Fixation d’un seuil au baccalauréat : j’ai honte, mon fils

Mon fils, sache que ce n’est pas de ta faute.

Mon fils, sache que ce n’est pas de ta faute.
La déliquescence de la société algérienne, ajoutez à cela la lâcheté de «l’élite» algérienne depuis l’avènement du siècle du matérialisme (avant on parlait du Siècle des lumières), a fait de toi un suiviste et un aveugle de première classe. Hélas !, et mille fois hélas !, les mentalités ont changé. Lorsque j’ai passé mon baccalauréat en 1982, je ne connaissais point de âtaba (seuil), on avait un programme et à nous de le terminer. A cette époque-là, le métier d’enseignant était un métier noble : nos enseignants ne connaissaient pas de cours privés et faisaient tout pour que leurs classes aient le meilleur taux de réussite et la meilleure moyenne de tous à ce noble examen ! A cette époque on n’avait pas de 20 sur 20 à l’épreuve de philosophie ni de dispense en langue française.
J’ai honte, mon fils.
J’ai honte, mon fils, car aujourd’hui tu demandes ce qui ne t’appartient pas et sans faire d’efforts. J’ai honte, mon fils, car tu accéderas à l’université sans aucune base et avec des connaissances très réduites qui se répercuteront sur la qualité de ton diplôme. Dois-je accepter d’être soigné par un médecin analphabète ? Dois-je confier tes enfants (mes petits-fils) à des enseignants analphabètes et malformés ? L’accepteras-tu ? Accepteras-tu que je les confie à un chirurgien-dentiste ignorant ? Mon fils, ton père n’a jamais demandé ce qu’il ne lui appartient pas et sans l’avoir gagné à la sueur de son front. Tu demandes le «seuil» et je t’ai dit que c’est une honte et surtout quand tu le fais au mois de novembre ou février !
Vos enseignants (pas tous) sont occupés beaucoup plus à se faire de l’argent qu’à prodiguer du savoir et l’éducation. Faites du commerce si vous aimez l’argent, mais pas le métier noble que celui d’enseignant. Mon fils, sache, et cela me fait très mal au cœur, que tu ne pourras jamais rattraper le retard de cette année généré par la grève de chefs de syndicat pour des raisons personnelles et non professionnelles. Je suis professeur et je sais de quoi je parle. En mathématiques, tu es encore à la définition des nombres complexes alors que tu n’as pas encore touché aux suites numériques, à l’analyse combinatoire, ni aux probabilités et encore moins aux statistiques et que dira-t-on des intégrales et de calcul de surfaces ! Au moment où je te parle, tu n’as pas encore étudié les transformations ponctuelles. Mon Dieu, où allons-nous ? Que faisons-nous ? Sommes-nous conscients ? Pourquoi cette lâcheté ? Les parents d’élèves sont contents de cette mascarade et me disent «pourvu que mon fils ait son bac» ! Des enseignants qui refusent de suivre des formations et qui demandent à être payés sans travailler : ils font grève et refusent la ponction sur salaire, et un gouvernement qui cède pour avoir la paix sociale ! C’est un crime. Où va l’Algérie et où allons-nous ?
J’ai honte, mon fils.
Un gouvernement qui refuse la refonte du système éducatif et se plaît dans la médiocrité. Que valent notre bac et nos diplômes sur la scène internationale ? Combien sommes-nous classés à l’échelle mondiale ? Regardez la Corée du Sud, la Finlande… Ouvrez les yeux. Pourquoi refusons-nous le savoir et les compétences ? Le cours de la logique a été supprimé des annales des programmes de l’école algérienne et c’est un crime : l’auteur doit répondre devant qui de droit ! Oui, il n’y a aucun droit, je le sais. Nos enfants et la majorité du peuple algérien ont perdu tout esprit d’analyse et de raisonnement et comment ?
Mon fils, excuse-moi si je n’ai pas pu te donner un enseignement de qualité, car d’abord moi-même c’est grâce à l’Algérie (lorsque les études avaient de la valeur) que j’ai pu faire mes études (merci l’Algérie). Mes parents étaient pauvres, tu le sais bien, et puis j’ai toujours milité pour une école publique et de qualité pour tous. Je n’ai pas quitté ce pays comme l’ont fait d’autres par amour à ma terre et à mes ancêtres que je respecte beaucoup, car c’étaient des hommes résistants et courageux. Ils m’ont légué une terre que je n’abandonnerai pour tout l’or du monde : son odeur est exceptionnelle et quant à toi mon fils sache que je ne te retiendrai pas, fais ta vie comme bon te semble, car l’Algérie est devenue le monde de la belotte où le valet bat le roi. Mesquin. Mon fils, excuse-moi, car j’ai fait de toi une victime croyant faire une lumière et vivre sereinement dans mon pays, un pays de justice et de savoir, mais la réalité est autre : le matérialisme a détruit mon pays, la raison, l’éducation et le savoir ont fui mon pays, mon fils. C’est un monde sauvage.
Pardon, mon fils, mais j’ai honte !
Boualem Aoura
Secrétaire général du Satef

 

Pas de commentaires! Soyez le premier.

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée.