Echec collectif

rassemblement Aboubakar Cissé
Rassemblement à Paris suite à l'assassinat d'Aboubakar Cissé. D. R.

Par A. Boumezrag – Il est fascinant de constater qu’aujourd’hui, dans un monde qui se veut globalisé, éclairé et plus que jamais connecté, l’histoire continue de nous échapper. Comme le disait Malcolm X, «l’ignorance de l’histoire est notre pire ennemie». Et force est de constater qu’il n’a jamais été aussi pertinent, notamment dans le contexte des débats sociaux et politiques qui secouent la France en 2025. On pourrait presque dire que si l’histoire était une matière scolaire, la France aurait raté son examen avec mention «échec collectif».

La révolte populaire en France, alimentée par des tensions sociales croissantes et des fractures historiques profondes, nous ramène toujours à la même question : pourquoi ? Pourquoi cette violence, pourquoi ces incompréhensions, pourquoi cette peur irrationnelle de l’islam, de l’immigration, de l’autre ? Pourquoi ne parvenons-nous pas à sortir du cercle vicieux des stéréotypes et des préjugés qui gangrènent le tissu social ?

Peut-être tout simplement parce que la France refuse d’ouvrir les livres d’histoire. Pas seulement celle qui parle des rois et des batailles, mais celle qui raconte les cicatrices laissées par la colonisation. L’histoire qui nous explique comment des peuples ont été réduits à l’état d’objets de domination et comment, après avoir été pillés et écrasés, ces peuples se sont retrouvés dans un monde qui les voyait non pas comme des égaux, mais comme des réservoirs d’exploités.

L’ignorance de cette histoire-là nous poursuit, car elle ne fait pas partie des récits glorieux que l’on aime transmettre aux jeunes générations. On préfère célébrer la grandeur de la République tout en éludant les pages sombres de la colonisation, de l’exploitation et des injustices subies par des millions d’individus, notamment en Afrique du Nord. C’est cette amnésie collective qui façonne une grande partie des tensions actuelles.

Prenons un exemple récent pour illustrer cette ignorance historique qui continue à définir notre rapport à l’islam et aux immigrés. Le meurtre tragique d’un jeune Malien en pleine prière dans une mosquée, à La Grand-Combe, a ravivé les blessures du passé. Il serait naïf de croire que la question de l’islam en France est déconnectée de l’histoire coloniale.

Les discours populistes et les généralisations sur la religion musulmane ne font qu’amplifier cette peur irrationnelle, tout en occultant un fait : la France a été construite, en grande partie, grâce à l’exploitation coloniale, et une part de cette histoire persiste dans les relations avec les descendants des peuples colonisés. Ignorer ce passé, c’est ne pas comprendre les racines profondes de l’immigration et des tensions sociales.

Les autorités françaises jouent un jeu dangereux, celui de prétendre qu’il suffira de multiplier les lois et les discours pour résoudre des problèmes qui, à leur racine, sont structurels. L’islam n’est pas une menace en soi, mais l’incapacité à comprendre le passé, à voir comment des communautés entières ont été déracinées, opprimées et souvent laissées à l’écart de la société française, voilà le vrai problème.

Ne nous y trompons pas : l’ignorance de l’histoire n’est pas innocente. Elle est la meilleure alliée des discours de division. En ne revisitant jamais le passé colonial, en effaçant les mémoires de ceux qui ont souffert, on condamne une grande partie de la population à être vue comme l’autre, comme une menace, comme une entité étrangère. Chaque attentat, chaque acte de violence, chaque discours de haine devient une occasion en or pour entretenir cette peur, pour semer cette désunion.

Et au fond, quel est le résultat ? Une société fracturée, divisée, où les jeunes issus des quartiers populaires ne se sentent ni Français ni respectés, et où les discours de haine se nourrissent d’ignorance et de stéréotypes. C’est ce qu’on appelle un cercle vicieux. L’histoire est comme un miroir : soit on l’observe pour comprendre et avancer, soit on préfère détourner les yeux, jusqu’à ce que l’image devienne trop déformée pour être reconnue.

