Les peuples s’émancipent, l’Occident fait l’autruche

Biden domination
Joe Biden entouré des chefs d'Etats satellites des Etats-Unis. D. R.

Une contribution de Lama El-Horr(*) – Qui peut encore douter du fait que nous nous dirigeons opiniâtrement vers un changement d’époque structurel, voué à reléguer dans le passé plusieurs siècles de domination occidentale sur le monde ? Si cette transformation est en cours, c’est assurément parce que les pays émergents et en développement, majorité écrasante de la population mondiale, disposent désormais d’une alternative à l’ordre occidentalo-centré, qui prévaut depuis pas moins de quatre siècles sur les destinées humaines. Il s’ensuit que les Occidentaux eux-mêmes sont en passe de connaître des restructurations profondes – d’aucuns diraient : une désagrégation du système sur lequel a reposé la toute-puissance de leurs empires successifs. L’épuisement des concepts qui ont servi de prétexte au pillage esclavagiste, colonialiste et néocolonialiste, l’échec de la politique des sanctions, la marche vers la souveraineté, et le consensus international autour de la nécessité de nouvelles formes de gouvernance, compromettent les tentatives du bloc anglo-saxon et de ses pays satellites, notamment européens, de maintenir leurs privilèges sur le reste du monde. Or, en dépit de ces changements géostratégiques irréfutables, le bloc occidental s’accroche à ses prérogatives, persistant à vouloir imposer par la force une omnipotence révolue.

Les prétextes à l’hégémonie impérialiste

«Nous massacrerons les révoltes logiques», lit-on dans Les Illuminations de l’adolescent visionnaire Arthur Rimbaud. De nos jours, ces «révoltes logiques» des peuples soumis à l’oppression s’intensifient sur l’ensemble des continents, et ce malgré les moyens de répression de plus en plus élaborés mis en œuvre – y compris à l’intérieur du bloc occidental. Les blessures de guerre infligées aux sympathisants du Mouvement des Gilets jaunes en France, en 2018, en sont une farouche illustration.

Admis dans leur acception impérialiste, les concepts de Liberté, de Démocratie et de Droits de l’Homme suscitent aujourd’hui un rejet épidermique aux quatre coins du monde – ou, plus exactement, il n’y a plus guère qu’une poignée de nantis pour vénérer ces mots-décor, disséminateurs de violence, de pillage et de mort d’un bout à l’autre du monde. Du Pérou au Mali, le prêt-à-porter idéologique n’opère plus, et les peuples, forts des humiliations dont ils furent l’objet, redécouvrent leur pouvoir de nuisance. Si bien que tout semble indiquer que l’émancipation de notre siècle a commencé, et que les murs de l’exclusion ne résisteront pas longtemps au courroux de ces centaines de millions d’âmes, qui a pris les dimensions d’une insurrection universelle. Reflet du refus de la majorité des pays d’appliquer les sanctions occidentales contre la Russie, il existe aujourd’hui un consensus international relatif à la forme que devrait prendre la coexistence entre les Etats. Pour saisir l’ampleur de ce phénomène, il est indispensable de s’attarder sur les implications des sacrifices concédés par les nations qui se débattent depuis des décennies, non pas contre de simples politiques rivales, mais véritablement contre la mort.

La politique unilatérale et illégale des sanctions

L’imposition de sanctions comme politique coercitive est, faut-il le rappeler, contraire au droit international. Elle correspond à une décision unilatérale visant à assujettir les pays «rebelles» aux diktat de l’hégémon, par le recours à une série de mécanismes, censés empêcher les moutons noirs de participer à l’ordre international en vigueur. De la destruction des secteurs vitaux d’une économie, à l’interdiction d’exporter ses ressources ou d’importer des produits de première nécessité, dont des aliments et des médicaments, en passant par l’exclusion du système financier international, voire le gel pur et simple des avoirs étatiques, l’objectif est de terrasser les pays visés afin d’y provoquer un changement de régime ou, a minima, un renversement de pouvoir.

Indépendamment de la sympathie tribale que l’on peut éprouver envers telle ou telle nation sujette à cette politique dévastatrice, rappelons que ces sanctions – politiques, économiques, financières, militaires, et même culturelles – s’apparentent à la fois à l’apartheid et au génocide. A l’apartheid, car la nation-cible est exclue du «Concert des nations», empêchée d’emprunter les mêmes voies que ses semblables, se voyant interdire le recours aux mécanismes indispensables à son développement. Au génocide, car ces sanctions, à l’instar d’une extermination, consistent dans la négation du droit des peuples à la vie, c’est-à-dire dans leur annihilation. Annihilation lente, oui, comme dans une agonie, mais annihilation. Le cas de la Syrie, soumise au «Caesar Act» depuis 2019 et au «Captagon Act» depuis 2022, est un cas d’école, qui révèle que ces sanctions ne sont rien d’autre qu’une mise à mort de la nation syrienne – tragédie exacerbée avec le tremblement de terre qui vient de frapper plusieurs régions du pays. Ce rapport de force où prévalent les prérogatives du plus fort relève donc d’un acte de guerre qui affecte, non seulement les Etats visés, mais aussi, par effet d’extra-territorialité, l’ensemble des acteurs, publics et privés, qui seraient tentés d’aller à l’encontre de ces mécanismes illégaux – autre preuve, s’il en fallait, de la décrépitude des institutions internationales héritées de la Seconde Guerre mondiale, censées protéger le principe de non-intervention et de souveraineté des Etats.

Si ce projet macabre a en partie échoué, ce n’est pas parce que les intentions de ses auteurs n’étaient pas outrageusement cyniques, mais parce que les peuples soumis à ces sanctions sont parvenus à trouver, grâce à des alliés de l’ombre et à une lutte qui confine à l’héroïsme, la voie miraculeuse de la survie. De fait, les décennies de châtiments que nombre de gouvernements se sont vu infliger pour avoir eu le tort d’aspirer à une voie de développement dans l’intérêt de leurs peuples prouvent, s’il en était besoin, que ces mécanismes coercitifs ont manqué leur but, puisque ces pays, leurs idéaux, leur culture, leurs peuples continuent de faire partie de la face du monde. Au grand dam de l’impérialisme forcené. Qu’il s’agisse de l’Iran, de Cuba, du Nicaragua, du Zimbabwe, de la Corée du Nord, de l’Irak, de la Syrie, du Yémen, du Venezuela, voire de la Russie et de la Chine, sans oublier la Palestine et Gaza, les sanctions ont eu pour effet de servir d’alibi à leur posture anti-impérialiste, fédérant derrière eux tout un cortège de peuples acquis à leur cause.

Aujourd’hui, à la veille de l’ordre mondial réinventé que présagent les cataclysmes universels, jamais un aussi grand nombre de pays n’avait osé élever la voix contre cette politique d’endiguement qui violente de manière aussi implacable la condition humaine. Dans ce contexte, les condamnations internationales des sanctions infligées depuis soixante ans à Cuba sont légion : elles se comptent par milliers. Dans cette avalanche de désapprobations sans appel, la voix du chef d’Etat mexicain, Andrés Manuel Lopez Obrador, s’est récemment distinguée lors d’une visite à La Havane, où celui-ci fit usage d’une métaphore imparable pour vilipender la stratégie d’endiguement américaine qui continue de consumer la nation cubaine. Ces sanctions apparaîtront à jamais, avait-il dit, comme «une tache que toute l’eau des océans ne saurait effacer». Il n’y a pas l’ombre d’un doute, en effet, que l’asphyxie de Cuba par ces mécanismes unilatéraux marquera à jamais la mémoire collective des peuples.

