Frontière algéro-marocaine : une barrière en apparence hermétique…
Par Ahmed Belkhodja – La question du franchissement légal de cette frontière révèle de nombreuses contradictions. S’il n’est toujours pas possible de franchir légalement la frontière terrestre, il est, en revanche, aisé d’aller au Maroc depuis l’Algérie et vice-versa via les airs. La route entre Oujda et le nord-ouest de l’Algérie était très fréquentée. Les deux régions frontalières sont très homogènes d’un point de vue linguistique et culturel. Jusqu’en 2013-2014 et la montée des tensions entre Rabat et Alger, n’importe qui pouvait apparemment traverser la frontière, moyennant une contribution financière aux gardes-frontières.
Depuis les évènements de 2014 (manifestations devant l’ambassade algérienne à Rabat, tirs à la frontière), la surveillance aux frontières s’est accrue. Il est devenu impossible de passer la frontière selon les méthodes décrites précédemment. Les personnes décidées à passer de l’autre côté de la frontière doivent revenir à des méthodes plus anciennes, où l’on paye cette fois des passeurs. A Maghnia, dernière ville algérienne avant la frontière le long de l’autoroute, une ambigüité apparaît. Les panneaux indiquent la direction du Maroc, mais démontrent qu’il n’est pas possible de traverser la frontière par voie terrestre. De manière quelque peu déconcertante, l’autoroute, dont la construction a débuté en 2005, s’arrête quelques dizaines de mètres après l’annonce de la frontière.
… Mais ouverte aux échanges transfrontaliers irréguliers
La limitation de la circulation et les événements politiques entre ces deux pays n’ont pourtant pas conduit à la mort économique des échanges de part et d’autre (Bertoncello, 2001). Cette frontière est un axe très emprunté illégalement et clandestinement, et ce, pour plusieurs raisons. Côté marocain, c’est sans conteste l’essence algérienne qui suscite un grand intérêt. Dans l’autre sens, il s’agit cette fois du trafic de cannabis pour lequel le Maroc est un grand producteur dans le monde. Le prix de l’essence est au moins 4 à 6 fois moins élevé en Algérie qu’au Maroc.
Les méthodes utilisées par les trafiquants pour traverser la frontière sont diverses. Les contrebandiers établissent des stratégies bien spécifiques. Au vu des témoignages recueillis, les contrebandiers utilisent des chemins dans les champs et sentiers apparemment pas praticables en véhicule. Cependant, ils ne traversent pas au niveau de Marsa – la ville côtière et frontalière –, mais vont plus au sud, vers les lieux peu surveillés. Ils passent la nuit dans les chemins non éclairés. Depuis que les autorités algériennes ont commencé à construire des tranchées, une nouvelle technique apparaît, celle du transport avec des ânes. Les allers-retours se font la nuit, sauf cas exceptionnel.
Face à l’augmentation du commerce informel de part et d’autre de la frontière, les Etats préfèrent se consacrer davantage à une surveillance au niveau de la frontière qu’à une ouverture de celle-ci. Le Maroc, avec sa construction récente de barrières, a donc une politique de cloisonnement de l’espace, ce qui est défini par Rosière et Ballif comme de la «teichopolitique». Les raisons officielles seraient la lutte contre l’immigration clandestine et la contrebande ainsi que la protection face au terrorisme.
Côté algérien, les arguments avancés par le Maroc ne sont pas compris et sont considérés comme injustifiables. Malgré la situation grave qu’a connue l’Algérie lors de sa «décennie noire» (dans les années 1990), le Maroc n’a absolument pas fortifié sa frontière pour se protéger du terrorisme, plus important lors de cette période. En réponse à la construction de barrières, l’Algérie a donc également entrepris le creusement de tranchées. La situation ne s’améliore guère depuis et tout porte à croire que l’ouverture ne se fera pas prochainement.
A. B.
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