Alors que faire ? Continuer à rejeter l’islam comme un problème sans s’attaquer aux racines de la question, ou enfin commencer à regarder l’histoire dans les yeux, avec toute sa complexité, ses douleurs et ses ambiguïtés ? Malcolm X avait raison, l’ignorance de l’histoire est l’obstacle majeur à la réconciliation. Une réconciliation qui ne peut se faire qu’en regardant le passé en face, en acceptant d’entendre les voix des victimes du colonialisme, en comprenant que les fractures sociales actuelles ne sont pas des anomalies, mais des héritages directs d’un passé de violence et de domination.

Au lieu de donner des leçons sur l’intégration et la laïcité, il est temps que la France se réconcilie avec son histoire. Le vrai défi n’est pas d’imposer des valeurs, mais d’apprendre à vivre ensemble dans une société inclusive, qui ne se contente pas de tolérer l’autre, mais qui l’accepte dans sa pleine humanité. Il est temps de reconnaître que l’islam de France n’est pas une menace, mais une réalité complexe qu’il est nécessaire de comprendre, pour mieux vivre ensemble.

Malcolm X nous invitait à ne pas vivre dans l’ignorance de l’histoire. Peut-être qu’en 2025, nous devrions commencer à l’écouter. Parce qu’il est clair que tant que l’histoire sera ignorée, le cercle des incompréhensions se perpétuera, et la France continuera à se chercher dans un miroir déformé, incapable de voir l’autre dans toute sa diversité et sa dignité.

Face à la violence et à la méfiance grandissante qui marquent les relations entre les communautés en France, il est devenu urgent de remettre l’histoire au centre du débat. Malcolm X l’a bien dit : l’ignorance de l’histoire est notre pire ennemie. Cette ignorance engendre des stéréotypes, alimente la peur et la division, et empêche toute possibilité de réconciliation véritable. Tant que nous continuerons à fuir les réalités complexes du passé colonial et à ignorer les racines sociales profondes des tensions actuelles, nous resterons pris dans un cycle infernal de malentendus et d’injustices.

La véritable question n’est pas de savoir si l’islam en France est un problème, mais comment comprendre ses dimensions profondes, comment reconnaître sa place légitime dans une société républicaine qui se veut inclusive. Repenser l’histoire, c’est également repenser la manière dont nous vivons ensemble. Il est grand temps de regarder cette réalité en face et d’accepter que pour avancer, nous devons d’abord reconnaître nos erreurs, apprendre de notre passé, et, surtout, ouvrir le dialogue.

Citation pour conclure : «L’histoire n’est pas là pour nous juger, mais pour nous enseigner.» Cette citation de Frantz Fanon, penseur de la décolonisation, résonne comme un appel à l’introspection collective. L’histoire, aussi douloureuse soit-elle, a beaucoup à nous apprendre. Mais encore faut-il que nous soyons prêts à l’écouter.

A. B.

Comment (3)

    Mohamed El Maadi
    29 avril 2025 - 10 h 54 min

    (…)
    Derrière les discours creux sur la mémoire et l’intégration se cache une vérité brutale : la France souffre d’une pathologie raciale chronique. Le massacre des Algériens en 1961, jetés dans la Seine comme des déchets par ceux-là mêmes qui, quinze ans plus tôt, leur devaient en partie leur libération, n’était pas un accident de l’histoire. Il révélait la nature profonde d’un système où la blanchité règne en maîtresse absolue.

    Cette France qui se gargarise de ses valeurs universelles n’a jamais digéré sa propre noirceur. Les corps musulmans d’hier, sacrifiés dans les eaux glacées de la Seine, sont les mêmes qu’on assassine aujourd’hui dans les mosquées. La continuité est parfaite, seule la mise en scène change. Le meurtre du jeune Malien à La Grand-Combe n’est que le dernier acte d’une tragédie séculaire.

    Les élites blanches, retranchées dans leurs forteresses institutionnelles, perpétuent un apartheid qui ne dit pas son nom. Leurs discours sur l’intégration masquent à peine leur obsession : maintenir leur domination raciale tout en se drapant dans les oripeaux de la République. Cette hypocrisie systémique empoisonne chaque strate de la société française.

    L’entre-soi des grandes écoles, de la haute administration et des cercles de pouvoir n’est pas le fruit du hasard. C’est l’expression d’une volonté farouche de préserver la blanchité comme seul étalon de la réussite et de la légitimité sociale. Les rares « diversités » admises dans ce club fermé ne sont que les alibis d’un système profondément raciste.