La pomme de discorde : la souveraineté

A ce stade de la réflexion, une question taraude le bon sens : pourquoi ces politiques impitoyables qui s’apparentent à un acharnement sadique contre les peuples ? La réponse à cette question peut tenir en un mot : «souveraineté». Plus précisément, le véritable développement, celui qui ouvre la voie à l’indépendance stratégique, et notamment à l’industrialisation, est perçu par la puissance états-unienne comme une menace insoutenable à la perpétuation de sa domination sans partage sur le monde. Wang Yi, ancien chef de la diplomatie chinoise, eut l’occasion de souligner, à maintes reprises, que les Etats-Unis recourent à ces politiques discriminatoires agressives qui les conduisent à pratiquer un protectionnisme contraire au dogme libéral dont ils se prévalent, simplement parce qu’ils ne tolèrent pas de compétiteurs à leur puissance hégémonique. Le conflit Russie-Ukraine ou, plus exactement, Washington-Russie par OTAN et Ukraine interposées, témoigne du refus catégorique de la puissance américaine de concéder la moindre parcelle de son hégémonie à une puissance émergente telle que la Russie, dont l’importance en tant que puissance énergétique, militaire et géopolitique mondiale n’est plus à prouver, que ce soit en Europe, en Eurasie, au Moyen-Orient ou en Afrique – ou, bien sûr, dans sa coopération et «coordination stratégique» avec la bête noire de Washington, synonyme de son inexorable déclin : la Chine.

Outre les provocations récurrentes vis-à-vis de Taiwan, la guerre commerciale et technologique sans merci engagée depuis les années Trump contre la République populaire de Chine illustre parfaitement ce phénomène. Le contrôle des exportations sur les technologies de pointe vers le marché chinois, en particulier les micro-puces avancées, s’inscrit dans cette démarche d’ostracisme de la concurrence et révèle une stratégie américaine de découplage des économies américaine et chinoise, dans le but d’assainir un coup fatal aux capacités d’innovation du rival asiatique. L’invocation de raisons de sécurité nationale pour bannir Huawei et la 5G chinoise des pays alliés, notamment européens, obéit à cette même logique de porter atteinte à la haute technologie chinoise, perçue comme une menace à la toute-puissance américaine. Le pari des Etats-Unis paraît cependant risqué : face à ces actes hostiles, la Chine a gardé son sang-froid et s’est appliquée à déployer la stratégie de «double circulation», par laquelle elle entend atteindre son autosuffisance technologique, tout en redéfinissant les équilibres entre son marché intérieur et extérieur. La Chine de Xi Jinping a manifestement choisi de favoriser, au moins provisoirement, la sécurité nationale par rapport à la croissance économique, tout en prenant soin de redéfinir son rapport économique et diplomatique aux Etats-Unis et au reste du monde, notamment à travers l’«Initiative pour le développement mondial» et l«‘Initiative pour la sécurité mondiale», qui font évidemment écho à l’«Initiative de la ceinture et la route».

Un autre exemple emblématique de cet ostracisme hégémonique est le cas de la République islamique d’Iran. Le narratif sur les droits de la femme ou le tohu-bohu autour du nucléaire civil iranien, droit inaliénable inscrit dans le TNP dont la nation islamique est signataire, ne sauraient servir de fil conducteur pour déchiffrer les véritables enjeux derrière l’agressivité de Washington et de ses pays satellites. Si la nation iranienne subit les châtiments impérialistes, c’est principalement à cause de son opposition à une mainmise étrangère sur sa souveraineté. La Révolution iranienne de 1979 en offre la meilleure illustration. Conscient de l’importance de sa position géostratégique en Eurasie, en Asie centrale et au Moyen-Orient, l’Etat perse s’est attaché à assurer la protection de ses ressources pétrolières, tout en conduisant la nation iranienne vers la voie de l’industrialisation dans une panoplie de secteurs économiques, mais aussi sécuritaires, et ce en dépit des sanctions draconiennes dont le pays est l’objet.

