On est bien chez le roi, on est mieux chez soi

Par Abderrahmane Zakad – Il était technicien.
Il était beau, il était intelligent. Il avait une famille soudée, gaie.
Il était cadre, dynamique, estimé dans la société nationale où il travaillait.
Dans le couloir de l’entreprise, on parlait de lui souvent. En bien.
Un homme d’avenir, disait-on. Il deviendra quelqu’un.
L’Aïd, il égorgeait le mouton, les garçons étaient contents.

Par Abderrahmane Zakad – Il était technicien.
Il était beau, il était intelligent. Il avait une famille soudée, gaie.
Il était cadre, dynamique, estimé dans la société nationale où il travaillait.
Dans le couloir de l’entreprise, on parlait de lui souvent. En bien.
Un homme d’avenir, disait-on. Il deviendra quelqu’un.
L’Aïd, il égorgeait le mouton, les garçons étaient contents.
Le Mouloud, il faisait l’offrande, il visitait la famille.
Il donnait la zakat, recevait des gâteaux de sa tante Houria.
Il n’allait pas à la mosquée, il verra plus tard.
Il avait des amis, il allait au bar. Quelquefois.
Il se renfrognait, pas souvent : «Le pays change, que se passe-t-il» ? disait-il.
Les Algériens deviennent nombreux. Ils crachent par terre, salissent.
Il savait que cela s’arrangerait, c’est sûr. Avec l’école, l’éducation et le temps.
Les autres pays étaient passés par là. Il le savait aussi. Et ces pays n’avaient pas le soleil ni la sardine. Ils ont eu eux aussi des guerres, ils étaient pauvres, ils s’étaient relevés.
Il était heureux, peu patriote, mais bon citoyen. Les députés l’écœuraient.
Pourtant, il votait, il critiquait, il râlait. Comme tout le monde. Comme son voisin.
«Où va l’Algérie ?» s’inquiétait-il. Quand les choses le contrariaient, il prenait un livre.
Il réfléchissait avec inquiétude pour l’avenir de ses enfants. Ils regardaient trop la télé, ils parlaient mal l’arabe, ils baragouinaient français et les livres étaient repoussants. Que faire ?
Un jour, il découvre que la rue Didouche Mourad était sale. Avec plus d’attention.
Il se souvenait que la rue Michelet était propre et les pieds-noirs gentils.
Il caressait alors la tête du petit hammalqui portait le panier de Madame Portello.
Madame Portello c’était leur voisine, elle lui donnait des bonbons. Il était tout petit.
C’était lorsque son père était docker au port et que sa mère faisait les ménages.
Il se souvient, un jour, le portier lui avait interdit d’entrer au cinéma Kent. La rage.
Parce qu’il était pieds nus, l’affiche du cinéma l’attirait. Le Kent est à l’Alletti.
Il était jeune lorsque l’Algérie avait eu l’indépendance. Il avait chanté. Dansé.
Il avait même fait flotter le petit drapeau que lui avait cousu sa mère.
Plus tard, il eut son bac, s’était inscrit à l’université que n’imaginaient ni son père ni sa mère.
Il était devenu ingénieur. Quelle joie et quel honneur pour la famille, la houma.
Il tenait à éduquer ses deux enfants dans l’école algérienne qui a fait de lui un ingénieur.
Puis un jour, le chitaneentra dans sa tête. Il lui dit de quitter ce pays de va-nu-pieds
Ce pays où les trottoirs sont sales, les poubelles débordantes, où on tue, où on vole
Il conféra avec sa femme, raconta des choses aux enfants. En douce et en souplesse.
Et en douce, il fit les passeports, acheta des valises, beaucoup de valises.
Il vendit sa maison que l’entreprise lui a gentiment offerte parce qu’il le méritait.
Avec sa femme et ses deux enfants, ils grimpèrent la rampe du bateau. La mer était bleue.
Le bateau cracha de la fumée, siffla une mélodie et quitta le quai. Gentiment.
Il a vu, du large, la Casbah s’éloigner, elle qu’il n’avait vu que de près. Elle est belle.
Cette Casbah où il a usé ses culottes et vu El-Anka chanter et les ânes ramasser les ordures.
Cette Casbah tant de fois conquise, se souvint-il. Sur le ponton, il eut mal au cœur en pensant à ses amis. Il savait que c’était sa deuxième mère, la mère des pauvres, des dockers et des yaouleds.
Le lendemain, ils accostent à Marseille, le surlendemain, ils piétinaient Paris.
Trente ans ont passé. Il avait travaillé comme magasinier dans une grande entreprise. Les soucis et l’incertitude pour l’avenir de sa famille l’avaient ramolli. Sa femme l’avait quitté, ses deux enfants dispersés, la France les ayant happés. Le froid et l’isolement ajoutèrent à sa détresse. Il tomba malade et mourut. On le ramena dans une caisse dans le même bateau qui accosta au même quai. Au pied de la même Casbah. La mer est bleue. On le déchargea, on le transbahuta, on l’emmena à la morgue, le lendemain il fut enterré à El-Kettar, selon son vœu. Personne ne le pleura.
Il était technicien dans une grande entreprise algérienne.
A. Z.
Béjaïa

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