Contribution – Du désordre fécond à la deuxième République

Alg Constitution

Par Mouanis Bekari – La Constitution n’est pas un document immuable. Elle exprime avant tout un état de conscience sociale et politique dans un pays à un moment donné. Mais, en tant que loi organique, elle garantit la pérennité de l’organisation des pouvoirs et ajuste le fonctionnement des institutions quand cela est nécessaire. Il reste qu’elle n’a de valeur que si elle est adossée au contrat souscrit par les corps sociaux et, en dernier ressort, qu’elle en traduise les aspirations. C’est en cela que sa charge symbolique est indépassable dans le corpus des lois.

Quelle est la situation de la Constitution algérienne ?

Le viol quasi routinier de la Constitution de 1996 a gravement abîmé le symbolisme qui fonde sa légitimité. Non que tout en elle soit discrédité mais les dispositions scélérates, prises dans le but notoire de perpétuer un pouvoir honni, inefficace, prédateur et méprisant, ont fini par la représenter en entier et en ont fait un marqueur prégnant de la dislocation de la société algérienne.

La conscience instinctive que les Algériens ont de cette vérité les amène à ne retenir que les dispositions matricielles de la Constitution et singulièrement les articles 7 et 8, et à rejeter tout ce qui a trait à l’organisation des pouvoirs. En cela, ils font preuve d’une lucidité admirable. Car le juridisme affiché par les tenants du respect formel de la Constitution conduit tout droit à la perpétuation du pouvoir actuel sous un nouvel avatar.

A cet égard, il est symptomatique que les dispositions artificieuses imaginées par les pervertisseurs de la Constitution ne les aient pas exonérés de nouveaux subterfuges lorsque l’indignation populaire s’est exprimée à l’annonce de la candidature à un 5e mandat. Alors même que les corruptions successives avaient été conçues pour séquestrer le pouvoir au bénéfice de leurs initiateurs, ces derniers ont été réduits à des procédés qui n’auraient été que grotesques si des complicités actives, au sein des plus hautes institutions de l’Etat et de ses niveaux subalternes, ne les avaient revêtus des oripeaux de la légalité. Contraint par la mégalomanie de l’un et la servilité des autres, le parrainage constitutionnel ne pouvait être invoqué qu’au prix de la forfaiture et du ridicule. C’est ce qui a été fait.

Pour autant, les hérauts de l’application tatillonne de la Constitution ne se recrutent pas seulement parmi ceux qui se sont appliqués à la piétiner cyniquement. D’autres la réclament aussi, sincèrement convaincus que c’est là une occasion de rompre avec les pratiques qui l’ont dégradée, et qu’en adossant les revendications des Algériens à la Constitution on se hausserait au niveau des mœurs d’une démocratie moderne. Qui plus est, puisque la plaie qui a gangréné le corps social puise ses germes dans l’impunité de la déprédation, s’en tenir aux lois, même souillées, contribuerait à purger la société de cette infection.

C’est oublier que, selon l’adage, «on détrousse plus sûrement au coin des lois qu’au coin des bois». Car c’est au nom d’une Constitution outragée par ceux-là mêmes auxquels elle s’imposait au premier chef, puisqu’ils en assuraient la protection, que l’on prétend mener les changements que les Algériens exigent. L’orthopraxie constitutionnelle, jusqu’ici bafouée chaque fois que cela servait les intérêts de ses ennemis, est subitement proclamée ultima ratio et indépassable horizon de la solution à la crise qui bouleverse le pays.

Mais cette prétention fait peu de cas d’une vérité autrement puissante : si la légalité vient d’en haut, la légitimité vient d’en bas. Et les Algériens ne consentent à être gouvernés que si le droit de juger de la conduite de ceux qui les gouvernent leur est reconnu. C’est le message qu’ils répètent depuis onze semaines à ceux qui croient pouvoir s’affranchir de cette loi. Se plier à cet impératif et en organiser la démonstration est la seule issue à la crise.

Piégé par sa disposition intrinsèque à ne promouvoir que l’incompétence et la prédation sauvage, le régime est dans l’incapacité de se renouveler autrement qu’en militant pour une légalité en trompe-l’œil, orchestrée par des manœuvriers sans imagination. Une façade qu’il est le seul à croire en mesure de berner un peuple qui a prouvé en plus de deux mois qu’il avait tout appris et rien oublié.

Le débat sur la sortie de crise au moyen de tout ou partie de la Constitution est donc, à tout le moins, dilatoire et certainement à contre-courant des exigences des Algériens, dont le préalable est de faire reconnaître qu’aucune légalité ne saurait leur être opposée si elle ne procède pas de leur légitimité. Au demeurant, en prenant appui sur les seuls articles matriciels de la Constitution, ceux qui affirment la prééminence de la légitimité du peuple, les conditions de sortie de cette crise trouveront à se déployer dans une légalité affranchie des dispositions scélérates qui polluent la Constitution.

Que faire ? Quelques pistes

D’abord, réparer le lien social en réhabilitant les symboles qui le nourrissent. C’est pourquoi les figures emblématiques de l’abaissement de l’Algérie doivent s’en aller, comme le réclame le peuple.

