L’imam de la Mosquée Al-Aqsa à Algeriepatriotique : «Tout ce qu’a écrit Sayyid Qutb est mensonge» (I)
Algeriepatriotique : La Palestine est tiraillée entre deux partis rivaux – le Hamas et le Fatah – avant même de s’assurer la victoire sur l’ennemi sioniste. Quelles sont, à votre avis, les causes de ce schisme ? Sont-elles religieuses ou purement politiques ?
Cheikh Salah-Eddine : La raison de ce malheur dans lequel ils sont plongés n’est ni religieuse ni politique, elle relève plutôt de la course vers le bien-être dans la vie d’ici-bas. Si l’un des deux camps avait cédé, les choses n’en seraient pas arrivées là. A l’époque de Hassan et Muawiya, quand le premier eut décidé de vouer sa vie pour l’au-delà et de céder le pouvoir, pour donner une leçon à l’autre qui lui en voulait tant, le drame commença à partir du moment où celui-ci refusa tout conseil. Dieu veut de nous que nous préférions toujours de nous consacrer à l’au-delà, au jour du Jugement dernier, mais ceci ne nous obligerait pas à vendre la vie d’ici-bas pour l’au-delà. Nous devons suivre l’exemple de notre Prophète (QSSSL) sur ce sujet.
La guerre qui fait rage actuellement en Syrie est indirectement dirigée contre la cause palestinienne, dans le sens où elle contribue à l’affaiblissement d’un Etat hostile à Israël (comme l’atteste le dernier raid israélien). Comment l’issue de cette guerre va-t-elle influer sur le rapport des forces dans la région, dans le cas où l’Occident réussit à implanter un régime pro-israélien dans ce pays ?
La situation que traverse la oumma nous interpelle aujourd’hui, de la Tunisie à la Syrie, et même au-delà. Il n’est pas de doute que ce n’est pas ce que les musulmans souhaiteraient voir ou vivre. Tous les croyants doivent savoir que leurs ennemis cherchent à détruire leur vie, leur religion et leurs patries ; s’ils persistent toujours à accepter leurs ennemis et à leur faire confiance, ils seront les premiers à en payer le prix.
Cette question nous renvoie à la situation qui a découlé de la chute des régimes dictatoriaux de Moubarak et de Benali. L’Occident a-t-il, à votre avis, pris le train en marche spontanément ou a-t-il tout fomenté en amont pour ramener les Frères musulmans au pouvoir ? Auquel cas, qu’espérerait-il gagner ?
Je ne peux admettre que ce qui s’est passé en Tunisie ait été spontané. J’accuse toujours les ennemis des musulmans et tous les hypocrites qui étaient avec eux. Ce qu’a fait une chaîne de télévision comme Al Jazeera est, pour moi, un travail combiné. La chose était loin d’être spontanée ou fortuite. Le résultat est que deux ou trois ans plus tard, la même propension au despotisme a été reconduite. Vous savez, les gouverneurs sont à l’image de ceux qu’ils gouvernent, comme le dit clairement un hadith célèbre du Prophète (QSSSL) ; la grande masse des musulmans étant de nature «despotique» envers Dieu et envers la religion. Un vrai croyant ne peut lancer ces accusations contre autrui, parce que lui-même n’en est pas exempt. Les Tunisiens, après avoir dégommé leur président, n’en sont pas dans un meilleur état aujourd’hui. C’est la preuve que leur leader n’était pas l’incarnation du mal. La situation, d’après ce que je sais, est pire qu’avant. Qu’est-ce qui a bien changé depuis l’arrivée de ces «cavaliers le jour et prêtres la nuit» – je veux dire les Frères musulmans ? Il est clair que la situation est très différente de ce qu’avait prédit Al Jazeera et les hypocrites. Je le répète, pour ce qui concerne les «gouverneurs despotes», Dieu a toujours puni les peuples désobéissants, infidèles, par des rois tyranniques qui leur infligent les pires souffrances. Notre oumma ne peut aujourd’hui se plaindre de la tyrannie d’un de ses gouverneurs, parce qu’elle-même a désobéi à la volonté de Dieu, à l’échelle individuelle ou collective… Vous pouvez répéter votre question, s’il vous plaît !