Tout aussi révélateur est l’exemple de la Bolivie. Pour l’emblématique Evo Morales, ancien chef d’Etat bolivien, le putsch dont il fut l’objet au lendemain de la présidentielle de novembre 2019 trouve ses racines dans les immenses réserves de lithium dont jouit son pays, qui figurent parmi les plus importantes au monde. Ces réserves d’or blanc, stratégiques à la fois par leur utilité technologique (smartphones, ordinateurs, voitures, intelligence artificielle…) et par leur recyclabilité, Evo Morales les avait non seulement déclarées «ressources stratégiques», mais aussi orientées vers une stratégie d’industrialisation (production de ressources à valeur ajoutée), en faisant notamment appel à l’entreprise allemande ACISA, en plus d’entreprises chinoises déjà présentes dans le Salar d’Uyuni. Or, au moment du coup d’Etat qui l’a évincé du pouvoir, les pressions de l’opposition, appuyée par Washington, l’ont contraint à renoncer aux contrats qu’il avait signés avec la société minière allemande. Cet exemple laisse entrevoir, du reste, que l’Allemagne avait bel et bien entamé sa marche nationale vers l’indépendance énergétique – ambition qui, au même titre que le projet Nord Stream 2, a été neutralisée. En tout état de cause, le gouvernement de facto, qui a succédé à Evo Morales à la tête de l’Etat plurinational de Bolivie, s’est délité au bout de seulement un an : ce qui a ouvert la voie à un retour triomphal de Morales dans son pays, après la victoire écrasante de son parti, le MAS, à l’élection présidentielle de novembre 2020, qui a consacré comme nouveau président son ancien ministre de l’Economie.

De la nécessité de réformer la gouvernance mondiale

Cet examen des enjeux de pouvoir permet de comprendre que la majorité écrasante des pays du monde s’accorde sur – et exprime désormais sans peur – la nécessité de fonder un système de gouvernance mondiale qui prenne en compte les intérêts de leurs peuples. Le mode opératoire en vigueur depuis la Seconde Guerre mondiale, qui s’appuie sur des institutions agissant sous l’égide et en faveur de la superpuissance américaine, donne lieu à des protestations de plus en plus farouches de la part du monde non occidental, que «le pain et les jeux» ne savent plus apaiser. Certes, les résistances de l’Occident global à cette évolution inexorable de l’histoire vers une nouvelle architecture mondiale laissent présager des frictions dangereuses, susceptibles d’aboutir à un monde durablement fissuré.

La question de la réforme des institutions internationales n’est pas nouvelle : voilà des décennies que toute une palette d’idées et de mesures ont été proposées par nombre de chefs d’Etat, notamment à la tribune des Nations unies, dans le but d’adapter le système de gouvernance mondial aux revendications des pays émergents et en développement. L’objectif de ces derniers est de se doter, non seulement d’une représentation adéquate au sein des organisations et des institutions financières internationales, mais aussi de garde-fous contre l’arbitraire des décisions interventionnistes qui sapent impunément les intérêts de leurs peuples. Le mépris récurrent que ces pays se sont vu opposer par les puissances occidentales hégémoniques les ont naturellement conduits à concevoir leur propre modèle de gouvernance, dont l’OCS et les BRICS sont aujourd’hui les volets phares.

Formule d’abord sécuritaire, essentiellement cantonnée à l’Asie centrale après-URSS, l’Organisation de coopération de Shanghai (OCS) a progressivement étendu ses attributions pour devenir l’une des organisations les plus influentes au monde en matière de développement économique et sécuritaire. Reflet de l’importance géostratégique de l’Eurasie, un accord d’entente a été signé en 2021, à Douchanbé, entre cette organisation, l’OCS, et les principaux mécanismes régionaux du futur que sont l’Initiative chinoise La Ceinture et la Route (BRI), l’Union économique eurasiatique (EAEU), ainsi que l’ASEAN. La présence de la Russie, de la Chine, de l’Inde et de l’Iran, ainsi que des dénommés «-stans» d’Asie centrale dans ce bloc eurasiatique, informe assez précisément de son importance géostratégique et géoéconomique capitale.

Quant au bloc des BRICS, fondé en 2009 par un petit groupe de pays en forte croissance économique, dits «pays émergents», et rejoint une année plus tard par l’Afrique du Sud, il ambitionne d’intégrer de nouveaux pôles de pouvoir en son sein, tels que l’Argentine, l’Algérie, l’Arabie Saoudite, voire l’Iran, la Turquie et les Emirats arabes unis. Outre le renforcement des coopérations en matière de développement économique, diplomatique et sécuritaire, ces deux blocs ne cachent pas leur ambition d’établir, et de faire fusionner entre eux de nouveaux moyens d’échange qui permettraient à leurs membres respectifs de contourner les sanctions qui privent, aujourd’hui, une partie d’entre eux du droit de recourir au système SWIFT, et donc à la monnaie hégémonique qu’est le dollar américain. L’importance économique, démographique et géostratégique des pays concernés, ainsi que l’appui dont ils bénéficient de la part des plus grandes puissances émergentes, telles que la Russie et la Chine, réduit à néant les mesures coercitives imposées à l’encontre de l’un ou l’autre d’entre eux par les puissances occidentales. Or, c’est cela même que le bloc occidental semble déterminé à ne pas accepter.

