Entretenir la mémoire

PC héros
Palais de la culture. Des citoyens se recueillent à la mémoire des chouhada. PPAgecny

Par Noureddine Benferhat – Le retour des crânes de nos héros sur le sol pour lequel ils ont sacrifié leur vie pour le défendre, mais aussi pour leur honneur et leur dignité, nous interpelle à la fois sur la barbarie dont était capable la puissance coloniale ainsi que sur l’urgence de nous réapproprier l’écriture de notre histoire et la façon dont celle-ci doit être transmise pour entretenir la mémoire sur les actions héroïques et les sacrifices consentis tout le long de l’occupation coloniale.

La muséographie est un outil essentiel dans la perpétuation de la mémoire. Un musée de la colonisation s’impose à la fois pour rappeler l’horreur coloniale mais aussi pour retracer toutes les actions héroïques entreprises pendant la longue nuit coloniale pour libérer le pays du joug colonial et qui ont abouti à la victorieuse Guerre de libération.

La conception du musée doit être bien pensée et son caractère pédagogique privilégié.

La grande faute commise dès l’indépendance a été d’ignorer l’importance de la construction de la mémoire collective nationale. Elle est restée en jachère pour être ensuite envahie par la mémoire collective religieuse, laquelle, comme le rappelle le sociologue de la mémoire Maurice Halbwachs, «n’admet aucune autre mémoire».

La mémoire collective est l’élément essentiel de l’identité. Elle est liée à la construction nationale. Elle est le pivot central de l’existence sociale et la seule manière de faire triompher l’esprit sur le néant et, par-là, d’établir la chaîne des générations. Elle participe de la construction de l’identité du citoyen. «La mémoire ne cherche à sauver le passé que pour servir au présent et à l’avenir» (Jacques Legoff). Or, chez nous, il y a une multiplication des mémoires (clanique, religieuse), une multiplication des témoignages où les témoins cherchent à légitimer leur propre vision du passé sans être soumis à la critique classique du témoignage. Il me semble qu’il y a urgence à se réapproprier la mémoire nationale au-delà des fidélités et des mémoires particulières, de déterminer la matrice constitutive de l’espace politique nationale et de projeter une nouvelle vision de l’Algérie.

Dans ce processus de réappropriation, le rôle de l’historien est primordial. En effet, il lui appartient d’analyser la façon dont le passé n’a pas réussi à se cristalliser dans le présent. A la fonction critique, il convient d’allier une fonction civique et éthique dans une dialectique passé/présent ; le passé servant à éclairer l’action à entreprendre. L’historien participe à une mission de construction de la conscience nationale, ainsi que de la construction de la mémoire collective, sinon des mythes fondateurs. Mais également le rôle de la commémoration est essentiel, car la commémoration est le moyen de transmission d’un patrimoine qui implique l’idée de quelque chose qui nous a été transmise par ceux qui nous ont précédés, comme le dit l’historien Pierre Nora : «La commémoration c’est l’histoire de la mémoire nationale, de ses rites et de ses mythes.» La commémoration est la reconnaissance d’une grandeur de ceux qui ont produit le patrimoine.

Le terreau existe, il manque seulement la main verte.

N. B.

Comment (5)

    Elephant Man
    5 juillet 2020 - 20 h 10 min

    Effectivement l’importance de l’enseignement avec la création dans de nombreuses wilaya de Centres d’Histoire de la Résistance et de la colonisation musées, « Mais également le rôle de la commémoration est essentiel » mais également l’enseignement de l’Histoire du pays dans son intégralité des sorties scolaires visites de monuments visites de sites archéologiques peintures rupestres etc etc avec sensibilisation à la préservation du patrimoine culturel de la nature dès le plus jeune âge (école primaire).

    Wlad França
    5 juillet 2020 - 13 h 54 min

    J’ai l’impression de lire Benzatat (…) Il mélange identité et mémoire collective. Il appelle ‘mémoire clanique’, l’identité qui, selon le bon sens même, se transmet exclusivement par la filiation et n’a absolument rien à voir avec un quelconque processus d’intériorisation des grandes épopées et épreuves qui forgent le récit national.
    Il appelle mémoire religieuse, ce cheminement individuel (jamais collectif) qui mène la personne à croire en Dieu (ou autre divinité) et en des rites consacrés qui excluent toute cause exogène à ce cheminement intérieur et individuel.
    Le récit national, car c’est ce dont il veut parler, participe de la mémoire collective . Il n’est cependant ni l’identité, ni la religion. Nous partageons avec Maurice Audin une page de notre glorieuse guerre de libération nationale sans pour autant aller jusqu’à dire que la propre identité de Mr Audin ou ses propres croyances religieuses aient fondu dans la mémoire collective. (…)

    Badre
    5 juillet 2020 - 10 h 54 min

    La mémoire de notre pays fut écrite par la puissance qui nous a colonisé , opprimée , spoliée nos richesses et tronquée notre histoire .
    C’est pourquoi de nos jours nous ne pouvons pas nous projeter dans l’avenir.
    Des historiens probablement tenteront de réécrire l’histoire de notre pays.
    Néanmoins si les travaux sont menés dans le but de sceller une identité que certains veulent lui donner une dimension uniquement nationaliste, risquent certainement de pérenniser le concept néocolonialiste.
    Des lors que la mémoire repose principalement sur l’identité , elle génère de facto des divisions ethniques et religieuses ,etc.
    D’ailleurs la question relative à la mémoire se pose à tous les pays arabes de l’Afrique et du moyen orient et particulièrement les régions qui furent sous domination française .
    En effet cette puissance a effacé la mémoire des peuples pour lui imposer la sienne, mais avec des règles sous jacente entre autres l’esprit de soumission , en somme le maître transcendant .
    Donc toute mémoire doit nécessairement reposer sur une culture , certes cave probablement des méandres variées selon les traditions sociologiquement spécifiques mais se fondent sur une culture commune.
    Rechercher l’identité au travers de l’histoire c’est jouer dans le périmètre que le dominateur nous a tracé .
    Il est temps de réécrire l’histoire de notre pays indépendamment de toute influence néocolonialiste.

      Anonyme
      5 juillet 2020 - 12 h 58 min

      « La mémoire de notre pays fut écrite par la puissance qui nous a colonisé , opprimée , spoliée nos richesses et tronquée notre histoire . »

      Tout à fait d’accord, comment peut-on imaginer que les musulmans ottomans osèrent traiter ainsi leurs frères musulmans.

    Oui à l'HISTOIRE
    5 juillet 2020 - 10 h 17 min

    Très bien Monsieur Noureddine Benferhat. D’accord avec vous sur tout et surtout quand vous dîtes que « dans le processus de réappropriation de la mémoire collective algérienne, le rôle de l’historien est primordial ». Oui il existe des historiens compétents et intègres qui peuvent contribuer à ce travail d’histoire et de mémoire, mais il faut après penser à l’école algérienne qui doit enfin apprendre à nos enfants la vraie histoire de leur pays l’ALGÉRIE dans son intégralité, dans son authenticité, dans sa véracité et ce, depuis des millénaires et non pas depuis 632 ou 1954 exclusivement.

    (…)

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