Iran était dans leur camp.

    Car qui est assez naïf pour croire qu’Israël roulera pour ces monarchies en prenant de dangereux risques pour sa sécurité ? Les Israéliens ne sont pas assez dupes pour croire que l’allure excessivement cavalière de Trump les a aidés et encore moins qu’ils peuvent compter sur les monarchies Zarabes en cas de coup dur.

    Et les amerloques eux aussi savent qu’il n’y pas que la course à l’armement de L’Iran qui pose le problème, il y a aussi la frénésie militariste israélienne .

    Anonyme
    20 janvier 2021 - 10 h 49 min

    Cet article est marrant et réaliste. Des bédouins du désert à qui un jour ont leur à offert comme cadeau inespéré les clés des lieux saints de l’islam, mais obéissant sans broncher aux ordres des maîtres anglo-saxons, c’est triste et lamentable, la preuve que la religion du Prophète. Mohammed (paix, prière et bénédiction sur lui) n’a rien à voir avec ce qui se passe , les occidentaux ont remodelés les territoires de la péninsule arabique après la déconfiture de l’Empire Ottoman cela à souhait et à leur à leur guise. J’aime les peuples arabes mais pas comme çà.

    Biden n'annulera pas la proclamation de TRUMP sur le Sahara Occidental
    20 janvier 2021 - 10 h 36 min

    Selon le média israélien maariv qui a interviewé Blinken (nouveau secrétaire d’état américain), Biden ne reviendra pas sur la proclamation présidentielle de TRUMP reconnaissant la pleine souveraineté du Maroc sur le Sahara occidental.

    Biden est donc un sioniste comme un autre…

    Il faudra donc compter sur l’ANP pour régler définitivement ce conflit en la faveur du peuple sahraoui.

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