Le gel des actifs étatiques des «Etats rebelles», qui fut évoqué plus haut, est suivi aujourd’hui, dans certains cas, du libre usage de leurs actifs par les Etats-Unis, au mépris de tout droit international. Entre autres «Etats dissidents» ont pâti de ces expériences malheureuses l’Afghanistan, la Libye, l’Iran, le Venezuela… Et c’est au tour, aujourd’hui, de la Russie d’en faire les frais. Comment s’étonner, dès lors, des tentatives de renoncement au dollar comme monnaie internationale de réserve et d’échanges par les pays visés ? L’exemple que viennent tout juste de donner le Brésil, l’Argentine et le Venezuela, en émettant leur souhait d’adopter une monnaie d’échange commune, alternative au dollar américain, revêt une dimension historique. Soumis au concept d’extra-territorialité, et vidé, par conséquent, de toute fiabilité, le dollar américain est devenu une monnaie de chantage. Cet état de fait est la justification même des mécanismes d’échange, d’ores et déjà en vigueur, entre la Russie et ses partenaires clés, tels que la Chine, l’Inde, la Turquie ou l’Iran, qui leur permet d’effectuer des échanges commerciaux dans leur monnaie propre, notamment pour l’achat et la vente de ressources énergétiques – ce qui est révolutionnaire. Il en ressort que la suprématie du dollar dans les échanges internationaux semble, plus que jamais, compromise. Il n’aura échappé à personne que l’Arabie Saoudite, qui paraissait un satellite américain sempiternel, a fait récemment part de sa disposition à accepter partiellement le yuan pour le règlement de ses exportations de pétrole. Autant dire que Washington et ses pays satellites se sont tiré une balle dans le pied.

Dans ce contexte, plus clair que la lune, il importe de bien se rendre compte que, sans les médias mainstream qui opèrent au service de l’hégémonie états-unienne, c’est-à-dire sans la manipulation de l’opinion publique mondiale, tous les outrages ci-dessus énumérés ne sauraient avoir lieu. Répondant aux questions d’Hector Bernardo, le philosophe mexicain Fernando Buen Abad détaille les ressorts de la guerre médiatique enclenchée par l’Empire hégémonique contre les peuples latino-américains : «En Amérique latine, il existe des bases militaires et des bases médiatiques. Les bases médiatiques présentent plusieurs avantages par rapport aux secondes. Elles ont une plus grande capacité d’articulation, plus rapide, et de manière omniprésente. Un commentaire diffamatoire est diffusé au Venezuela, puis, le matin même, une station de radio d’un quartier de Buenos Aires le répète, établissant ainsi l’ordre du jour sur le territoire, et ce au moment même où le groupe Prisa en Espagne reproduit la même histoire à Madrid, CNN aux Etats-Unis, Televisa au Mexique, et Clarin en Argentine. En d’autres termes, il y a la vitesse et le synchronisme, ce qui relève fondamentalement d’une stratégie militaire. Il y a une lutte territoriale en même temps qu’il y a une lutte sémantique.»

Cet exemple, accessoirement focalisé sur l’Amérique latine, permet cependant de comprendre que les médias mainstream disposent de relais dans tous les recoins du monde, qui sont prêts à dupliquer leur narratif à l’infini afin d’imposer à l’opinion, au moyen d’une rhétorique et d’images partiales et partielles, la stratégie impérialiste. Ceci renvoie donc à l’importance de l’opinion publique, sans l’adhésion de laquelle aucune action publique ne pourrait avoir lieu. Or, il est manifeste que le monde occidental est en train de perdre cette opinion dans des régions qu’il a traditionnellement dominées, tant en Amérique latine qu’en Afrique ou au Moyen-Orient. Si, à terme, ce bloc occidental devait perdre aussi l’opinion occidentale, alors la bataille de la domination hégémonique serait, elle aussi, bel et bien perdue. Cette réalité, les dirigeants occidentaux ne l’ignorent pas, puisqu’ils s’attèlent en ce moment-même à imposer une censure brutale et totale des médias offrant une autre version de l’histoire que celle que véhiculent les officines médiatiques agissant sous leur égide. L’organisation récente de la conférence européenne relative à la menace que représente la désinformation au sein de l’UE témoigne de cette inquiétude de perdre l’ascendant sur l’opinion publique occidentale.