Cette exigence n’est pas que l’expression du rejet viscéral d’une faction qui a mené le pays au bord de l’explosion après l’avoir saccagé. Elle est également le prélude au retour nécessaire de la vertu dans la vie publique. Car le roman national s’est abondamment nourri des valeurs morales que réclamait la régénérescence de la nation. Les exhortations à la Guerre de libération sont arc-boutées aux références à la probité, la fraternité, la justice et le sacrifice. C’est en convoquant les plus nobles dispositions humaines que le peuple algérien s’est affranchi du colonialisme, après un combat qu’il a hissé au rang de paradigme.

L’inconscient de chaque Algérien est donc empreint du souvenir que la survie de la nation est tributaire de la vertu de ses membres. Or, en dernier lieu, la seule richesse du peuple est la nation. Celle-là même qui a été dévastée par des malfaiteurs qui n’ont eu de cesse de piétiner les vertus qui cimentent le lien entre les Algériens.

C’est là que gît le crime irrémissible qui a fini par soulever le peuple. La réponse des Algériens est cet océan de drapeaux qui pavoisent chacune de leurs marches, parce que l’emblème national est le premier des symboles de la nation. C’est pourquoi les contempteurs de ces symboles doivent s’en aller afin que la vertu redevienne la source de la légitimité. A ce propos, leur obstination à conserver des charges qu’ils ont avilies continûment en dit long sur le mépris qu’ils cultivent à l’égard de l’Algérie, des Algériens et de leurs doléances.

Ensuite, constituer une commission de transition composée de personnalités consensuelles. Cette commission, dont la composition exclura les résidus de l’actuel régime, gagnera l’assentiment du peuple en proposant les dispositions qui fonderont la nouvelle République algérienne. Parmi elles : le renvoi de l’actuel gouvernement et son remplacement par un gouvernement de transition, la dissolution de l’APN et du Conseil constitutionnel.

Il ne fait pas de doute que les Algériens se prononceront sur le programme du gouvernement de transition au moyen du référendum hebdomadaire du vendredi. Faut-il s’inquiéter de la persistance de cette démonstration de démocratie participative ?

Il est communément entendu que pour rendre compte des aspirations des peuples et les prendre en charge, la démocratie représentative convient davantage à la complexité des sociétés modernes que la démocratie participative. Mais, pour ce faire, elle doit s’appuyer sur des institutions fortes, stables et respectées. Tandis que 20 ans de gabegie et de rapine ont corrompu les institutions algériennes et discrédité leurs représentants. L’irruption sur la scène politique d’un peuple dont le pouvoir avait oublié l’existence, rappelle opportunément que la démocratie est d’abord l’expression de la volonté de la nation, et que subvertir les moyens de son expression ne suffit pas à la faire taire. L’effervescence de cette multitude sans nombre est un geyser de créativité, de solidarité, et de redécouverte du sentiment euphorisant d’appartenir à une nation vivante.

Ce désordre fécond est tout le contraire du chaos. Il est la source des magnifiques démonstrations de civisme qui ont subjugué tous les observateurs.

Enfin, élire une Assemblée constituante et adopter par voie référendaire une nouvelle Constitution, dans un délai de six mois, voire d’un an, le temps de pourvoir aux conditions authentiquement démocratiques de leur déroulement, prélude aux élections présidentielle et législatives.

La République vertueuse qui naîtra du bouillonnement en cours devra inscrire dans ses institutions la résilience de ceux que l’on a voulu bannir par le mépris et accabler dans la relégation. Elle devra s’assurer que ses lois, au premier rang desquelles la nouvelle Constitution, témoignent, dans leur esprit autant que dans leurs dispositions, de la volonté d’un peuple qui s’est levé pour exiger que dorénavant soit fortifiée la justice partout où l’on a justifié la force.

M. B.

Comment (3)

    karimdz
    5 mai 2019 - 19 h 06 min

    Il n y a pas eu de désordre, si ce n est que le peuple est descendu dans la rue, de manière pacifique pour faire entendre sa voix, et dire çà suffit ! D ailleurs, c est la constitution actuelle qui assure la continuité et la stabilité de l Etat, quand bien meme ceux qui le représentent sont rejetés.

    L intérêt de cette nouvelle constitution, c est qu elle se fera avec le peuple, et qu’elle sera donc légitimée par ce dernier.

    Elle ne doit pas être faite, comme le souligne l article à la va vite, mais devra s inscrire dans le temps, et permettre aux représentants du peuple, à des personnes qualifiées. Il faudra choisir un nouveau régime politique, à mon avis, le régime parlementaire est préférable. Cette nouvelle constitution consacrera de manière claire et nette, la séparation des pouvoirs executif et legislatif, la responsabilité du gouvernement devant le parlement etc.

    Socrate
    5 mai 2019 - 18 h 37 min

    C’est plutôt vers une dictature militaire que l’Algérie se dirige et pas une 2 ème République de plus en plus hypothétique ! Une Fois tous les opposants politiques et économiques éliminés Gaîd Salah exercera son pouvoir sans partage que ça plaise ou non au peuple algérien.

    TARZAN
    5 mai 2019 - 16 h 40 min

    je suis contre le concept « deuxième république » qui vient de france, je suis pour la naissance de « la dawla el djazairia ».

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