Le crime des crimes

Le crime des crimes
Depuis leur création, les Etats-Unis ont été en guerre 230 ans. D. R.

Par Khider Mesloub – Curieusement, à notre époque moderne particulièrement belliqueuse, lors de chaque guerre, devenue ordinaire comme celle opposant actuellement la Russie et l’Ukraine, l’accusation de «crimes de guerre» est invoquée par l’un des deux belligérants. Comme si la guerre n’était pas intrinsèquement un crime. Le crime des crimes. Comme si la guerre était ordinairement une simple compétition sportive menée entre deux pays adversaires. Or, la guerre est par essence un exercice de massacres effroyables de masse, de destructions épouvantables d’infrastructures.

A observer la conception occidentale, il y aurait deux manières de faire la guerre, différenciée en fonction du système politique du pays belligérant. Menée par un pays «démocratique» occidental, la guerre se déroulerait de manière civilisée. En revanche, un pays «totalitaire» ne livrerait de facto, selon le paradigme géopolitique occidental, qu’une guerre barbare, autrement dit criminelle. De là s’expliquerait la présomption de culpabilité pesant sur lui. L’accusation de «crimes de guerre». Comme celle qui frappe aujourd’hui la Russie.

En vérité, à l’ère de la domination impérialiste fondée sur le développement extraordinaire de la technologie militaire destructrice et exterminatrice, toutes les guerres sont meurtrières, criminelles et génocidaires. Il suffit de citer les récentes guerres destructrices et ruineuses livrées par les Etats-Unis et leurs alliés contre l’Irak, l’Afghanistan, la Libye, la Syrie. Et l’actuelle guerre exterminatrice et dévastatrice menée par Israël contre les Palestiniens vient corroborer cette funèbre réalité.

Les pays occidentaux ne s’empressent pas de dénoncer Israël de commettre des crimes de guerre et de génocide. Contrairement à la Russie sur laquelle les Occidentaux ont fait peser immédiatement la présomption de culpabilité, Israël bénéficie, sept mois après le déclenchement de sa guerre génocidaire contre le peuple palestinien, de la présomption d’innocence. Cela équivaut à un permis de tuer délivré par les l’ensemble des pays atlantistes.

Si, jusqu’à la fin du XIXe siècle, les guerres décimaient principalement des militaires engagés directement sur les lignes de front, depuis la Première Guerre mondiale, c’est-à-dire l’entrée du capitalisme en décadence, les populations civiles constituent majoritairement les principales victimes, et les villes administratives et les zones d’habitation les principaux foyers de guerre destructive. De nos jours, 90% du total de décès de guerre sont des civils. Sans oublier les destructions totales des villes abritant principalement des civils. Comme l’illustre dramatiquement Gaza et le Donbass.

Autre singularité du capitalisme décadent : si, dans la première phase de développement du capital, au cours des XVIIIe et XIXe siècles, la guerre avait pour fonction d’assurer un élargissement du marché, en vue d’une plus grande production de biens de consommation, donc d’enrichissement national, dans la seconde phase du capital, depuis le début du XXe siècle, la production est essentiellement axée sur la production de moyens de destruction, c’est-à-dire en vue de la guerre.

Qui plus est, dans cette période de décadence, la guerre, revêtant un caractère de permanence, est devenue le mode de vie du capitalisme. Pour preuve, au XXe siècle, l’Europe belliciste a déclenché deux boucheries mondiales, décimant plus de 80 millions de personnes.

Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, le nombre des conflits armés ne cesse d’augmenter. Selon les estimations officielles, il y a eu depuis 1945 plus de 260 guerres, provoquant la mort de dizaines de millions d’individus. Depuis leur création, les Etats-Unis ont été en guerre 230 ans. En d’autres termes, les Etats-Unis ont été en guerre 91% du temps de leur existence. En 247 ans d’existence, ils n’ont été en paix que durant 22 ans.

La guerre est constitutive du capitalisme. Le capitalisme porte en lui la guerre comme la nuée porte l’orage. Tout comme les crises économiques, l’exploitation, l’oppression, les famines sont constitutives du mode de production capitaliste.

Sans oublier les destructions. Bien loin de constituer des anomalies dues à des décisions gouvernementales irresponsables et irrationnelles, les destructions font partie du fonctionnement normatif du capitalisme décadent. En particulier à notre époque impérialiste caractérisée par des guerres destructrices inégalées et innommables. Plus de 72% des bâtiments résidentiels de Gaza ont été détruits. L’ONU a estimé à plus de 30 milliards de dollars le coût de la reconstruction de l’enclave palestinienne. Qui se chargera de la reconstruction de Gaza ? Les entreprises israéliennes !

Et, contrairement à ce qu’affirment les politiciens et les élites intellectuelles, ces destructions ne constituent pas des «dommages collatéraux» contingents, mais l’objectif des guerres impérialistes.

Prisonniers d’une conception obsolète des visées de la guerre, ces bourgeois continuent à penser que le but de la guerre est l’obtention de la victoire, et les destructions des humains et des infrastructures occasionnés à l’adversaire ne constituent que des moyens conjoncturels pour atteindre cet ultime but. A l’ère des crises de surproduction économiques permanentes et de l’endogène baisse tendancielle du taux de profit entraînant systématiquement des confrontations militaires impérialistes pour le partage du monde et des zones d’influence du capital financier, les destructions constituent le principal objectif militaire des capitalistes et de leurs gouvernants.

Les destructions massives d’infrastructures et des moyens de production permettent à l’économie capitaliste de relancer la machine économique à profit, la valorisation du capital. Tout comme la destruction massive d’hommes et de femmes permet, du point de vue du capital, d’obvier au risque de la «surpopulation» périodique qui accompagne la surproduction.