Ma question était : l’Occident a-t-il pris le train en marche ou a-t-il tout orchestré en amont ? Et qu’espérerait-il gagner en imposant les Frères musulmans au pouvoir ?
Très bien. D’abord, tout le monde avait entendu parler de ce que les Croisés maniganceraient pour nos pays : leur projet de «chaos constructif» ou du «Grand Moyen-Orient». Je ne crois pas du tout qu’ils aient pris le train en marche, ce sont eux qui ont tout combiné. Tout ce qu’ils ont fait est qu’ils ont attendu le moment propice, le moment où l’étincelle va s’allumer. Je n’ai pas besoin de trop m’étaler sur la question pour m’en convaincre, et les preuves sur leur conspiration sont légion. Quant à votre question de savoir ce qu’ils gagneraient à vouloir asseoir les Frères musulmans sur le trône, je dirais qu’ils en tireraient plusieurs profits : d’abord dompter ce «lion boiteux» que sont les Frères musulmans et les intégrer dans une alliance avec l’Occident et les Croisés. Deuxième intérêt : montrer l’«islam de pouvoir», ou ce qu’ils appellent l’islam politique, dans une mauvaise posture. Comme vous voyez, les Frères musulmans n’ont réussi ni en Tunisie ni en Egypte et je ne crois pas qu’ils puissent réussir où qu’ils soient. Ghaza aurait pu être le premier exemple de réussite, or, là, c’est un cas différent, parce qu’ils sont opprimés et tous les musulmans sont avec eux. Les Frères musulmans auraient mieux fait de réussir leur règne en Egypte, pays plus important du point de vue démographique et économique. Ils auraient dû tenir les engagements qu’ils avaient pris avec les croyants, mais il s’est avéré que les Croisés savaient de quoi ces Frères étaient réellement capables, alors, ils les ont propulsés pour montrer aux gens, à nous, que ce que prétendaient les «islamistes» n’était pas juste et qu’il n’était pas bon, finalement, pour les gens d’être gouvernés par ces musulmans. Mon sentiment est que c’était là un piège qui leur avait été tendu par les Croisés. C’est pourquoi mon devoir, aujourd’hui, est de prévenir l’ensemble des musulmans et de leur dire que vous avez le choix entre deux choses : vous inspirer des préceptes du Coran et de l’œuvre du Prophète (QSSSL), ou suivre les élucubrations d’un homme comme Sayyid (Qutb). J’ai lu qu’un musulman chinois est parti combattre en Syrie – pas en Chine, ni au Japon, par exemple –, parce que guidé par les écrits de Sayyid Qutb ! Or, tout ce qu’a écrit Sayyid est mensonge. Le Livre saint nous recommande d’obéir à celui qui est destiné à nous gouverner, jusqu’à ce que Dieu en décide autrement. Car seul Lui peut élire parmi Ses sujets celui qu’Il fera roi d’une communauté ou le détrôner. Il aurait pu introniser les prophètes qu’Il avait envoyés et les doter de tous les pouvoirs. Mais ces discours des Frères musulmans et de tous ces partis qui prétendent être les continuateurs de l’islam ne sont que des élucubrations qui ont entraîné les musulmans vers l’abîme…
Des muphtis et des sectes de diverses obédiences sont apparus dans le monde arabe, pour appeler à prendre les armes et combattre, au nom du djihad, tous ceux qui ne suivent pas leur pensée et ne se soumettent pas à leur diktat. Comment expliqueriez-vous cette fausse interprétation du djihad ?
