Ce que révèlent les dons sur salaire surmédiatisés des hauts fonctionnaires
Par Mouanis Bekari – On lit dans la presse nationale que des responsables politiques et de hauts fonctionnaires de l’Etat ont fait don de tout ou partie de leur salaire à un fonds de soutien à la communauté en guise de participation à l’effort national que requiert cette période particulièrement trouble. La publicité qui est faite autour de cette générosité, pour le moins inédite, laisse perplexe et a suscité des réactions édifiantes.
Et d’abord le sentiment que les autorités semblent découvrir l’effarante dégradation des conditions de vie des Algériens, après vingt ans d’une accumulation monétaire sans précédent. Cette dégradation est bien sûr la mise à nu de la précarité organisée par ceux qui ont accaparé le pouvoir, au sens le plus large du terme, et dont l’amplitude des crimes ne sera dévoilée que par la récession mondiale qui se prépare et que l’Algérie subira de plein fouet. On redécouvrira alors qu’il ne faut pas confondre l’exploitation d’une manne et sa mise en valeur. Une confusion que les générations d’Algériens qui ont lutté pour rétablir la souveraineté nationale sur les richesses du pays n’ont pas commise. C’est pourquoi ils concevaient le pétrole comme un pourvoyeur de ressources pour l’essor d’une industrie nationale et non comme un pactole nourricier.
Cependant, pour cela, il faut avoir une «vision» de l’Algérie. C’est-à-dire, avant tout, une ambition pour les Algériens. On pourra, souvent à raison, contester les priorités qu’ils ont déterminées, la pertinence des outils qu’ils ont privilégiés et, particulièrement, la carence démocratique dont la persistance a fait le lit des impostures qui persistent. Mais les Algériens étaient rassemblés autour d’un projet. Non pas unanimes, en dépit des subterfuges souvent grossiers pour le faire croire, mais réunis. Certains étaient réticents, d’autres résolument opposés, mais la majorité voulait y croire. Croire que la politique industrielle élaborée et revendiquée allait finir pas édifier le maillage structurel dont le pays avait besoin. Que les instruments financiers allaient mettre en œuvre la politique monétaire appropriée aux choix industriels et que les exigences réciproques allaient renforcer les fondations de l’Etat. Tout cela, cimenté par la lutte de libération, alimentait le lien communautaire, fondait la relation de confiance entre gouvernants et gouvernés et prévenait la désespérance sociale.
Qui peut se targuer aujourd’hui de décrire la politique industrielle de l’Algérie en commençant par nous dire ce qu’elle est ? Qu’en est-il au juste de la politique monétaire de la Banque d’Algérie alors que l’épuisement des ressources financières est inscrit dans la récession qui s’installe déjà ? Où en sont les actions que l’on assure avoir engagées pour récupérer les sommes faramineuses qui ont été volées aux Algériens et transférées à l’étranger ? Comment les prérogatives régaliennes de l’Etat, détournées par un cartel de truands durant plus de vingt ans, seront-elles recouvrées et par quels moyens ? Comment le pouvoir réel massivement rejeté et son avatar mal élu comptent-ils réunir de nouveau les Algériens ? Autour de quel projet pour l’Algérie ? Quatre-vingt-dix jours après l’installation du Président et de son gouvernement, on se perd encore en conjectures à ces propos. Ce sont pourtant les réponses à ces questions fondamentales qui inciteront ou non les Algériens à conférer un tant soit peu de crédit à des annonces qui ont toute l’apparence de l’improvisation, quand ce n’est pas celle de la démagogie.
L’autre impression qu’inspire la soudaine sollicitude des donateurs, hormis son insignifiance au regard des besoins, est qu’elle se veut un symbole. Mais un symbole de quoi au juste ? A défaut de savoir ce qu’il est, on sait déjà ce qu’il n’est pas. Il n’est pas la marque de l’empathie à l’égard du peuple algérien, de l’inclination que l’on éprouve pour ses espérances, pas même de l’entendement de ses espoirs. Car les Algériens ont exprimé tout cela clairement, intelligiblement, paisiblement et avec une rare maturité. En substance, ils veulent ce que veulent tous les peuples émancipés : qu’on leur reconnaisse le droit de juger de la conduite de ceux qui les gouvernent en échange de leur consentement à être gouvernés. Cette exigence, incarnée par le Hirak, ne s’éteindra pas, car ni les motifs qui l’ont fait naître ni les symboles qui les incarnent ne se sont dissipés. Imaginer gagner une rémission au prix d’une obole en dit long sur l’indigence des chargés de la communication des autorités et sur la prégnance de réflexes archaïques, dans un monde en mutation violente, génératrice de situations requérant une créativité en alerte portée par un discours motivant.
La lutte contre le fléau sanitaire qui nous assaille et la récession qui nous guette ne peuvent faire l’économie d’aucun recours, et moins encore de l’extraordinaire énergie que les Algériens ont montrée lorsque la sauvegarde de la nation l’exigeait. Mais pour la mobiliser, il faudra autre chose que des postures rendues encore plus dérisoires par la propagande qui les accompagne. Il faudra des mesures fortes et porteuses de symboles fédérateurs, au premier rang desquels la définition d’une politique économique intelligible et adaptée aux circonstances exceptionnelles que nous vivons, le rétablissement des mesures prophylactiques autour des richesses nationales et la réhabilitation des instruments chargés du contrôle de leur emploi.
M. B.
Titre originel : Une obole pour réconfort.
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