K. M.

Comment (4)

    lhadi
    12 mai 2024 - 8 h 47 min

    Le terme « capitalisme » désigne la propriété privée des moyens de production et, par conséquent un mode de développement commandé par l’initiative privée d’entrepreneurs. Symétriquement, le socialisme est un mode de développement dirigé par un Etat planificateur qui s’est assuré de la propriété collective des moyens de production.

    Une conséquence immédiate de ces distinctions est que l’on peut parler de société industrielle aussi bien à propos de pays capitalistes que de pays socialistes. Mieux encore, l’analyse sociologique des rapports de production dans l’un et l’autre cas montre, au niveau de base de l’atelier ou de l’usine, de grandes similitudes. Lénine, parvenu au pouvoir, fut aussi l’un de ceux qui introduisirent en Union soviétique les principes de rationalisation dans l’organisation du travail, et il est connu qu’il fut un grand admirateur de Frederich W. Taylor.

    Du nazisme prétendant fonder dans la biologie la supériorité des races, au marxisme prétendant fonder dans la science sociale la nécessité de la terreur prolétaire, derrière la prétention à la vérité univoque, se dissimulent souvent les intérêts et les passions d’hommes assoiffés de pouvoir

    Il faudrait, pour atteindre à plus de clarté encore, admettre que la violence de cette pulsion meurtrière est la politique. Répétons-le : la politique déchaine ou arrête la guerre. Ces deux dispositions de la politique se combattent : celle du courage et celle du calcul ; celle de l’énergie sacrificielle et celle de la patience. Ces dispositions conservent toutes leurs pertinences à l’heure actuelle.

    Fraternellement lhadi
    ([email protected])

    Pensez y
    10 mai 2024 - 8 h 22 min

    « Or, la guerre est par essence un exercice de massacres effroyables de masse, de destructions épouvantables d’infrastructures. »
    Tout à fait de votre avis. Merci chers amis d’y penser à chaque fois que vous menacez votre voisin de l’ouest de déclaration de guerre, c’est à dire en gros tous les deux jours! Dites vous que si une guerre entre l’Algérie et le Maroc venait à se déclarer, les deux pays seraient perdants et les morts des deux cotés se compteraient en centaines de milliers. Et ce bien que le Maroc sur le papier est moins « fort » que son voisin première puissance militaire d’Afrique. On sait maintenant que les guerres ne se jouent pas qu’avec des chars et des avions.

    Abou Stroff
    10 mai 2024 - 7 h 30 min

    « La guerre est constitutive du capitalisme. Le capitalisme porte en lui la guerre comme la nuée porte l’orage. Tout comme les crises économiques, l’exploitation, l’oppression, les famines sont constitutives du mode de production capitaliste. » avance K. M..

    je pense que cette phrase décrit la quintessence du capitalisme en tant que système et qu’il est possible d’établir la « date de naissance » du capitalisme au début du XVème siècle (voir le mouvement des enclosures en Angleterre)) et son expansion via la découverte de l’Amérique et les massacres des populations non-européennes qui s’en suivirent et qui n’ont pas encore ……… cessées.

    en effet, si nous admettons que la reproduction élargie du capital, en tant que rapport social, est une partie intégrante du mode de production capitaliste, alors, nous devons conclure:

    – que les formations sociales capitalistes doivent mener une guerre sans merci contre toutes les formations sociales non-capitalistes pour y imposer le capital en tant que rapport social dominant, d’où la colonisation, puis l’impérialisme, puis la soi disant mondialisation, puis….
    – que les formations sociales capitalistes, entrant en concurrence, doivent mener des guerres entre elles pour le partage du monde dans son entièreté, d’où les 2 grandes guerres inter-impérialistes ayant eu lieu en Europe.
    – que l’émergence de forces sociales « indigènes » remettant en cause le diktat du Grand Capital dirigé par les usa et ses vassaux européens, entre autres, ne peut aboutir qu’à des guerres permanentes, produit de la nécessité d’élargissement des rapports sociaux capitalistes d’une part et besoin d’émancipation des peuples de leur exploitation et leur asservissement par le Grand Capital, d’autre part, d’où les guerres « localisées » dans le « Tiers-monde », en général et au Moyen-Orient, en particulier.
    – enfin, la guerre, quelle que soit la nature de cette dernière, est une partie intégrante du procès d’accumulation du capital dans la mesure où la guerre permet grâce au cycle destruction-reconstruction du capital d’enclencher de nouvelles phases d’accumulation du capital et un essor palpable et quantifiable des forces de la production.

    Moralité de l’histoire : il n’y en a aucune, à part que, si nous faisons abstraction du monde des Bisounours que nous décrivent les idéologues attitrés du capitalisme et qui n’existe nulle part, alors, nous devons conclure que le « crime des crimes » ne disparaîtra qu’avec la disparition* du capitalisme en tant que système.

    * je pense que des naïfs, pour ne pas dire des niais, peuvent croire que le capitalisme, en tant que système, disparaîtra dans le futur prévisible

    El khorti
    9 mai 2024 - 20 h 15 min

    Selon vos dires !
    « Les destructions massives d’infrastructures et des moyens de production permettent à l’économie capitaliste de relancer la machine économique à profit, la valorisation du capital. Tout comme la destruction massive d’hommes et de femmes permet, du point de vue du capital, d’obvier au risque de la «surpopulation» périodique qui accompagne la surproduction »
    Donc la Russie fait le boulot pour les capitalistes, puisque c’est ce qu’elle fait en Ukraine !
    Wallah il y’a de quoi devenir fou avec les Algériens qui profitent des systèmes qu’ils accusent en vivant chez eux en profitant de tout.

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