Avant d’expliquer cette fausse interprétation, il nous faut revenir à notre première idée : c’est que la légitimation de la conquête du pouvoir pour les musulmans n’est pas juste. Le premier à avoir initié ce dogme totalement faux était Sayyid Qutb, lequel avait ouvert la voie à cette façon non moins fausse de départager les hommes entre croyants et impies. Le Prophète (QSSSL) nous a prévenus contre les semblables de cet imposteur, contre ces gens qui prétendent s’en référer au Coran pour imposer leur loi, or, ils en sont les ennemis. Maintenant que Ghannouchi a pris le pouvoir en Tunisie, qu’y a-t-il de changé ? Morsi a pris le pouvoir en Egypte, qu’est-ce qui a changé ? Rien, absolument rien ! Ou peut-être les choses ont changé vers le pire. Ils se présentent avec une religion interprétée à leur manière, en instituant le meurtre d’un musulman par un autre musulman, chose qui ne figure ni dans le Coran ni dans les hadiths du Prophète (QSSSL). Ils répètent, après Sayyid Qutb, qu’ils sont là pour «rendre à Dieu son trône» qui lui aurait été spolié, «fut-ce par les crânes des musulmans». Tout cela c’est de la pure hérésie. Les Frères, les Ghannouchi, je le répète, n’ont rien à avoir avec la parole de Dieu, ni avec les enseignements des prophètes. Al-Qaradawi et consorts doivent méditer l’histoire du prophète Nouh (Noé), qui, tout au long de sa vie qui dura 950 ans, ne s’est jamais plaint de n’avoir pas été fait roi…
Vous venez de citer Al-Qaradawi… Cet homme a incité ouvertement au meurtre, en décrétant des fatwas déclarant licite le sang des musulmans, en Syrie, et, avant cela, en Algérie. Ne faudrait-il pas penser à le condamner pour ce qu’il a commis. Pourquoi personne n’a jamais essayé de lui riposter, en appliquant sur lui la loi du Talion conformément à la charia ?
C’est son cas, précisément, lorsqu’il a appelé à tuer Kadhafi. Cet appel au meurtre appelle effectivement l’application de la loi du Talion. Mais cela ne peut se faire que s’il est établi que le tueur a expressément exécuté l’ordre d’Al-Qaradawi. Car dans ce cas de figure, Al-Qaradawi peut donner une autre interprétation, en justifiant par exemple qu’il aurait voulu défendre les opprimés et appeler à tuer les oppresseurs. Mais la moindre des sanctions qui doive être rendue contre cet homme c’est de l’excommunier et l’isoler des musulmans. De toutes les façons, seul un gouverneur musulman a le droit d’ordonner un châtiment suprême contre lui, et je sais que certains dirigeants musulmans leur en voudraient tant, lui et les Frères, pour le mal et la discorde qu’ils sont en train de semer. L’irrévérence de cet homme vis-à-vis de Dieu et des prophètes n’a pas d’égale, nous prions Dieu qu’Il montre cet homme sous son vrai visage d’homme licencieux et qu’il rende justice à notre religion qu’il a souillée.
A votre avis, l’extrémisme religieux est-il la conséquence d’une mauvaise interprétation du Coran et de son fondement ou bien d’une manipulation délibérée de son texte à l’effet de ternir l’image de l’islam, et le montrer à la fois comme une religion violente et archaïque, et non comme une religion de communion et de progrès ?
D’abord, si vous me permettez de faire une remarque, ce terme «extrémisme» est un terme inventé par nos ennemis, que nous reprenons après eux, inconsciemment et sans discernement. C’est le cas également des mots terrorisme et terroristes. J’ai déjà donné mon avis là-dessus, en disant que cela ne doit pas s’appliquer sur nous, parce que le terrorisme peut être juste ou injuste, exactement comme le meurtre, tel que c’est expliqué dans le Coran. S’agissant de ce concept de tattaruf, étymologiquement parlant, cela n’a aucun sens dans l’islam, sauf s’il signifie «aller jusqu’au bout de son énergie» pour adorer Dieu ou son Prophète (QSSSL).
Interview réalisée par M. Aït Amara
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