Pour conclure, l’évocation de ces questions économiques, monétaires et médiatiques renvoie à une réalité dont il faut prendre toute la mesure : les intérêts publics ont été sacrifiés au profit d’intérêts privés, à tel point que ces intérêts privés ont pris l’ascendant sur les Etats dans tous les territoires inféodés aux intérêts occidentaux. Il convient, par conséquent, de ne pas oublier que la lutte géopolitique mondiale à laquelle nous assistons aujourd’hui vise à restituer la place de l’Etat, c’est-à-dire de la politique au sens noble du terme, dans la vie des citoyens. Un homme politique responsable se doit d’être un homme politique agissant, dans l’intérêt de son peuple.

En définitive, qu’est l’histoire, sinon un corps universel qui garde la mémoire des blessures ? A ce titre, et en dépit de ses défauts structurels, la tribune de l’Assemblée générale des Nations unies aura tout au moins permis d’être «la bouche des malheurs qui n’ont pas de bouche», grâce à des hommes politiques dont il faudra un jour glorifier le courage épique pour avoir osé marteler, dans un contexte où le rapport de force leur était éminemment défavorable, la voix des peuples martyrisés. Aujourd’hui que les équilibres mondiaux connaissent des ajustements structurels irréversibles, la politique de l’autruche des pays occidentaux nous pousse à nous interroger de manière sérieuse : jusqu’où est prêt à aller l’Empire américain en perte de vitesse pour maintenir sa domination hégémonique sur le monde, alors même que les rapports de force sont indéniablement en train de changer sous nos yeux ?

L. E.-H.

(*) Lama El-Horr est franco-libanaise, diplômée de London School of Economics and Political Science (LSE) et de l’université de Paris-Sorbonne.

Comment (4)

    Amin99
    9 février 2023 - 23 h 49 min

    Très bel article très bien documenté, tout est résumé. Le monde change, les peuples s’emancipent alors que l’occident fait l’autruche, s’accroche à ses prérogatives, persiste à vouloir imposer par la force, les sanctions et l’extraterritorialité de ses lois une omnipotence révolue. Le vote de refus de sanctions contre la Russie par l’ecrasente majorité des pays du monde résume à lui seul ce que le monde pense du piège tendu par les États-Unis et ses alliés à ce pays et aux autres pays qui l’ont précédé. Le mensonge ne passe plus, il est temps d’ouvrir les yeux.

      Elephant Man
      10 février 2023 - 17 h 02 min

      @Amin99
      Excellent commentaire.
      Le monde unipolaire est cuit depuis longtemps.

    Luca
    9 février 2023 - 19 h 53 min

    Mais parce qu’ils ne supportent pas de se voir devancer,…les occidentaux sont des gens amoindris. Il n’y a aucune crainte à avoir venant d’eux à partir du moment où l’on sait qu’ils sont malades d’eux même. Il faudra les aider et oublier de riposter bêtement, oui c’est dur mais c’est comme cela qu’on va créer une terre dans cette terre , une croyance en dieu de la vie, en dieu tout simplement, et non pas en un piteux amir del khorota qui malgré toute les magouilles n’a pas su faire gagner son équipe contre un pauvre pays de france

    Brahms
    9 février 2023 - 18 h 23 min

    Réunion des pays surendettés, ils croulent sous les dettes et ne savent plus comment faire ?

    Leurs solutions : Organisez des complots en AFRIQUE pour soutirer les richesses des pays africains en mettant en place des pantins inféodés à leur système comme le Roi du Maroc.

    Voilà ce qui vous pend au nez.

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