Quand RSF dicte aux journalistes algériens comment ils «doivent» couvrir les élections
On s’y attendait un peu. L’ONG française Reporters sans frontières n’a pas raté l’occasion offerte par la démarche du gouvernement algérien envers les médias visant à «encadrer» la profession dans le cadre des élections législatives du 4 mai. A la charte gouvernementale, RSF oppose son «Guide pratique du journaliste en période électorale» (édition 2015) et propose d’«encadrer» autrement les journalistes algériens avec une série de «recommandations» dictées au mode impératif (doit !) Il y a 141 fois cette injonction «doit» (ou «ne doit pas») dans le guide de RSF. Exemples : «Si une entrave est posée à son travail en raison d’une restriction légale, le journaliste doit (donc) vérifier que celle-ci est légitime au regard du droit international». Ou cette autre recommandation, destinée visiblement à des débiles : «Le journaliste doit fournir aux citoyens des informations sur les modalités de l’élection.»
Le «Guide pratique du journaliste en période électorale» de RSF a été élaboré pour les journalistes francophones et par des «journalistes francophones». Il faut évidemment comprendre ceux qui exercent dans l’ancien «empire» colonial français, car les professionnels des médias de l’ancienne «métropole» n’ont pas besoin d’être pris par la main, comme des petits enfants, pour être guidés dans la bonne direction, c’est-à-dire celle d’«un professionnalisme et une déontologie sans faille», selon une des présentations de ce document sur le net.
Quelle prétention ! Le journaliste francophone algérien fait partie de cette catégorie de mineurs ; il «doit» suivre scrupuleusement les recommandations de RSF parce qu’il est incapable seul d’être un professionnel. En revanche, «là-bas», pour l’élection présidentielle française, où la manipulation des médias saute aux yeux, on parle plutôt d’«éthique de la responsabilité».
Pour l’organisation fondée par Robert Ménard, les journalistes francophones des anciennes colonies ne maîtrisent pas les critères d’objectivité et d’indépendance et ils ont le «mauvais réflexe» de donner trop de poids au sens de la responsabilité dans leur couverture des événements. Et la période électorale ne fait pas exception. Il y a deux ans, dans un pays africain qu’il est inutile de citer, RSF a pu organiser un séminaire avant une élection présidentielle pour permettre aux journalistes de ce pays de «s’approprier» son guide. A la fin, les journalistes ont reçu un guide et… un gilet. Ce n’est pas en Algérie qu’une telle ingérence est possible. Les journalistes sont les premiers à la rejeter en toute indépendance et sans «faire le jeu du pouvoir».
Chez RSF, le paternalisme à l’égard des anciens colonisés est une maladie congénitale incurable. Le ton inapproprié qui l’accompagne le rend abject. RSF, comme d’autres ONG ou personnalités françaises, persiste à ignorer que les journalistes algériens travaillent dans un pays indépendant et ont donné les preuves de leur professionnalisme et surtout de leur courage, que ce ne sont pas des stagiaires à vie, comme pourrait le laisser croire le fait que certains d’entre eux acceptent de participer à des stages ou des séminaires organisés par RSF. Les «paternalistes» devraient savoir, s’ils ne l’ont pas encore compris, que, dans la majorité des cas, l’unique motivation qui pousse des journalistes algériens à accepter le statut de «stagiaire» est le voyage à l’étranger qu’il leur permet de faire. Pour le reste, comme on dit chez nous, «laisse-les claironner», c’est-à-dire «cause toujours…».
Houari Achouri
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