    Les institutions françaises ne sont pas dysfonctionnelles – elles fonctionnent exactement comme prévu. Leur rôle est de perpétuer une hiérarchie raciale tout en la niant, de maintenir les corps non-blancs dans une position subalterne tout en célébrant une égalité fictive. Cette schizophrénie institutionnalisée est le véritable cancer de la République.

    La devise « Liberté, Égalité, Fraternité » résonne comme une sinistre plaisanterie dans un pays où la couleur de peau détermine encore largement le destin social. Les valeurs républicaines sont devenues le cache-sexe d’une domination raciale qui n’a jamais cessé depuis l’époque coloniale.

    Le problème n’est pas l’ignorance de l’histoire – c’est le refus obstiné de reconnaître que la France s’est construite sur une suprématie blanche qu’elle continue de chérir en secret. Les tensions autour de l’islam ne sont que la partie émergée d’un iceberg de haine raciale institutionnalisée.

    La réconciliation nationale tant vantée est impossible sans une purge radicale des structures de pouvoir. Il ne s’agit pas de « diversifier » les élites mais de démanteler un système qui fait de la blanchité le critère ultime de l’appartenance à la nation. Sans cette révolution, la France restera ce qu’elle est : une prison raciale qui se prend pour une République.

    Ghedia
    29 avril 2025 - 9 h 33 min

    En effet, il est très important de ne pas négliger son passé, son histoire. Beaucoup de penseurs, d’historiens, de littéraires ou tout simplement d’hommes politiques ont disserté sur cette question. Et puisqu’on en est à user de sentences de ce genre, en voici une autre. Elle est de Winston Churchill : celui qui oublie son passé est condamné à le revivre.

    Abou Stroff
    29 avril 2025 - 7 h 11 min

    « Citation pour conclure : «L’histoire n’est pas là pour nous juger, mais pour nous enseigner.» Cette citation de Frantz Fanon, penseur de la décolonisation, résonne comme un appel à l’introspection collective. L’histoire, aussi douloureuse soit-elle, a beaucoup à nous apprendre. Mais encore faut-il que nous soyons prêts à l’écouter. » conclut A. B..

    je ne m’attarderai pas sur les questions: « pourquoi ? Pourquoi cette violence, pourquoi ces incompréhensions, pourquoi cette peur irrationnelle de l’islam, de l’immigration, de l’autre ? Pourquoi ne parvenons-nous pas à sortir du cercle vicieux des stéréotypes et des préjugés qui gangrènent le tissu social ? »

    car je considère que les réponses à ces questions se trouvent dans le mode de gestion d’un capitalisme décadent qui a besoin, pour se reproduire en tant que système, de désigner à la plèbe un bouc émissaire facile à identifier (l’arabe et/ou le musulman) comme cause de toutes les misères du monde, pour que cette dernière (i. e. la plèbe) ne réalise pas que la cause principale de toutes ses misères est un système, i. e. le système capitaliste dont la reproduction repose uniquement sur l’exploitation et l’asservissement de couches sociales (quelle que soit leur religion) dont la seule caractéristique est de n’avoir que leur force de travail à vendre (à louer?).

    par contre, je m’interroge sur le silence assourdissant des élites musulmanes qui n’opèrent aucune analyse sur la convergence d’intérêts entre l’impérialisme (i. e. un colonialisme modernisé), le sionisme (une idéologie coloniale qui ne dit pas son nom) et l’islamisme (une idéologie mortifère) qui donne du grain à moudre à tous ceux qui exècrent, d’un manière ou d’une autre, la religion musulmane.

    en termes crus, je pense que, si l’islam-bashing est à le mode dans la plupart des sociétés non-musulmanes, c’est, en grande partie à cause de la vermine islamiste qui entend islamiser, bessif, le monde dans son entièreté.

    moralité de l’histoire: si nous acceptons l’hypothèse que l’impérialisme, le sionisme et l’islamisme ont des intérêts convergents, pour ne pas dire identiques, commençons par proposer une critique radicale de l’islamisme pour nous prémunir des attaques récurrentes de l’impérialisme et du sionisme à l’égard des musulmans lambda qui n’ont d’autre but que d’adorer leur Dieu, point barre.

    wa el fahem yefhem

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